Tremblement de terre au Népal : témoignage d’un membre de Pédiadol (Dr Barbara Tourniaire)

Avril 2015


J’étais sur place au Népal au moment du tremblement de terre, pour des « vacances » qui se sont transformées en expérience de vie terrible. Ce 25 avril et la semaine suivante, j’ai vu l’ampleur de la destruction, la sidération de la population, j’ai vécu cette terreur de voir disparaître en quelques minutes tant de vies et s’écrouler tant de maisons. Des villages, des villes entières sont presque entièrement détruites, avec les réserves de nourriture, le peu d’habits et de couvertures que la population possédait. Des camps de fortune ont été montés, des bâches tendues. Il est urgent d’aider la population en soutenant les associations déjà sur place, locales ou internationales, habituées et capables d’apporter une aide véritable et directe à la population. Témoin de cette catastrophe, je prends aujourd’hui la parole pour vous demander votre mobilisation, votre aide, en soutenant financièrement des associations telles que Architectes de l’urgence, Karuna ou Handicap international.
Merci

Témoignage d’une maman (auxilliaire de puériculture)

Reçu à Pédiadol en août 2011


Mon fils âge de 18 mois a été hospitalisé en chirurgie dans un CHU en mars dernier pour une malformation de l’urètre.
À sa sortie du bloc, il était perfusé au bras gauche (sans bandage tout était apparent seulement un visulin) du côté droit une sonde était reliée à son pénis.
Le chirurgien et anesthésiste m’avaient prévenu que le lendemain de l’opération il pourrait de nouveau jouer car tout serait bien « emballé » par des bandes afin que mon fils ne soit pas tenté de tout enlever.
À sa sortie du bloc vers 17 h, mon fils réclamait mes bras. Une personne (j’ignore son statut, personne ne se présentait) m’installe mon fils sur mon lit en prenant soin de bien poser les différentes tubulures et sondes. Mon fils ne pleure plus et s’endort calmement dans mes bras.
2 h après, une IDE (je l’ai lu sur sa blouse) hausse le ton en me disant que si je faisais tomber mon enfant elle était responsable.
Elle me reprend mon fils des bras qui dormant n’a pas compris ce qui se passait. Il se met à pleurer et se débattre au risque de retirer sa perfusion et sa sonde.
Elle sort dans le couloir et crie « Amène-moi les menottes ! ». J’étais choquée de son comportement envers nous et notre fils ainsi que de ses propos. Elle a décidé de le contentionner jusqu’au lendemain midi car je ne supportais plus de le voir pleurer et se débattre. Il m’appelait et dès que je m’approchais il me repoussait, je l’ai traduis en « maman j’ai besoin de toi mais vas t’en tu les laisses faire… ! » J’ai très mal vécu en tant que maman ainsi que mon mari et mon fils ce moment. Nous gardons un très mauvais souvenir de son hospitalisation. Il aura fallu 15 jours pour que mon fils accepte la position allongé (un simple change de couche) sans hurler et se débattre. C’est scandaleux !!
Pourquoi arracher l’enfant des bras de sa mère alors qu’il était calme pour le contentionner ensuite ? Mauvaise coordination de l’équipe ? Aucun dialogue ? Non-respect du confort l’enfant ?

