Dr Daniel Annequin
Dr Barbara Tourniaire
Dr Edith Gatbois

       Mise au point (2006)

 


 

La migraine : première cause de céphalée primaire
Parmi les grandes variétés de céphalées et algies faciales répertoriées par la l’International Headache Society IHS (encadré 1), quatre types de céphalées sont dites primaires (sans cause identifiée), les autres sont des céphalées secondaires dont le traitement curatif repose sur le traitement étiologique (traumatismes crâniens, affections vasculaires, tumeurs, méningites, etc.)
Les céphalées primaires sont de loin les plus fréquentes et parmi celles-ci, la migraine et la céphalée de tension sont situées en tête.

Céphalée primaire
– Migraine
– Céphalée de tension
– Algie vasculaire de la face
– Autres bénignes idiopathiques (céphalée de toux, d’effort, etc.)
Céphalée secondaire
– Traumatismes crâniens
– Affections vasculaires cérébrales (AVC, hémorragie, malformation, etc.)
– Tumeurs, hypotension du liquide cérébro-spinal
– Origine médicamenteuse, toxique (abus, etc.)
– Infections (méningites, etc.)
– Trouble de l’homéostasie (hypertension artérielle, dialyse, hypoxie, anémie, fièvre, etc.)
– Anomalie des structures faciales ou crâniennes (sinusite, glaucome)

– Troubles psychiatriques (dépression, troubles somatoformes, troubles panique, etc.)
Encadré 1 : Classification générale des céphalées

Identification d’une crise migraineuse chez l’enfant
Les signes cliniques de la migraine de l’enfant sont proches de ceux de l’adulte. En 1988, l’International Headache Society (IHS) avait publié les critères diagnostiques pour la migraine de l’adulte et de l’enfant. Leur actualisation a été réalisée en 20041 (encadré 2) : les deux différences par rapport aux critères de l’adulte sont :
le seuil de la durée des crises est plus court (1 heure) que chez l’adulte (4 heures) ;
la céphalée est le plus souvent frontale et/ou bilatérale contrairement à l’unilatéralité observée chez l’adulte. 

 

Encadré 2 : Critères IHS diagnostiques de migraine sans aura
(actualisation 2004)
A Au moins 5 crises répondant aux critères B – D
B Crise d’une durée de 1 à 48 heures
C La céphalée présente au moins deux des caractéristiques suivantes :

  • Localisation bilatérale
  • Pulsatile
  • Intensité modérée ou sévère
  • Aggravation par l’activité physique
D Durant la céphalée, au moins une des caractéristiques suivantes :

  • Nausée ou vomissement
  • Photophobie ou phonophobie
E Exclusion par l’anamnèse, l’examen clinique et neurologique, éventuellement par des examens complémentaires, d’une maladie organique pouvant être la cause de céphalées.

Schématiquement, la migraine est une céphalée sévère évoluant par crises stéréotypées avec souvent des signes digestifs marqués (nausées voire vomissements), un caractère pulsatile et une pâleur importante avec des cernes oculaires. Une phonophobie, une photophobie sont très souvent retrouvées. Durant les crises migraineuses, l’intensité douloureuse est élevée, les enfants arrêtent souvent leur activité, pleurent dans la moitié des cas. Parfois des douleurs abdominales sont associées ainsi que des vertiges. Le sommeil est bien souvent réparateur. Le handicap social est réel, il est associé à un absentéisme scolaire important (7 jours par année chez la moitié des enfants de la cohorte de Trousseau).
La crise est accompagnée d’une aura dans 30 à 40 % des cas, définie comme un trouble neurologique focal réversible, et dont l’expression est variable selon la zone cérébrale touchée :

  • troubles visuels (phosphènes, scotome scintillant, zone floue, taches colorées, images déformées, etc.), les plus fréquents ;
  • troubles sensitifs (paresthésie : fourmillements le plus souvent sur les mains, les pieds, les membres) ;
  • troubles moteurs (engourdissement, diminution de la force musculaire) ;
  • troubles auditifs : sifflement, bourdonnement, hallucinations auditives à type de voix qui appellent l’enfant.

