E. Walter-Nicolet, L. Calamy, P. Martret, H. Beaussier, P. Cimerman, A. Dumont, T. Debillon, R. Carbajal, B. Falissard, E. Fournier-Charrière.
Les 28es Journées Pédiadol, la douleur de l’enfant (Journée Plénière, 7 décembre 2021)
Résumé :
Objectif : Le nouveau-né (NN) à terme peut rencontrer des situations douloureuses en maternité. L’Echelle Douleur et Inconfort du Nouveau-né (EDIN) est l’échelle la plus utilisée dans les maternités françaises mais n’est pas toujours adaptée. Le but de cette
étude était de montrer l’équivalence de l’échelle «Evaluation Enfant Douleur» (EVENDOL) à l’échelle EDIN dans le diagnostic de la douleur du NN à terme en maternité.
Matériel et méthodes : Etude prospective, multicentrique, en soins courant. Les NN étaient évalués au repos et à la mobilisation par un chercheur et un soignant avec les 2 échelles (EVENDOL et EDIN). Le temps de cotation, la difficulté des items et la préférence des soignants étaient recueillis à chaque évaluation.
Résultats : 91 NN étaient inclus. La consistance interne (coefficient de Cronbach) et la fiabilité inter-juges (Coefficient de Corrélation Intra Classe) étaient excellentes (supérieures à 0.8) de même que la corrélation entre EVENDOL et EDIN. La sensibilité du score d’EVENDOL après antalgique était bonne. L’échelle EVENDOL était plus facile à coter et avait la préférence des soignants.
Conclusion : EVENDOL pourrait remplacer EDIN pour évaluer la douleur du NN à terme en maternité
I/ Rationnel de l’étude
L’évaluation de douleur devrait faire partie des paramètres de surveillance indispensables en pratique clinique y compris chez le nouveau-né à terme en maternité. Cependant une enquête déclarative réalisée auprès des 96 maternités d’Ile de France entre décembre 2013 et février 2014 a montré que la douleur n’était évaluée chez le nouveau-né à terme que dans 68% d’entre elles. 32% des maternités déclaraient ne pas évaluer la douleur du nouveau-né à terme à l’aide d’une échelle. Les raisons principales d’une non évaluation étaient que la clinique et l’anamnèse étaient suffisantes (60% des cas), qu’aucune échelle validée n’était adaptée au nouveau-né en maternité (30% des cas) et ou que cela prenait trop de temps (15% des cas) (1). Les échelles utilisées dans ces maternités étaient en majorité l’échelle EDIN (2) (85% en salle de naissance et 78% en suite de couche), l’échelle DAN (3) (12% en salle de naissance et 20% en suite de couche) et 1 maternité utilisait l’échelle EVENDOL (3%)(1). Parmi les 68% de maternités qui utilisaient une échelle d’évaluation de la douleur, 40% pensaient que celles-ci n’étaient
pas, ou pas toujours, adaptées : 35% trouvaient les échelles difficiles ou longues à coter et 59% peu adaptées au nouveau-né en maternité. Seules 10% des maternités avaient un protocole d’évaluation de la douleur du nouveau-né en salle de naissance et 21% en suites de naissance. Seulement 56% des maternités évaluant la douleur à l’aide d’une échelle déclaraient avoir une traçabilité de cette évaluation (1). Cette enquête déclarative montrait que la douleur du nouveau-né est sous-évaluée en maternité mais également que les échelles disponibles ne semblent pas, ou pas toujours satisfaire les soignants.
L’échelle EDIN est l’échelle la plus utilisée dans les maternités françaises mais elle comporte certaines difficultés. Dans une étude menée en juin 2012 visant à évaluer la validité de l’échelle EDIN chez le nouveau-né à terme en suite de couche, les auteurs concluaient que cette échelle avait une bonne validité de construit et une bonne fiabilité inter-juges mais que certains items pouvaient poser problème (sommeil, relation) et que la cohérence interne était limitée (4). C’est également une échelle assez longue à coter car elle prend en compte l’ensemble des comportements de l’enfant durant une période d’une à quatre heures précédant l’évaluation. Elle a été élaborée et validée auprès des nouveau-nés prématurés en réanimation et les auteurs précisaient que des études complémentaires étaient nécessaires afin de valider le score dans des situations moins extrêmes (2).
Devant les difficultés rencontrées avec l’échelle EDIN la plus souvent employée et la sous-évaluation de la douleur en maternité, il nous a semblé intéressant de chercher, parmi les outils validés disponibles et utilisés en France, lequel pouvait être utilisé en maternité.
L’échelle EVENDOL a été validée aux urgences pédiatriques, dans une cohorte de patients comprenant une trentaine de nouveau-nés (enfants de moins de 28 jours et consultant aux urgences) (5). Cette échelle a plusieurs items présents communs à ceux d’EDIN et il nous a semblé intéressant de proposer une validation de cet outil pour le nouveau-né à terme en maternité.