Témoignage d’une infirmière en néonatalogie

Reçu à Pédiadol en juillet 2011


Infirmière en néonatologie ayant été le témoin passif d’un évènement dérangeant d’un point de vue éthique et personnel, il me semble être de mon devoir de partager cet incident avec mes pairs d’autant plus que je culpabilise énormément de ne pas être intervenue prise par une espèce d’état de subjugation.
J’ai essayé d’être factuelle. Les termes entre guillemets sont volontairement laissés en l’état afin de retranscrire le ton du service et les abréviations sont du vocabulaire de terrain. Certains éléments ont été modifiés afin de préserver l’anonymat du lieu et des personnes.
Nous sommes dans un centre hospitalier de province de taille moyenne.
Le service de néonatologie est de taille humaine avec de jolies couleurs sur les murs, des photos gaies, des affiches Pédiadol dans les salles réservées au personnel soignant, plusieurs membres reviennent d’une formation sur la prise en charge de la douleur et le discours des pédiatres est volontiers axé en faveur des soins de développement.
Notre petite patiente de 15 jours est porteuse d’une affection génétique rare avec un pronostic vital court.
Sa maman, avertie du pronostic et qui semble avoir bien compris le diagnostic, commence peu à peu à prendre conscience du devenir de son enfant dans une attente anxieuse. Elle demande l’intervention d’un membre du culte pour procéder à son baptême afin qu’elle soit "prête pour son départ". Pour l’instant personne ne peut prédire ce "départ", peut-être demain ou au cours des 12 prochains mois… En tout cas on informe la maman de ne pas quitter le service trop longtemps.
Ce matin l’état de l’enfant se dégrade : le diagnostic de décompensation cardiaque avec OAP est posé par le pédiatre qui nous annonce que cette enfant est maintenant un cas de soins palliatifs. L’enfant présente des signes cliniques de souffrance. Le pédiatre prescrit une dose unique de diurétique en IV, mais l’on préfère, en vue de sa dégradation future, et ce pour lui épargner trop d’effractions cutanées, de lui poser une VVP.
Par ailleurs, au vu de sa douleur manifeste (mesurée par une échelle de douleur reconnue), on attend les effets du diurétique qui seront dans l’après-midi, si insuffisants, relayés par un antalgique.
Le décor est posé : nous sommes dans le soin palliatif, le diurétique est pour la soulager.

On prépare tout le matériel pour la pose de la VVP y compris la petite seringue de G30 % et la tétine sèche. Chacune a sa mission dont celle de tenir l’enfant pendant le geste. Nous lui administrons le glucosé dans la bouche. Elle s’agite et proteste mais comme, en personnel averti sur la douleur, nous savons que sans la tétine sèche, le glucosé fonctionne moins, on lui force la tétine sèche dans la bouche. Elle ne veut pas téter mais "Allez Loulou c’est pour te faire du bien", on lui tient la tétine appuyée dans la bouche tandis qu’il crie et essaie de communiquer son refus. On la maintient encore un peu plus fermement, puis on la contient, nous sommes quatre autour de lui :

  • Première tentative (environ 30 secondes après l’administration du glucosé) : on ne trouve pas la veine, on "trifouille" beaucoup et longtemps sous la peau de son crâne, bien entendu pour la piquer le moins de fois possibles.
  • Deuxième tentative, idem mais derrière l’oreille : à force de "trifouiller" du sang apparaît dans le KT, on injecte franchement du sérum phy, "Ha ben zut elle a pété" les tissus sont engorgés de sérum phy autour du point de ponction. Le site restera œdémateux et bleuté le lendemain.
  • On passe le relais à une collègue expérimentée :

    "Ah ben tant pis y a plus de G30 dans la seringue, bah on va faire vite !!" : et voilà trois tentatives de plus avec du "trifouillage", lui-même également beaucoup plus expérimenté… "Oh toi tu commences à me mettre de mauvaise humeur" dit-on à l’enfant.

    Une EIDE présente dans le box doit sortir "purée c’est violent" dit-elle. "Ha ben pourtant il est pas bien méchant" dit une infirmière, car l’enfant maintenant se "laisse faire", elle semble s’être endormie, elle ne fait "juste" que gémir. "Ça fait du bien quand il s’arrête de crier"

  • On appelle le pédiatre qui lui ajoutera deux tentatives avec moins d’égard et de douceur que l’infirmière expérimentée… "Ha ben tu sais, c’est les médecins".

Après sept tentatives au total (au départ pour une dose de diurétique dans un contexte palliatif), dont aucune n’aboutira à la pose d’une VVP, on finit par lui injecter dans une veine en IVD.

On remet l’enfant dans son berceau, elle dort profondément avec le visage froncé et le corps crispé.

L’enfant est porteuse d’une sonde gastrique et ledit diurétique existe sous la forme de sirop…

Commentaires Pédiadol : Ce témoignage décrit avec une vérité implacable une situation que nous avons tous (soignants en pédiatrie) sans doute déjà connue.