Ces auras peuvent survenir avant la céphalée, ce qui est classiquement décrit, mais aussi pendant la céphalée (situation la plus fréquente en pédiatrie). Elles sont très rarement signalées spontanément par l’enfant et doivent être recherchées à l’interrogatoire : vois-tu des choses bizarres avant ou pendant les crises de migraines ? Entends-tu des choses bizarre ?…

Une pathologie fréquente et méconnue
La pathologie migraineuse représente la première cause de céphalées récurrentes de l’enfant. La prévalence de la migraine se situe entre 5 et 10 % chez l’enfant2 3 et entre 15 et 20 % chez l’adulte. Les mêmes chiffres de prévalence se retrouvent dans les autres pays (Finlande, Grande Bretagne, Italie, Grèce, Turquie, Iran, Arabie Saoudite, etc.)
Le pronostic est le plus souvent favorable : le suivi pendant 40 ans d’une cohorte de 73 enfants migraineux a montré que 62 % des patients ne présentaient plus de migraine lorsqu’ils étaient adultes jeunes ; après l’âge de 50 ans, 46 % continuaient de présenter des migraines, 36 % demeurant de grands migraineux4.
L’analyse du recrutement de notre consultation spécialisée (Hôpital Trousseau) montre que sur 3 054 enfants (vus entre mars 1997 et mai 2005), la moyenne d’âge est de 11 ans, 33 % sont âgés de plus de 12 ans et 6,5 % ont moins de 6 ans. L’âge moyen de survenue de la maladie est de 6,7 ans. Les enfants de plus de 12 ans (vus à notre consultation) ont des crises plus graves que celles des plus jeunes : les crises sont beaucoup plus longues, leur fréquence est 3 fois plus élevée, les auras sont plus fréquentes, la douleur tend à s’unilatéraliser.

Physiopathologie
Les connaissances sur la physiopathologie de la migraine se sont considérablement développées depuis 10 ans. L’origine génétique est de mieux en mieux connue. Le genèse familiale apparaît évidente lors de consultations où plusieurs générations sont touchées.
Dans la migraine hémiplégique familiale, trois gènes de susceptibilité ont été trouvés sur les chromosomes 1, 19, 2 ; ils codent pour un canal calcique (CACNA1A) ou sodique (ATP1A2 et SCN1A). L’hyperexcitabilité corticale et l’activation du tronc cérébral observés dans les autres formes de migraine sont très probablement liées à cette anomalie de la perméabilité membranaire neuronale. Les études en IRM fonctionnelle ont permis d’objectiver que la dépression corticale propagée (MA) est la base biologique qui sous-tend l’aura. La stimulation associée à une inflammation du système trigéminovasculaire demeure à la base du processus migraineux. Au total, même si plusieurs éléments demeurent obscurs, on peut affirmer que la migraine est une maladie neurovasculaire polygénique multifactorielle complexe intriquant des facteurs génétiques et environnementaux.

Ananmnèse
Le diagnostic de la migraine peut se faire facilement en écoutant l’enfant et ses parents décrire les crises et grâce à un examen complet de l’enfant (réflexes, pression artérielle, etc.). Il n’est pas nécessaire de voir l’enfant en pleine crise, ni de lui faire passer d’examens complémentaires (scanner, EEG, radio, etc.).

Antécédents familiaux
Ils facilitent le diagnostic. Parfois, certains parents peuvent ne plus présenter de crises alors qu’ils en présentaient 20 ans auparavant. Il faut alors remonter l’histoire familiale pour rappeler les souvenirs d’enfance. Par ailleurs, un tiers des migraineux adultes ne savent pas qu’ils sont migraineux : soit des pseudo-diagnostics de « crise de foie », « crise de sinusite » leur ont été donnés, soit leur céphalée reste bénigne car elle répond vite aux antalgique simples alors qu’elle pourrait devenir sévère en l’absence de traitement.

Profil des crises

 

 

  • L’enfant arrive-t-il à distinguer un petit mal de tête qui lui permet de continuer ses activités habituelles de la grosse crise qui l’oblige à cesser toute occupation ? Ce sont des céphalées de tension, très souvent associées aux migraines. Cette association céphalée de tension – migraine provoque souvent des errances diagnostiques et des erreurs thérapeutiques. Il est important d’emblée, lors de la première consultation, de bien distinguer les deux.
  • Quelle est la durée des crises les plus fortes (les crises de migraine) ?
  • Quelle est la fréquence des maux de tête ? Fréquence des crises migraineuses, et fréquence des céphalées de tension.