II/ Matériels et méthodes
2.1. Type d’étude
Cette étude a été réalisée en 2 temps :
– Une étude pilote, menée entre le 4 mars 2014 et le 13 janvier 2016,
– Puis de Janvier à Juillet 2019.
2.2. Objectifs de l’étude
L’objectif principal de cette étude était de valider l’échelle EVENDOL en la comparant à l’échelle EDIN chez le nouveau-né à terme en maternité Les objectifs secondaires étaient :
• Montrer l’équivalence de l’échelle EVENDOL à l’échelle EDIN pour diagnostiquer
la douleur du nouveau-né à terme ;
• Montrer la facilité et la rapidité de cotation de l’échelle EVENDOL par rapport à
l’échelle EDIN ;
• Repérer une préférence éventuelle des soignants en faveur de l’échelle EVENDOL.
2.3. Patients
Nouveau-nés, à terme, en maternité ou hospitalisés en unité kangourou
Critères d’inclusion :
– Nouveau-nés à terme (≥ 37 SA)
– Suspects ou non de douleur
– De 0 à 28 jours de vie
Critères d’exclusion :
– Nouveau-né < 37 SA
– Enfant en réanimation ou en unité de soins intensifs
– Syndrome malformatif majeur
– Parents non francophones
Les patients étaient inclus selon des critères organisationnels de disponibilité des soignants. Environ 30 enfants non douloureux devaient être inclus et environ 70 enfants douloureux.
2.4. Critères de jugement
Critère de jugement principal : validité de l’échelle EVENDOL chez le nouveau-né, définie à l’aide des critères suivants :
– Structure de l’instrument : Coefficient de Cronbach (un coefficient ≥ à 0.8 est excellent) ;
– Fiabilité inter-juges : Calcul du coefficient de corrélation intra-classe (CCIC) EVENDOL/EDIN (objectif : CCIC > 0.6) ;
– Comparaison de l’échelle EVENDOL à l’échelle EDIN (une corrélation ≥ à 0.8 est excellente).
Validation de construit : Vérifie que l’outil mesure la douleur, et elle seule, en évaluant sa concordance avec le « gold standard ».
Dans cette étude, le gold standard était l’échelle EDIN, et le seuil retenu pour cette dernière était de 5/15 (2) Critères de jugement secondaires :
– Acceptabilité
– Validité d’apparence (≥ 2/3 des soignants préfèrent EVENDOL à EDIN)
– Temps de cotation inférieur à celui d’EDIN (> 30%).
– Facilité de remplissage d’EVENDOL (moins d’items difficiles à remplir).
2.5. Intervention
Déroulement de l’étude :
1) Vérification des critères d’inclusion et d’exclusion puis
2) Recueil de la non opposition des parents.
3) Recrutement préférentiel de nouveau-nés suspects de douleur (traumatisme
obstétrical ou autre).
4) Modalité de recueil des données :
a/ Recueil des variables de l’étude pour chaque nouveau-né
b/ Évaluation indépendante et simultanée, par le chercheur et un personnel soignant, à 3 temps : au repos, avant mobilisation (T0) ; lors d’un temps de mobilisation : examen clinique (réalisé par la sage-femme à H2 en salle de naissance, par le pédiatre en suite de couche ou en néonatologie) ou réalisation d’un bain en suite de couche ou d’un soin non douloureux en suite de couche et en néonatologie (T1) ;
Réévaluation 45-90 min après l’administration d’un traitement antalgique adapté au score de douleur (T2).
Chaque enfant avait donc au moins 4 mesures : repos et mobilisation par le chercheur, repos et mobilisation par le soignant.
c/ Ordre de remplissage aléatoire des grilles d’évaluation EDIN et EVENDOL. Aspect métrologique identique (feuille A4, format paysage, en noir et blanc). Le format de poche n’était pas connu ni montré aux soignants.
d/ Recueil des horaires d’évaluation et des horaires d’administration des antalgiques pour évaluer la sensibilité au changement (comparaison des scores de douleur avant antalgique puis 45 à 90 minutes après antalgique par voie orale)
5) Recueil des critères secondaires :
a/ Durée de remplissage des grilles d’évaluation chronométrée de façon indépendante pour le soignant et pour le chercheur. Chronomètre déclenché dès le début du remplissage de chaque grille d’évaluation. Le même chronomètre était utilisé pour les temps de remplissage du soignant et ceux du chercheur ;
b/ Difficulté de cotation des items renseignée lors du remplissage des échelles par le chercheur et par le soignant en cochant la case correspondante à l’item difficile ;
c/ À la fin du remplissage des grilles d’évaluation, le soignant était interrogé sur l’échelle qu’il avait préféré remplir lors de l’évaluation et celle qu’il avait trouvé la plus adaptée entre les échelles EDIN et EVENDOL
L’échelle EDIN était l’échelle de référence pour décider ou non d’un traitement.
