V. Miara, L. Guennec, K. Josse, E. Floch, V. Beaulieu, O. Gall
Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Armand Trousseau, 75012 Paris

JUSTIFICATION DU PROJET
Ces dernières années [1, 2, 3, 4], le constat répété des insuffisances de l’analgésie postopératoire chez l’adulte et chez l’enfant [1-4] a conduit à une réflexion globale sur l’organisation de la prise en charge de la douleur dans les structures de soins. L’information au patient, l’évaluation continue de la douleur et la capacité à adapter secondairement le traitement antalgique apparaissent aujourd’hui comme les éléments fondamentaux du succès de l’analgésie. Aux Etats Unis et au Royaume Uni, plusieurs équipes ont développé des structures lourdes avec lits d’hospitalisation, médecins, infirmières et pharmaciens spécialisés. Dans d’autres pays comme en France, les hôpitaux publics ne sont pas prêts à supporter le coût de telles structures. Il a été proposé des schémas plus simples, basés sur un suivi infirmier spécialisé [5, 6, 7].

À l’hôpital Armand Trousseau, nous avons entrepris depuis 1996 une démarche d’amélioration de la qualité pour la prise en charge de la douleur postopératoire. Cette démarche s’appuie sur la réalisation d’enquêtes itératives pour contrôler pas à pas l’efficacité des moyens mis en œuvre. Jusqu’à présent les efforts ont essentiellement porté sur la formation et l’évaluation de la douleur postopératoire (mise en place d’une formation douleur
destinée aux infirmières de l’hôpital, introduction de supports écrits, sensibilisation des chefs de service et des cadres infirmiers) et sur l’utilisation plus large de la morphine (sensibilisation des médecins, accords avec la pharmacie pour l’obtention de stocks dans les étages, protocoles de surveillance et de prise en charge des effets secondaires). Ces moyens ont permis d’élever globalement le niveau de prise en charge pour tous les opérés. Cependant le dernier audit, réalisé en 2001, a mis en évidence qu’un nombre important de patients ayant subi une chirurgie très douloureuse, étaient mal soulagés par la morphine iv en PCA (analgésie contrôlée par le patient). Il nous est donc apparu nécessaire, cette fois, de cibler notre action sur les chirurgies les plus douloureuses. Nous avons décidé de créer une unité mobile de douleur postopératoire dans le but de sensibiliser et de former les équipes à l’utilisation de la PCA et aux techniques d’anesthésie locorégionale avec cathéter de réinjection.

MOYENS MIS EN ŒUVRE
Aucun poste supplémentaire n’étant prévu à court terme, l’unité a été constituée autour de 5 IADE (infirmières anesthésistes) déjà en poste au bloc opératoire ou en SSPI (salle de réveil). L’équipe est complétée par un médecin référent et un cadre infirmier. Tous participent à l’unité sur la base du volontariat, en supplément de l’activité qu’ils exercent déjà dans le service d’anesthésie réanimation.

L’unité a pour objectif d’effectuer au moins une visite quotidienne à tous les enfants opérés bénéficiant d’une PCA ou d’une ALR avec cathéter de réinjection. Chaque matin, un(e) IADE se détache de son activité, le temps de voir systématiquement tous les patients concernés. Les enfants sont revus tous les jours jusqu’au relais de l’analgésie par voie orale et une dernière fois le lendemain pour s’assurer que le traitement n’a pas été interrompu trop tôt. Le cas échéant les infirmières des services de chirurgie peuvent nous joindre de 7h30 à 15h 30, par l’intermédiaire d’un bip.

La visite se décompose en trois temps. Le premier temps est un temps de parole donné à l’enfant et un temps d’évaluation
: niveau de douleur au repos et à la mobilisation, principaux épisodes douloureux depuis la veille, compréhension de la technique d’analgésie mise en œuvre, effets secondaires éventuellement observés. C’est l’occasion de réexpliquer ce que l’enfant n’aurait pas bien compris et souvent de le rassurer quant au bon déroulement des suites opératoires. Le deuxième temps est consacré à l’équipe soignante. Nous faisons le point sur les problèmes rencontrés depuis la veille, nous en profitons pour actualiser les connaissances et pour discuter des difficultés rencontrées dans l’évaluation de la douleur ou dans la prise en charge des effets secondaires. Le troisième temps est consacré au matériel, aux changements de poches de perfusion et aux ajustements thérapeutiques nécessaires. Dans ce cas, les enfants sont revus l’après-midi pour contrôler l’efficacité de la nouvelle prescription.