Caractéristiques des crises

 

 

  • Le mal de tête est-il d’un seul côté du crâne (unilatéral) ?
  • Le mal de tête est-il bilatéral ou central ?
  • La douleur est-t-elle pulsatile (comme le cœur qui bat) ?
  • Y a-t-il des pleurs pendant le mal de tête ?
  • La douleur est-elle exacerbée par l’activité physique (monter les escaliers, courir, etc.) ?
  • Existe-t-il une envie de vomir (nausées) ?
  • Y a-t-il des vomissements ?
  • Le bruit est-t-il pénible ?
  • La lumière est-elle pénible ?
  • Un mal de ventre est-il associé au mal de tête ?
  • Des vertiges accompagnent-ils le mal de tête ?
  • L’enfant est-il pâle, les yeux sont-ils cernés ?
  • L’enfant recherche-t-il le sommeil ?
  • Une amélioration se retrouve-t-elle au réveil ?
  • Existe-t-il une aura ?
    • L’enfant ou l’adolescent voit-il des choses « bizarres » (taches brillantes, vision floue, colorée, déformée) avant le début du mal de tête ?
    • L’enfant ou l’adolescent entend-il des bruits, des sons, des voix ?

Les 3 temps de la consultation initiale

1. Anamnèse, antécédents médicaux, description des crises, identification des facteurs déclenchants, efficacité des traitements, examen clinique, prise de la pression artérielle.
2. Recueil des données psychosociales : niveau d’anxiété, soucis familiaux, scolaires, etc.
3. Information, explication, éducation du patient et des parents.

  • Poser clairement le diagnostic de migraine
  • Comment éviter les facteurs déclenchants (stress, etc.)
  • Comment reconnaître la crise migraineuse de la céphalée de tension
  • Comment gérer les médicaments ; tenir l’agenda de la migraine.

La céphalée de tension
Elle est moins fréquente chez l’enfant que chez l’adulte, elle correspond à une céphalée moins intense, survenant volontiers en fin de journée ; elle est souvent liée au « stress », à la fatigue : céphalée présente le soir, à la sortie de l’école, etc. ; très souvent, on retrouve surtout une tension psychologique. Cette céphalée de tension est rarement isolée. Elle est fréquemment associée à de véritables crises migraineuses ; ces tableaux mixtes sont souvent source de confusion diagnostique. L’analyse sémiologique doit alors se concentrer sur les crises dont l’intensité est la plus sévère ; ceci permet de poser le diagnostic de migraine associée. Il est primordial que l’enfant et son entourage fassent bien la distinction entre ces deux types de céphalées. Les explications données en consultation à ce sujet sont importantes et conditionnent la bonne prise en charge thérapeutique. En effet, le traitement de ces deux céphalées est foncièrement différent : traitement pharmacologique systématique pour les migraines mais abstention médicamenteuse pour les céphalées de tension. Le repos, une prise alimentaire, permettent souvent de soulager ces céphalées de tension.

La céphalée quotidienne
La céphalée chronique quotidienne (CCQ) résistante à tous les antalgiques habituels se rencontre plus rarement chez l’enfant, elle apparaît le plus souvent liée à une pathologie relationnelle familiale, à des troubles psychologiques, voire à un trouble dépressif. Cette CCQ survient souvent sur un terrain migraineux réel avec quelquefois des crises de migraine non identifiées au préalable. Lors de la consultation, il est important de revenir en arrière sur les crises ayant précédé la période de céphalée chronique. Durant la CCQ, les traitements de crise de la migraine sont souvent des échecs. Le traitement de la CCQ fera appel parfois à des traitements de fond de la migraine, et surtout à une prise en charge psychologique et psycho-corporelle (relaxation, auto-hypnose). Passée la période de CCQ, le traitement sera à nouveau celui des crises de migraine.
La céphalée induite et renforcée par un abus médicamenteux est bien connue chez l’adulte, elle est maintenant également décrite chez l’adolescent. Elle se traduit par des prises quotidiennes et continues d’antalgiques malgré l’absence de soulagement. Un sevrage médicamenteux doit être réalisé.

