L’analgésie pédiatrique s’est véritablement transformée depuis une vingtaine d’années. Les progrès dans ce domaine concernent à la fois les moyens médicamenteux et les méthodes non pharmacologiques. On relève dans la littérature anglo-saxonne l’émergence d’approches intégratives (Integrative Care Therapies) qui semblent correspondre à ce que nous appelons médecines complémentaires. Ces approches dites corps-esprit répondent à une conception holistique de la médecine et combinent les médecines occidentales et orientales. L’approche intégrative englobe un grand nombre d’interventions non médicamenteuses assez hétéroclites (aromathérapie, phytothérapie, médecine énergétique, acuponcture, etc.)* et dont l’efficacité demeure assez peu explorée comme le montre la critique des revues systématiques concernant les méthodes complémentaires utilisées en pédiatrie de Hunt et Ernst [1]. Les niveaux de preuve retrouvés dans la littérature varient selon les méthodes. Les résultats étaient globalement peu convaincants pour la plupart des méthodes retenues bien qu’il y ait des preuves pour suggérer que l’acupuncture peut être efficace pour les nausées et vomissements post-opératoires, et que l’hypnoanalgésie peut être efficace pour réduire la douleur liée aux soins. Les études transversales sur les méthodes intégratives interrogent principalement la prévalence de l’utilisation de celles-ci en pédiatrie [2]. Très peu d’essais cliniques randomisés ont été réalisés concernant l’utilisation d’approches intégratives pour réduire la douleur ou l’anxiété comme le montre Thrane dans une revue systématique récente de l’efficacité des approches intégratives sur la douleur et l’anxiété de l’enfant et de l’adolescent atteint de cancer [3].

Cependant la nécessité de recourir à des techniques visant à réduire la détresse de l’enfant est désormais reconnue [4]. La musique, la distraction de l’attention, la réalité virtuelle, l’hypno-analgésie, le massage et autre techniques de contre stimulation font partie des principales stratégies auxquelles les professionnels de pédiatrie ont recours pour réduire la douleur et l’anxiété de l’enfant.
Néanmoins les études méthodologiquement acceptables mesurant l’efficacité du massage ou de la musique sur la douleur de l’enfant demeurent très rares. Une étude randomisée récente réalisée sur 52 enfants sur l’intérêt du massage en cancérologie pédiatrique montrait une diminution de la douleur immédiatement après le massage [5]. La revue systématique concernant le massage pour les patients en soins palliatifs retrouvait 14 études dont une seule concernait des enfants [6]. Par ailleurs, il existe dorénavant du matériel de contre stimulation ludique à appliquer sur la peau de l’enfant au regard de la zone concernée par l’effraction cutanée. L’efficacité de ce type de contre stimulation (vibration et froid) a pu être vérifiée dans deux études randomisée [7, 8].
La bibliographie est plus étoffée en ce qui concerne les travaux relatifs aux effets de la musique sur la douleur et l’anxiété de l’enfant. La revue systématique de Jeffrey et al. retrouvait 19 études ce qui concernait 1 513 patients mais la qualité méthodologique de ces études étaient globalement faible, néanmoins on retrouvait une réduction significative de la douleur et de l’anxiété [9]. Une étude randomisée contrôlée récente démontre l’intérêt de la musique pour réduire la douleur de l’enfant en postopératoire [10].
En ce qui concerne l’hypnoanalgésie, il existe plusieurs synthèses ou méta-analyses récentes. Accardi en 2009 retrouve 10 essais randomisés contrôlés sur l’effet de l’hypnose sur la douleur des soins chez l’enfant, incluant 393 enfants, subissant majoritairement ponctions lombaires ou médullaires, et conclut que l’hypnose est équivalente ou supérieure à la distraction pour diminuer la douleur, mais les méthodologies très variables ne permettent pas d’arriver à une conclusion suffisamment étayée [11].
La méta-analyse de la Cochrane Collaboration publiée en octobre 2013 par Uman et al. (mise à jour des versions de 2006 et 2008), concernant les interventions psychologiques utilisées pour réduire la douleur et de la détresse chez les enfants et les adolescents lors des piqûres, apporte des éléments de preuve intéressants en particulier en ce qui concerne la distraction et l’hypnoanalgésie [12]. Cette revue de la littérature a inclus 39 essais de qualité méthodologique suffisante, ce qui représente 3 394 participants (tout en excluant 128 études de qualité insuffisante). Les auteurs concluent qu’il existe globalement des preuves solides de l’efficacité de la distraction et de l’hypnose pour la douleur et la détresse liée aux injections chez les enfants et les adolescents, avec un effect size plus important avec l’hypnose ; en revanche, aucune preuve n’est actuellement solidement acquise sur l’effet antalgique de la préparation et de l’information. Les auteurs notent qu’il persiste un défaut d’études méthodologiquement fiables pour évaluer les interventions psychologiques pour prévenir la douleur et la détresse liées aux injections.