Il pose de manière aiguë deux questions :
Comment peut-on en arriver là ? Et qu’aurait-on pu faire ?
Premier constat, cette situation est loin d’être exceptionnelle. Ainsi dans l’étude Epippain qui a colligé tous les gestes douloureux chez des nouveaux nés en réanimation, on voit que les ponctions artérielles, les poses de voie veineuse, de cathéter central percutané sont le plus pourvoyeuses de tentatives multiples.
Cette équipe qui applique bien, dans un premier temps, les protocoles antalgiques préconisés par Pédiadol (solutions sucrées, changement de professionnel après deux tentatives infructueuses…) va secondairement entrer dans une spirale infernale où l’acte doit être réalisé "coûte que coûte" en dissociant la réalisation du soin des effets délétères douloureux et émotionnels majeurs pour l’enfant.
Il serait simple "à froid" de pointer que cet enfant en phase palliative n’aurait pas dû être l’objet d’un tel acharnement (cf. Loi Léonetti), et que l’infirmière peut et doit dans cette situation refuser d’exécuter la prescription dans de telles conditions. Mais la "vraie vie" est plus complexe, il est exceptionnel que des soignants se positionnent ainsi. Notre culture hospitalière ne nous a pas préparé à faire face à de tels dilemmes ; il est donc important que de tels cas cliniques soient régulièrement discutés en équipe pour réfléchir ensemble sur les réponses à y apporter ; et particulièrement de préciser quand est il légitime d’arrêter un soin, un acte. Pédiadol a initié cette démarche par la réalisation d’audit sur l’utilisation de la contention lors des soins douloureux. Les niveaux de contention majeurs parfois observés sont aussi de très bons indicateurs de situation où l’arrêt du soin doit être discuté.

Témoignage d’une maman (puéricultrice)

Reçu à Pédiadol en juillet 2011


Je suis infirmière puéricultrice dans un CHU. Mais je souhaite faire part de mon expérience de maman.

En septembre 2010, mon fils de 33 mois a fait une chute à la maison ; il est tombé du fauteuil du bureau et s’est cogné la tête contre le bord d’une étagère. Il y a eu une plaie ouverte qui saignait ++. Il était conscient. J’ai fait une compression de la plaie. Ayant peur de séquelles éventuelles, je ne lui ai administré aucun antalgique à la maison…
Je l’ai emmené aux urgences pédiatriques.
Là l’infirmière d’accueil m’a demandé s’il avait mal… Je lui ai dis que je pensais que oui mais il n’y a pas eu d’évaluation de la douleur appropriée. Elle m’a donné du paracétamol. Mais il n’a pas voulu l’avaler… je n’ai pas voulu insister de suite.
Puis nous avons été dans un box de consultation où une externe l’a examiné. Mon fils ne se laissait pas faire ; il était un peu agité…
Puis l’interne est venu ; l’examen s’est mieux passé puisqu’il l’a distrait… (J’ai retenté de donner le paracétamol à mon fils mais sans réussite. Et l’infirmière n’a pas essayé non plus.)
Il me dit qu’il faut fermer la plaie avec des agrafes.

Je lui demande donc l’utilisation du MEOPA, il me répond par la négative une 1re fois. Et sort de la pièce.
Quand il revient je réitère ma demande. Et il refuse toujours, je lui demande pourquoi. Il me répond que le temps de respirer dans le masque puis de faire la suture ce sera trop long par rapport au fait de lui faire la suture sans rien. Je lui répète mon désaccord.
Puis là entre une infirmière… elle m’explique qu’elle va tenir mon fils et hop elle prend mon fils sur ses genoux, le contient et l’interne lui pose les agrafes…
Il est sûr que le geste n’a duré que 2 min…
Mais moi je n’ai rien fait de plus… j’ai été témoin passive de cette contention.
Et je le regrette… j’aurais dû refuser le soin sans antalgiques. D’autant plus que je suis référente douleur dans mon service… j’aurais dû insister…
Le lendemain je suis quand même allée voir le cadre de santé du service afin de lui signaler qu’il n’y avait pas eu d’évaluation de la douleur et qu’en plus il n’y avait eu aucune prise en charge antalgique.
A priori les pratiques ont évolué dans ce service puisque les sutures se feraient sous MEOPA de manière systématique, et utilisation de la distraction.