Facteurs déclenchants
Une erreur rencontrée très fréquemment consiste à confondre les facteurs déclenchants et la cause de la migraine dont l’origine génétique est maintenant de mieux en mieux documentée.
Il est essentiel lors de la consultation initiale de les rechercher systématiquement pour apprendre à l’enfant et à la famille à les identifier et éventuellement les éviter.

Stimulations sensorielles

  • Chaleur
  • Lumière intense
  • Bruit intense
  • Froid
  • Odeurs fortes (parfum, peinture, etc.)

Sport, effort

  • Endurance, effort physique intense, agitation
  • Piscine
  • Position tête en bas : roulades, etc.
  • Chocs sur la tête (judo, tête au foot, etc.)

Facteurs émotionnels, stress

  • Contrariétés, émotions ; excitation associée à une fête d’anniversaire, colère, dispute avec les parents ou la fratrie, contrôle scolaire, rentrée des classes, etc.

Divers

  • Transports
  • Concentration scolaire
  • Hypoglycémie : la sensation de faim, le jeûne ou le repas décalé déclenchent une céphalée
  • Manque ou excès de sommeil (grasse matinée, etc.)
  • Épisodes de fièvre

Les aliments sont exceptionnellement en cause : le chocolat n’est quasiment jamais retrouvé chez l’enfant. La chute des oestrogènes en fin de cycle, très souvent responsable de crises chez la jeune femme (migraine cataméniale), n’est quasiment jamais retrouvée chez la jeune fille.

Equivalents migraineux
Certains syndromes récurrents de l’enfance sont considérés par l’International Headache Society comme des précurseurs ou des équivalents de crise migraineuse : le vertige paroxystique, la « migraine abdominale », les vomissements cycliques ; la migraine abdominale et la migraine céphalalgique présentent beaucoup de similitude concernant l’allure clinique (mêmes facteurs déclenchants, même évolution) et le traitement.

CRISE DE VERTIGE PAROXYSTIQUE BENIN

  • Accès brusque de vertige sévère durant de quelques minutes à quelques heures avec résolution spontanée. Un nystagmus et des vomissement peuvent être présents.
  • L’EEG et l’examen neurologique sont normaux.

CRISE DE MIGRAINE ABDOMINALE

  • Durée de 1 à 72 heures.
  • Douleur d’intensité modérée ou sévère.
  • De caractère sourde ou irritative.
  • De localisation médiane ou péri-ombilicale ou mal localisée.
  • Possédant 2 des 4 caractéristique suivantes :
    • Pâleur
    • Perte d’appétit
    • Vomissements
    • Nausées.

CRISE DE VOMISSEMENT CYCLIQUE

  • Accès épisodiques et stéréotypés d’intenses nausées et vomissements dont la durée varie de 1 à 5 jours.
  • 4 épisodes de vomissement par heure pendant une heure au moins.
  • Aucune autre manifestation entre les crises.

Les pièges
La localisation

Outre dans la région frontale, des douleurs situées autour de l’œil, la racine du nez sont fréquemment rencontrées dans la maladie migraineuse : elles correspondent au territoire du trijumeau à l’origine de la douleur migraineuse.

Les signes d’appel

Les troubles de la vision (aura visuelle, photophobie, etc.) égarent trop souvent vers une origine ophtalmologique. Les signes digestifs (vomissement massifs), les troubles vestibulaires (crises vertigineuses) peuvent être au premier plan, ils focalisent alors la démarche diagnostique. Des formes comportant une perte de connaissance initiale sont également connues. Ces crises brutales posent le problème du diagnostic différentiel avec l’épilepsie.
La fièvre5 6 peut elle-même déclencher une céphalée mais sa présence oriente bien entendu vers un syndrome méningé ; toutefois certains patients présentent durant la crise des troubles végétatifs de la régulation thermique avec hyperthermie ou hypothermie.

Formes rares de migraine de l’enfant
Des formes spectaculaires : ataxiques, hémiplégiques, parésiques, confusionnelles, apraxiques peuvent être observées chez l’enfant et chez l’adolescent : elles constituent parfois des manifestations inaugurales et nécessitent alors des explorations approfondies pour éliminer une lésion sous-jacente.