Les scores suivants ont été définis pour « classer » les enfants et définir les seuils de douleur :
– Enfant non douloureux : EDIN < 5 à toutes les mesures
– Enfant moyennement douloureux : 5 ≤ EDIN < 10 pour au moins une mesure
– Enfant très douloureux : EDIN ≥ 10 pour au moins 1 mesure
2.6. Analyse statistique
Pour l’étude de validation, le nombre de patient à inclure retenu était d’une centaine de patients, idéalement 1/3 de non douloureux, 2/3 de douloureux.
Pour déterminer les qualités métrologiques de l’échelle EVENDOL nous avons mesuré : la consistance interne par le calcul du coefficient alpha de Cronbach; la corrélation entre les échelles EVENDOL et EDIN par le calcul du coefficient de spearman et tau de Kendall
(tests non paramétriques) et la corrélation inter-juges entre chercheurs et soignants par le calcul du coefficient de corrélation intra-classe. La vérification de la distribution normale des variables a été réalisée avant la réalisation des tests statistiques si nécessaire. Les
variables quantitatives ont été présentées par leur médiane et l’écart interquartile [1er-3e quartiles], les variables qualitatives par leur pourcentage. Les données recueillies ont été encodées via Excel (2010 Microsoft corporation) et anonymisées. L’analyse statistique
a été faite via le logiciel R.
2.7. Aspects éthiques et réglementaires
L’enregistrement de données observables ne comporte aucun risque pour le patient. Le recueil de données ne retarde pas la mise en place du traitement antalgique. C’est une étude sans bénéfice direct, ne modifiant pas la conduite thérapeutique.
L’information orale avec un support écrit des parents ou de la personne ayant l’autorité parentale était réalisée avant l’inclusion, à la recherche de leur non-opposition à la participation de leur enfant à cette étude. Une non-opposition orale était recueillie.
Le protocole de validation d’EVENDOL en maternité a été soumis au Comité de protection des personnes en mai 2014. Celui-ci a rendu un avis éthique favorable le 7 juillet 2014 (n° CPP G-2014-06-04).
La recherche a également été déclarée dans la base de données internationale « Clinical Trials » sous le numéro NCT02819076.
III/ Résultats
L’étude s’est déroulée en 2 temps : un premier temps de Mars 2014 à Juin 2016 lors duquel 34 enfants ont été inclus. Devant la difficulté du recrutement lié au manque de disponibilité des soignants et la difficulté de « trouver » des enfants douloureux en maternité une demande de financement a été réalisée auprès de la fondation APICIL. Il a également été décidé d’inclure des enfants à terme non ventilés en réanimation ou néonatologie. Après obtention du financement par Apicil d’une infirmière de recherche clinique, 57 patients ont été inclus entre Janvier et Juin 2019.
3.1. Caractéristiques générales de la population
91 patients ont été inclus dont 51 garçons (56%). L’âge gestationnel médian était de 39 SA [39-40.5], le poids de naissance médian était de 3340 g [3015-3610]. L’adaptation à la vie extra-utérine était bonne avec un score d’Apgar médian à M5 à 10 [10-10].
87 (95.6%) enfants naissaient en présentation céphalique et 4 (4.4%) en présentation du siège.
55 (60.5%) naissaient par voie basse non instrumentale, 22 (25.2%) par voie basse
instrumentale, 13 (14.3%) par césarienne et 1 (2%) par césarienne instrumentale.
4 centres franciliens ont participé avec une répartition inégale entre eux, liée à la
présence et la disponibilité des chercheurs et des soignants :
– CHU Bicêtre : 7 enfants – GH Paris Saint Joseph : 57 enfants
– CHU Clamart : 17 enfants – CHU Trousseau : 10 enfants
3.2. Evaluation
La majorité des enfants étaient évalués avant H24 :
– 20 (22%) avant H2 en salle de naissance
– 31 (34%) entre H2 et H24 en suites de naissance
Les autres étaient évalués
– 16 (17.6%) entre H24 et H48 en suites de naissance
– 7 (7.7%) après J2
– 12 (13.2%) après J3
– 5 (5.5%) après J4
Lieu de l’évaluation :
– Salle de naissance : 35 (38.5%)
– Suites de naissance : 41 (45%)
– Unité Kangourou : 5 (5.5%)
– Médecine néonatale : 7 (7.7%)
– Réanimation néonatale : 3 (3.3%)
Il y avait 43 (47%) enfants non douloureux, 48 (53%) enfants douloureux dont 28 enfants moyennement douloureux et 20 enfants très douloureux.
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MAJ mars 2022