Témoignage et questionnement d’une étudiante en IFSI

Reçu à Pédiadol en septembre 2008


Alors qu’en 2e année j’effectue mes derniers jours de stage en hospitalisation à domicile avec les puéricultrices, nous sommes appelés en urgence par la cadre du service car Margot s’est arraché son bouton de gastrostomie.
Margot est une petite fille de 2 ans, que je connais de la veille, chez qui les puéricultrices passent tous les matins pour environ 2 h de soins. Elle est atteinte d’une épidermolyse bulleuse. Cette  maladie génétique de la peau se traduit par une fragilité excessive de celle-ci et la formation de "bulles" ou vésicules épidermiques à chaque traumatisme minime.
Chaque matin, nous défaisons ses pansements, recouvrant la totalité de son corps, sauf le visage ; nous surveillons l’apparition de nouvelles vésicules et les perçons pour diminuer le risque d’infection de celles-ci. Puis nous donnons un bain désinfectant à Margot et lui refaisons ses pansements.
Étant très douloureuse, nous lui administrons des antalgiques et sédatifs avant les soins (laissant agir le temps de préparer tout le matériel).
Margot ne paraît pas avoir 2 ans. En effet, très grande et vigoureuse pour son âge, elle a également des attitudes et le langage d’une enfant de 4 ans. Il m’est donc difficile d’aborder cette petite fille qui en plus d’un fort caractère, a des habitudes qu’elle n’aime pas voir changer. De plus elle est très "capricieuse" et exigeante avec sa mère et les soignants, tellement qu’elle m’est décrite avant de la connaître comme la "reine Margot" ou encore l’enfant tyran. Elle connaît très bien sa maladie, ses médicaments et traduit ses sensations sans problème. Ainsi, lorsque je lui enlève ses pansements, elle me guide en me disant "aïe ! ça tire, fais doucement !" ou encore "non tu perces pas la bulle, j’ai pas envie !".
Sa pathologie touchant également les muqueuses, Margot présente des troubles alimentaires et est donc supplémentée à ce niveau là chaque nuit par gastrostomie. Il faut savoir que cette dernière lui a été posée 3 mois auparavant pour son confort, mais n’est finalement pas du tout confortable car elle est très douloureuse au niveau de celle-ci. Tout soin de sa gastrostomie est donc très difficile.
Nous arrivons environs 30 minutes après l’appel de la cadre du service nous informant que le bouton de gastrostomie de Margot est tombé. Elle est maintenue allongée par sa mère, comme il lui a été conseillé en attendant notre arrivée. Elle paraît très énervée et nous voir la fait immédiatement pleurer. Je suppose qu’elle a déjà compris ce que nous allons lui faire et anticipe sa douleur. Sa mère qui est près d’elle semble vraiment dépassée par la situation et aussi angoissée que Margot.
Nous observons que la stomie de Margot a déjà commencé à se refermer et il est donc urgent de reposer un bouton, elle sera hospitalisée pour cela (ce que sa mère et elle ne veulent absolument pas lorsque nous leur proposons).
Nous n’avons donc pas le temps de donner des sédatifs et antalgiques à Margot et d’attendre que ceux-ci agissent pour effectuer ce soin invasif.
Margot se débat fortement, elle crie, pleur, refuse qu’on le touche. Il est donc très difficile pour la puéricultrice d’effectuer le soin. Alors que Margot demande un "câlin" à sa mère (certainement pour se rassurer), celle-ci décide de lui maintenir les bras et le haut du corps plaqués sur le lit (ce que je trouve assez violent compte tenu de la demande inverse de l’enfant mais également de sa fragilité cutanée).
Margot continue malgré cela de se débattre. Elle donne des coups de pieds et décolle son bassin tout en hurlant de douleur quand la puéricultrice parvient à toucher sa stomie. Elle bouge trop et à chaque fois que la sonde est posée, elle ressort. Une seule douleur devient donc plusieurs douleurs répétitives ; mais Margot ne veut rien entendre, la douleur est trop forte.
Sa mère me demande donc de maintenir ses jambes, ce que je fais à contrecœur et sans forcer de peur de lui faire un peu plus mal, en lui lésant en plus sa peau, si fragile. Mais pas suffisamment maintenue, elle bouge encore trop. Je finis donc par la tenir fortement sous la demande de sa mère.
Margot nous supplie de la lâcher, d’arrêter de lui faire mal, de la laisser tranquille tout en hurlant et pleurant.
Il m’est très difficile de supporter la douleur de cette enfant. Douleur que je ne calme absolument pas puisqu’au contraire, je risque de la blesser davantage en effectuant cette pression sur ses jambes. Ce soin me paraît, pour Margot, plus douloureux que sa maladie elle-même. Ma représentation de l’infirmière luttant inlassablement au soulagement de la souffrance  s’écroule. Je me sens maltraitante, violente, même si le but de tout cela est de le soigner.
Mes questions