L’adolescent dépressif
Une cause psychologique (phobie scolaire, etc.), une dépression peuvent être suspectées chez des adolescents dont la seule plainte physique est une céphalée massive continue souvent jalonnée d’authentiques crises migraineuses accompagnée d’un absentéisme scolaire important.

Examens complémentaires
Le diagnostic de migraine est essentiellement clinique3. L’anamnèse et un examen minutieux sont en général suffisants pour l’établir. L’EEG est strictement normal en dehors des crises. L’imagerie cérébrale (scanner avec injection et IRM) est réalisée plus fréquemment chez les enfants de moins de 6 ans, chez lesquels l’interrogatoire est plus difficile et les critères positifs de diagnostic parfois moins aisés à mettre en évidence. En cas de migraine typique elle est inutile. Toutefois une anomalie de l’examen neurologique, une modification ou une aggravation des crises, un changement de l’humeur, une baisse des résultats scolaires, une cassure de la courbe de croissance, des signes d’hypertension intracrânienne nécessitent un examen d’imagerie. Une importante inquiétude parentale (tumeur cérébrale, accident vasculaire récents survenus chez un proche) peut être une indication d’imagerie.

Les signes de gravité
La fièvre, la raideur de la nuque orienteront bien entendu vers une infection méningée. Mais certaines formes de migraine comportent des troubles végétatifs à type d’hypothermie ou d’hyperthermie : 9 % des enfants d’une série de 1 724 enfants italiens.
Les signes d’hypertension intracrânienne appellent une imagerie spécifique (scanner, IRM) et un fond d’œil :
crises de céphalées récentes, de sévérité et de fréquence croissantes, sans facteur déclenchant, à horaire matinal ou épisode nocturne, réveillant l’enfant d’un sommeil profond, céphalées, quotidiennes, avec des vomissements en jet, liée à un éternuement ou à la toux, céphalées exacerbées ou accrues de façon importante par les changements de position ;
modification de l’humeur, du comportement : asthénie, irritabilité, changement d’habitudes alimentaires, crises de colère, anxiété, humeur changeante, faible capacité de concentration, difficultés scolaires récentes ;
cassure de la courbe de croissance.
Une céphalée de localisation occipitale avec un aspect guindé du cou, un pseudo-torticolis, une céphalée difficile à décrire par un enfant (en âge de pouvoir le faire), l’absence d’antécédents familiaux sont également des signes qui doivent renforcer la vigilance du praticien.
A l’opposé, la multiplication non justifiée des prescriptions d’imagerie peut conduire à la découverte fortuite d’anomalies anatomiques voire de lésions bénignes (kyste arachnoïdien, etc.) qui n’ont aucun rapport avec la céphalée de l’enfant.

Prise en charge thérapeutique
Une fois le diagnostic posé, il est très important de rassurer l’enfant et sa famille sur la nature bénigne de la migraine ; il faut décrire simplement l’état des connaissances sur la migraine, son évolution souvent favorable avec l’âge, l’éventail des thérapeutiques. La tenue d’un « agenda de la douleur » permet de préciser les traits sémiologiques, les facteurs déclenchants et de dépister une éventuelle surconsommation médicamenteuse. Il est essentiel de rappeler que la migraine n’est pas une « maladie psychologique », que l’enfant n’utilise pas son symptôme pour éviter l’école même si souvent les stress, les contrariétés peuvent provoquer d’authentiques crises. La consultation en trois temps, avec la description des crises, des facteurs déclenchants et en particulier ceux de nature psychologique, facilite la compréhension et l’acceptation du traitement dans toutes ses composantes.
L’objectif est clairement annoncé : diminuer de moitié l’intensité et la fréquence des crises, ce but est en général atteint au bout de 6 mois de prise en charge.