PREMIERS RÉSULTATS
Les premiers patients ont été pris en charge début février 2002. Pour illustrer le travail entrepris par l’unité, nous avons comparé une série de patients pris en charge à la création de l’unité avec une série contrôle issue de l’audit 2001. Les principaux résultats sont résumés dans le tableau 1. On voit que sur une période d’inclusion similaire (8 jours) il existe une diminution du nombre de PCA et une augmentation parallèle du nombre d’ALR avec cathéter de réinjection. On voit également qu’après la création de l’unité, la surveillance infirmière dans les services de chirurgie est plus complète et de meilleure qualité. Enfin les visites de l’unité sont associées à un réajustement plus fréquent des prescriptions. 









































Tableau 1

Audit 2001

Unité mobile
Nombre de patients 12 12
Nombre de PCA 12 8
Palphanombre d’ALR avec cathéter 0 4
Surveillance continue avec support écrit 10 12
EVA > 40 mm le lendemain de l’intervention 5 3
Effet(s) indésirable(s) non traité 6 4
traité selon protocole 0 4
Ajustement de la prescription 3 8


DISCUSSION
Ces premières données suggèrent qu’une équipe réévaluant l’analgésie postopératoire à partir de la visite quotidienne d’une IADE peut contribuer à améliorer la prise en charge chez les enfants opérés d’une chirurgie très douloureuse. Ces données sont conformes aux résultats obtenus chez l’adulte, respectivement dans une structure privée et dans un hôpital public [8-9]. Les enfants sont généralement contents de revoir en postopératoire l’IADE qu’ils ont connu au bloc opératoire ou en salle de réveil. Ils sont également contents de bénéficier d’une attention particulière et d’une personnalisation de leur traitement antalgique. Le rôle de l’Unité va sans doute au delà de la simple réponse pharmacologique. Il a été montré que les entretiens quotidiens et les encouragements prodigués aux patients ont en eux-mêmes des bénéfices sur le vécu postopératoire des patients [10]. Ceci mériterait certainement d’être étudié plus spécifiquement à l’avenir.

Dans notre expérience, la mise en place de l’Unité n’a pas posé de grandes difficultés. Nous pouvons dire que nous avons été globalement bien accueillis dans les services de chirurgie, même si au début certaines équipes étaient un peu réticentes en nous voyant arriver. La principale limite que nous avons rencontrée tient à notre effectif. Nous ne sommes plus que 3 IADE pour assurer le fonctionnement de l’Unité. Avec le temps, il est apparu que l’activité de l’Unité représente une charge de travail importante qui n’est pas toujours facile à concilier avec la planification du bloc opératoire. Nous avons aujourd’hui beaucoup de mal à assurer la mission que nous nous sommes fixés.

RÉFÉRENCES

































1.Mather L, Mackie J. The incidence of postoperative pain in children. Pain 1983; 15: 11-15.
2.Schechter NL, Allen DA, Hanson K. Status of pediatric pain control : a comparison of hospital analgesic usage in children and adults. Pediatrics 1986; 77: 11-15.
3.Gall O, Fiez N, Ravault N et al. Audit de la douleur post-opératoire en chirurgie pédiatrique. Ann Fr Anesth Reanim 1997; 16: 625.
4.Bloch J, Spira R, Gloagen E et al. Enquête nationale sur la prise en charge de la douleur de l’enfant dans les établissements de court séjour. La douleur de l’enfant, quelles réponses ? 6° Journée de l’UNESCO, 1998 : 58-65.
5.Rawal N, Berggren L: Organization of acute pain services: a low-cost model. Pain 1994; 57: 117-23.
6.Delbos A, Brasseur L, Chandeclerc M et al.: Un service de la douleur postopératoire : mise en place et évaluation initiale. Ann Fr Anesth Reanim 1995; 14: R69.
7.Fletcher D, Negre I, Barbin C et al.: Organisation de l’analgésie postopératoire : visite infirmière et suivi informatisé. Cah Anesthesiol 1998; 46: 161-170.
8.Delbos A, Brasseur L, Chandeclerc M et al.: Un service de la douleur postopératoire : mise en place et évaluation initiale. Ann Fr Anesth Reanim 1995; 14: R69.
9.Fletcher D, Negre I, Barbin C et al.: Organisation de l’analgésie postopératoire : visite infirmière et suivi informatisé. Cah Anesthesiol 1998; 46: 161-170.
10.Egbert LD, Battit GE, Welch CE, Bartlett MK: Reduction of postoperative pain by encouragement and instruction of patients. A study of Doctor-Patient rapport. N Engl J Med 1964; 270: 825-827.