  1. Quelles sont les conséquences de cette douleur chez l’enfant ?
  2. Quelle place occupe cette douleur dans la relation mère-enfant ? Soignant-enfant ?
  3. En raison de l’urgence, "le passage en force" d’actes douloureux chez un enfant hyperalgique n’est-il pas une forme de maltraitance ?
  4. Violence pour l’enfant, pour la mère et pour le soignant. En quoi peut-on encore parler de soin ?

Question finale (beaucoup de difficultés pour moi à formuler cette question) : en quoi un soin potentiellement douloureux et insuffisamment préparé auprès d’un enfant hyperalgique et du parent peut-il devenir violent ?

Témoignage d’une élève infirmière

Reçu à Pédiadol en février 2007


Je suis élève en 3e année d’école d’infirmières. J’avais un projet professionnel en pédiatrie depuis de nombreuses années : en effet, j’ai repris mes études sur le tard, aujourd’hui, à 30 ans mon projet professionnel est plus que réfléchi… Pourtant, après avoir fait un stage dans un grand hôpital pédiatrique, j’ai changé de projet. J’ai assisté à des scènes insupportables pour moi : des enfants que l’on maintient pendant plus de trois quarts d’heure pour poser une voie veineuse, des hurlements dont ces enfants se souviendront toute leur vie, des réflexions désobligeantes de la part de l’équipe soignante (parce que la maman est livide lorsqu’on lui rend son enfant : cela fait une demi-heure qu’elle l’entend hurler)… J’ai conscience que l’on ne peut pas toujours faire comme on veut, mais toutes ses situations ne rentraient pas dans le cadre de l’urgence. Aujourd’hui, on dispose de moyens pour sinon empêcher la douleur, au moins l’atténuer ! L’ENTONOX® est aujourd’hui protocolisé, et peut être utilisé en toute sécurité, les patchs d’EMLA® ne sont pas utilisés parce qu’ils compliquent le repérage de la veine… À quel moment ces infirmières se sont elles mises à la place de l’enfant ? Des parents ? À l’école, on nous parle de l’empathie… Je pense que pour faire un bon soignant, on devrait enfiler l’empathie, comme on enfile notre blouse blanche tous les matins.

« Maltraitance » institutionnelle ?
Le témoignage d’une maman sur la prise en charge de la douleur aux urgences


Reçu à Pédiadol en octobre 2005


Il y a quelques jours (samedi 15 octobre), Alexandre, un copain de mon fils, est venu jouer chez nous. En tombant bêtement contre l’arête du mur, il s’est entaillé le cuir chevelu, sur 3-4 centimètres.
Sa maman et moi emmenons le petit aux urgences. La maman est américaine et parle mal le français.
Dans la voiture, il est paniqué. « J’ai peur », « ils vont me faire mal »… Nous tentons de le rassurer au mieux.
En arrivant, nous sommes soulagées de constater que la salle d’attente est vide. L’enfant est admis immédiatement et installé en salle de soin.

Là, je préviens l’infirmière : « il a très peur ». Alexandre ne dit rien. Il est calme. Juste tout blanc. Il tremble un peu et nous le couvrons d’un drap en supposant qu’il a froid car ses mains sont glacées. Intérieurement, j’espère qu’on lui donnera du Kalinox, ce gaz « euphorisant » que mon fils avait eu quand on l’avait plâtré, il y a quelques mois. Mais l’infirmière ne répond que « ah bon ? » à ma remarque sur le stress de l’enfant. Je n’ose rien ajouter.