Traitement de crise (tableau 1)
L’ibuprofène (10 mg/kg) doit être privilégié7 8 , : plusieurs recommandations issues d’analyses particulièrement rigoureuses de la littérature « médecine basée sur les preuves » placent l’ibuprofène en première intention3 9 10. Chez l’enfant, la sécurité et l’efficacité de cet anti-inflammatoire non stéroïdien ont été précisées dans deux méta-analyses11 12. Le traitement de crise doit être le plus précoce possible, dès le début de l’accès migraineux. L’enfant doit pouvoir le recevoir à l’école ; un certificat doit être spécifiquement rédigé à cet usage. En cas de vomissements ou de nausées intenses, la voie rectale (suppositoire de diclofénac) ou nasale doivent être rapidement utilisées. Le sumatriptan13 est utilisé par voie nasale ; l’autorisation de mise sur le marché (AMM) précise qu’il peut être donné à partir de 12 ans ; dans d’autres pays ce produit est prescrit chez les enfants plus jeunes, nous l’utilisons fréquemment à partir de 30 kg. Une pulvérisation intranasale (sans inhalation) est réalisée, à la dose de 10 mg ; chez l’adolescent, en cas d’échec la dose de 20 mg peut être prescrite.
On ne doit pas prescrire de médicament morphinique (faible ou fort) pour la crise migraineuse. Les produits contenant des opiacés (faibles ou forts) : codéine, tramadol, dextropropoxyphène sont à proscrire en raison de leur fréquente inefficacité et des risques d’abus potentiels existant dans le cadre d’une prescription chronique.

 

Tableau 1 : Traitement de crise
Agent Voie Posologie par prise Posologie maximum sur 24 heures
Ibuprofène (sirop) PO 10 mg/kg 3 à 4 prises
Ac. acétylsalicylique PO 10-15 mg/kg 25-50 mg/kg
Diclofénac Rectale 1 mg/kg 3 mg/kg
Sumatriptan Nasale 1 pulv.  
Zolmitriptan Cp. sublingual 1 prise 2 prises

Traitements de fond
Traitements de fond non pharmacologiques (relaxation, hypnose)

La supériorité des traitements non médicamenteux a été soulignée dans les recommandations de l’ANAES en février 2003 11 : « les données de la littérature permettent de conclure à l’efficacité de la relaxation, du rétrocontrôle, des thérapies comportementales et cognitives dans la prévention de la migraine chez l’enfant et l’adolescent, où ces méthodes sont préférables de première intention aux traitements médicamenteux. Il n’est pas possible de conclure à la supériorité d’une de ces thérapies par rapport aux autres ».
Ce type de prise en charge doit être recommandé malgré la pénurie actuelle de professionnels formés à ce type de méthode.

Traitements de fond pharmacologiques
Ce type de traitement n’est envisagé qu’après échec des traitements non pharmacologiques, chez des enfants souffrant de plus de 2 crises par semaine mal soulagées par le traitement de crise, impliquant une invalidité sociale importante (incapacité de se rendre à l’école, de participer à des activités familiales ou sportives). Très peu d’études de qualité ont été réalisées pour évaluer l’efficacité des traitements de fond ; les produits utilisés sont issus de la pratique adulte : propranolol, amitriptyline, flunarizine, pizotifène. Des effets secondaires particulièrement gênants à l’adolescence (prise de poids, somnolence) peuvent être observés avec nombre de ces molécules dont la flunarizine, l’amitryptiline et le pizotifène. Ces traitements ne rentrent pas actuellement dans le cadre de l’AMM.

Un livret d’information pour les enfants, un site Internet (www.migraine-enfant.org) pour les enfants et les professionnels
La partie du site destinée aux professionnels propose une aide à la consultation et un guide de prescription, ainsi que des textes de références.