Des alliés pour répondre aux différentes composantes de la douleur


Les méthodes psychocorporelles telles que l’hypnoanalgésie, la contre-stimulation ou la musique répondent aux différentes composantes de la douleur. Ces techniques complètent et renforcent l’effet des antalgiques.
La douleur est un phénomène complexe dans lequel entrent simultanément en jeux les sensations, les émotions et la cognition. L’enfant ne dispose pas de toutes les compétences cognitives pour comprendre la maladie et la nécessité des soins. Il est souvent apeuré et en détresse dans un univers médical anxiogène. La peur et la douleur agissent en synergie et se potentialisent. Les moyens antalgiques usuels tels que le MEOPA, les crèmes anesthésiantes associés si besoin à une administration d’antalgiques de niveau II voire de morphiniques sont indispensables, mais ne répondent pas à la totalité des besoins.

Information


La détresse émotionnelle peut être anticipée par une information adaptée à l’âge de l’enfant. Elle concerne la nature du geste s’il s’agit de douleurs iatrogènes, et apporte également des explications simples concernant les mécanismes de la douleur ainsi que les réponses qu’on peut lui apporter. Les méthodes psychocorporelles doivent également être expliquées à l’enfant et à sa famille car ils seront directement impliqués dans leur fonctionnement.

Mode d’action


L’enfant envahi par la douleur ou l’anxiété est en quelque sorte hyper focalisé sur ses perceptions. Dans ces circonstances toutes les stimulations sont accrues. Il s’agit de défocaliser l’attention de l’enfant en le concentrant sur d’autres sensations. L’efficacité des méthodes psychocorporelles reposent sur la saturation des cinq sens (vue, ouïe, odorat, toucher, gout) pour entrer en concurrence avec les sensations douloureuses. Par ailleurs ces techniques offrent l’occasion aux soignants de rejoindre l’univers ludique et onirique de l’enfant en instaurant une atmosphère détendue.