Deux infirmières commencent à nettoyer la plaie. A l’eau d’abord. Puis à la Bétadine. Gestes froids, techniques. Pas un mot de réconfort. Je me rends compte que comme la maman est américaine, les infirmières pensent peut-être que le petit garçon ne parle pas français (de père français et vivant en France, Alex parle aussi bien que moi). Je leur redis que le petit parle parfaitement notre langue…
Mais elles m’écoutent à peine, n’expliquent rien, ne le rassurent pas, ne font pas de pause pour laisser la plaie « souffler ». L’enfant commence à pleurer, à se débattre, il a mal. Il faut enlever les cheveux de la plaie. Il crie. L’infirmière se préoccupe seulement que sa maman lui tienne bien les mains.

Je demande à l’infirmière s’il va avoir du Kalinox. Elle me dit, sans même prendre la peine de me regarder, que c’est le médecin qui décidera.

Le médecin arrive justement alors qu’Alex est en train de se débattre. L’enfant est affolé.
Je suis rassurée de reconnaître le médecin qui avait soigné mon fils avec tant d’humanité quelques mois auparavant. A force de plaisanteries et de questions anodines, l’équipe avait réussi à le faire rire pendant qu’on lui plâtrait le poignet.
Mais là, à peine arrivé, le docteur attrape une grosse agrafeuse, comme celle que j’ai sur mon bureau.

Chtak, il agrafe la plaie, à vif, encore endolorie par le nettoyage. Alex écarquille les yeux de surprise, d’effroi et de douleur, son corps se cabre. Il dit « s’il vous plaît, s’il vous plaît ».

J’ai envie de pleurer. Je sais que ce n’est que le début : vu la taille de la plaie, il va falloir plusieurs agrafes. Deux infirmières contiennent l’enfant. Pour elles, j’imagine que c’est du quotidien. L’habitude.
Chtak, une deuxième, chtak une troisième. Alex ne crie plus, il râle. Un son rauque.
Chtak quatrième. Je me sens tellement impuissante. Je hasarde : « et dire qu’on lit des jolis articles sur l’amélioration de la prise en charge de la douleur chez l’enfant. Quel décalage entre les articles et la vraie vie ! »… Chtak cinquième. La maman d’Alex est pétrifiée. Chtak sixième.

Chtak septième agrafe.
C’est fini. La honte. Je m’en veux de n’être pas intervenue. La maman réconforte son bonhomme comme elle peut. Quand je me mets en colère, le médecin me dit « on va lui donner un antalgique maintenant ». Petit sourire mi-fatigué, mi-condescendant : « bah, il oubliera vite » me dit-il.
Je redouble de questions. Il se justifie : on ne donne pas de gaz euphorisant à un enfant qui est déjà énervé (mais n’envisage même pas d’attendre les deux minutes nécessaires à ce qu’il se calme). Je rappelle que l’enfant était calme à son arrivée, et qu’on aurait pu lui donner du Kalinox dès le début. L’infirmière me rétorque sèchement « on ne va quand même pas faire une anesthésie juste pour nettoyer la plaie ! ». Non. Bien sûr. Pas juste pour nettoyer la plaie. Mais pour la suturer ?
Si Alexandre avait été adulte, est-ce qu’on ne lui aurait pas fait une anesthésie locale ? Pourquoi pas chez l’enfant alors ? Je comprends qu’on n’envisage pas l’anesthésie pour une agrafe ou deux, parce que la douleur de la piqûre sera à peu près équivalente à celles des agrafes, mais pour sept ?
Dans notre pays où pour la moindre petite carie dentaire on se retrouve avec la moitié du visage anesthésié pour 2 heures, on plante l’agrafeuse dans la plaie à vif d’un petit bonhomme de cinq ans. Sept fois. Forcément, lui, on peut bien le maintenir, avec ses vingt kilos tout mouillé. C’est si facile de l’immobiliser et de bien lui tenir les mains. Alors le fait qu’il ait mal ne dérange personne.

Delphine Guichard le 28 octobre 2005

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