Conclusion
La migraine est la céphalée récurrente la plus fréquente chez l’enfant. Elle doit être envisagée rapidement devant des épisodes répétés de céphalées de l’enfant, elle ne doit plus être un diagnostic d’élimination.
La céphalée est souvent bilatérale et les crises sont plus courtes que celles de l’adulte. Beaucoup d’enfants présentent des tableaux mixtes associant migraine et céphalée de tension.
La migraine n’est pas une maladie psychologique même si souvent des facteurs déclenchants de nature psychologique (pression scolaire, contrariétés, amélioration en vacances, etc.) sont régulièrement retrouvés. Le stress scolaire souvent générateur de nombreuses crises demeure fréquemment mal interprété par les enseignants et aussi les parents.
Encore trop d’enfants migraineux reçoivent des diagnostics erronés : « troubles de la réfraction, de la convergence, problèmes psychologiques, sinusite, crise de foie, gastro-entérite ».
En traitement de fond, les méthodes non médicamenteuses (relaxation, auto-hypnose, etc.) sont les plus régulièrement efficaces ; les traitements pharmacologiques doivent être utilisés seulement en seconde intention. En traitement de crise, l’ibuprofène doit être privilégié et donné le plus précocement, les voies rectales ou nasales sont utilisées en cas d’échec de la voie orale.
L’ampleur du problème santé publique (5 à 10 % des enfants concernés) et sa fréquente méconnaissance par les professionnels ont conduit le ministère de la Santé à l’intégrer dans les priorités du second programme national de lutte contre la douleur (2002-2005).

 

Les chiffres du Centre de la migraine de l’enfant
3 054 enfants ont été vus en consultation de mars 1997 à mai 2005.
6,5 % ont moins de 6 ans
29 % ont plus de 12 ans
Age moyen de début : 6,7 ans
Age moyen de la première consultation : 10,5 ans

Diagnostic porté sur les 970 derniers patients

Migraine avec aura + céph. t :
Migraine sans aura + céph. t :
Migraine avec aura :
Migraine sans aura :
Migraine + CCQ :
Céph. t isolée :
CCQ isolée :
34 %
19 %
17 %
15 %
8 %
4 %
2 %



 


 

 

 

1 Headache classification subcommittee. International classification of headache disorders. Cephalalgia 2004 ; 4 : S1.
2 Abu-Arefeh I., Russell G. — Prevalence of headache and migraine in schoolchildren. BMJ 1994 ; 309 : 765-769.
3 Anaes, Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l’adulte et l’enfant. Aspects cliniques et économiques. Recommandations pour la pratique clinique. Février 2003.
4 Bille B. A 40-year follow-up of school children with migraine. Cephalalgia 1997 ; 17 (4) : 488-491.
5 Ruiz C, Gener B, Garaizar C, Prats JM. Episodic spontaneous hypothermia : a periodic childhood syndrome. Pediatr Neurol 2003 ; 28 (4) : 304-306.
6 Lendvai D, Verdecchia P, Crenca R et al. Fever : a novelty among the symptoms accompanying migraine attacks in children. Eur Rev Med Pharmacol Sci 1999 ; 3 (5) : 229-231.
7 Hamalainen M.L., Hoppu K., Valkeila E., Santavuori P. — Ibuprofen or acetaminophen for the acute treatment of migraine in children : a double-blind, randomized, placebo-controlled, crossover study. Neurology 1997 ; 48 (1) : 103-107.
8 Lewis DW, Kellstein D, Dahl G et al. Children’s ibuprofen suspension for the acute treatment of pediatric migraine. Headache 2002 ; 42 : 780-6.
9 Evers, S., Pothmann, R., Uberall, M., Naumann, E., and Gerber, W. D. Treatment of idiopathic headache in childhood. Recommendations of the German Migraine and Headache Society. Monatsschr. Kinderheilk 2001 ; 149 (11) : 1222.
10 Lewis DW, Ashwal S, Hershey A, Hirtz D, Yonker M, Silberstein S. Practice parameter : Pharmacological treatment of migraine headache in children and adolescents. Report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology and the Practice Committee of the Child Neurology Society. Neurology 2004 ; 63 : 2215-2224.
11 Goldman RD, Ko K, Linett LJ, Scolnik D : Antipyretic efficacy and safety of ibuprofen and acetaminophen in children. Ann Pharmacother 2004 ; 38 : 146-150.
12 Perrott DA, Piira T, Goodenough B, Champion GD : Efficacy and safety of acetaminophen vs ibuprofen for treating children’s pain or fever : a meta-analysis. Arch Pediatr Adolesc Med 2004 ; 158 : 521-526.
13 Winner P., Rothner A.D., Saper J., Nett R., Asgharnejad M., Laurenza A., Austin R.A., Peykamian M. — A randomized double-bind, placebo controlled study of sumatriptan nasal spray in the treatment of acute migraine in adolescents. Pediatrics 2000 ; 106 (5) : 989-997.