Description du processus d’hypnoanalgésie et aspects pratiques


Il est complexe de décrire l’hypnoanalgésie de façon chronologique ou hiérarchisée tant le mode opératoire varie en fonction de l’enfant, de ses préférences, du contexte. L’entrée en relation se fait le plus souvent sur un mode conversationnel. Tranquillement, avec un ton de voix un peu plus bas, on cherche à faire connaissance, à connaître des détails de la vie de l’enfant : son sport, ses passions, son animal familier…Il est toujours préférable de questionner l’enfant de manière ouverte : « Qu’est-ce que tu aimes, toi ? » plutôt que de réciter une liste fastidieuse d’activités… Ces précieuses informations étayeront les suggestions du soignant durant l’hypnoanalgésie.
Ces techniques exploitent cette capacité naturelle de rêverie, pour s’évader sur commande, « comme si on apprenait à envoyer, à chaque fois que c’est utile, sa tête en vacances. » L’attention de l’enfant est captée en lui proposant de regarder, de sentir ou d’entendre quelque chose en particulier. Il s’agit d’induire l’état d’hypnose, pour cela on sature son attention de suggestions sensorielles. Les propositions balaient les cinq sens : la vue, l’odorat, le toucher, le goût, l’audition et font concurrence aux perceptions habituelles. Ce procédé entraine une sorte de confusion qui inaugure une dissociation propre à l’état hypnotique. La dissociation (entre la perception sensorielle et l’émotion désagréable) est particulièrement recherchée en hypno analgésie. Par ailleurs, la perception de la douleur elle-même peut être travaillée et modifiée. Une fois que l’enfant est installé dans un état d’hypnose, c’est-à-dire que son attention est dissociée du soin, ou de la douleur, qu’il est parti se promener dans un endroit imaginaire, où il se sent protégé et à l’abri, alors on lui suggère d’endormir la partie de son corps concernée par la douleur. On propose par exemple d’imaginer qu’il étale une crème anesthésiante, ou encore de couper l’interrupteur de la douleur ou d’éloigner pour un moment la partie du corps qui est gênante.
Quelle que soit la situation, chaque geste, chaque étape du soin est intégrée à la séance. La fraicheur de la compresse que l’on passe sur la plaie devient la langue du petit chien qui vient jouer avec l’enfant, la pose d’un pansement se transforme en une séance d’essayage… Par moments, l’état hypnotique oscille et il est fréquent que l’enfant reprenne contact avec la réalité du lieu et de la situation ; on peut alors lui proposer de laisser les soignants faire ce qu’ils ont à faire et reprendre le cours de la promenade imaginaire… Là encore, la saturation de suggestions sensorielles fait concurrence aux perceptions désagréables en suggérant des émotions agréables.
L’un des aspects primordiaux de l’hypno analgésie est de se centrer sur l’enfant, de partir de là où il se trouve, c’est-à-dire d’accompagner ce qu’il ressent, et de « broderé les suggestions à partir de ce qu’il nous dit, de ses réactions, de ses envies. Cela implique de respecter son rythme, de faire des pauses, et surtout de se coordonner avec le soignant qui fait le soin. La connaissance des soins est donc un atout pour accompagner l’enfant avec l’hypnose.

Complémentarité des stratégies


La saturation de l’attention de l’enfant par des suggestions qui balaient les différentes rubriques sensorielles peut être renforcée par l’utilisation d’autres stratégies telles que le matériel de contre stimulation, le massage ou encore la musique. Ces méthodes fonctionnent sur un principe identique à celui évoqué plus précisément pour l’hypno analgésie. La stimulation sensorielle : le toucher ou l’écoute de musique vient concurrencer la stimulation sensorielle douloureuse tout en installant un climat émotionnel favorable. L’enfant réinvestit des sensations corporelles agréables. Ces techniques sont utilisées spécifiquement. Mais le fait de croiser ces techniques peut potentialiser leur effet et augmenter l’adhésion de l’enfant. Quoi qu’il en soit, l’efficacité de ces méthodes repose sur l’engagement relationnel du soignant et sur l’adéquation du choix de celles-ci avec les préférences de l’enfant.

Conclusion


La présentation des méthodes dans cet article n’est pas exhaustive. Il existe de nombreuses techniques non pharmacologiques en dehors de celles présentées. Les approches intégratives se généralisent et présentent un intérêt certain pour les enfants hospitalisés. Néanmoins ces méthodes sont encore trop peu explorées. Il existe un faible nombre d’études sur l’efficacité de ces approches dans la diminution de la douleur de l’enfant. Les travaux existants concernent essentiellement l’hypnoanalgésie et la musique. Les soignants doivent être formés à ces différentes méthodes afin d’en faire une utilisation rigoureuse, adaptée et professionnelle. La généralisation de ces moyens apportera des possibilités d’évaluation précises et reproductibles. Ces approches sont des atouts importants pour l’analgésie et le bien-être et favorisent une approche globale des besoins des enfants malades.

* Il existe un classement en catégories réalisé par le National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM) 2012.

Références


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[2] Cotton S, Luberto CM, Bogenschutz LH, Pelley TJ, Dusek J. Integrative Care Therapies and Pain in Hospitalized Children and Adolescents: A Retrospective Database Review. J Altern Complement Med. 2013 ; 20 (2) : 98–102.
[3] Thrane S. Effectiveness of integrative modalities for pain and anxiety in children and adolescents with cancer: a systematic review. J Pediatr Oncol Nurs. 2013 ;30 (6) : 320–32.

[4] Duff AJ, Gaskell SL, Jacobs K, Houghton JM. Management of distressing procedures in children and young people: time to adhere to the guidelines. Arch Dis Child. 2012 ; 97 (1) : 1–4.
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