Dr Ch. Dadure, Dr Ch. Ricard, C. Assemati, C. Bevis, N. Gounaud
Unité infantile – D.A.R. A – Hôpital Lapeyronie – Montpellier.
Actuellement, l’analgésie locorégionale a pris une grande part dans la gestion de la douleur per-et postopératoire, principalement en chirurgie orthopédique ou traumatologique (1). De nombreuses études mettent en évidence l’efficacité et la sûreté des techniques d’analgésie périneurale dans la gestion de la douleur du patient adulte en postopératoire d’une chirurgie orthopédique du membre inférieur ou supérieur (2,3). Elles montrent que, comparées aux techniques conventionnelles intraveineuses, contrôlées ou non par le patient et aux techniques d’analgésie péridurale, les techniques d’analgésie périneurale apportent une qualité d’analgésie supérieure ou équivalente au prix d’effets adverses réduits.
L’analgésie locorégionale per et postopératoire est également une technique efficace et sûre chez l’enfant (4). L’intérêt des anesthésies caudales, péridurales, intrathécales et périneurales a été démontré en pédiatrie d’abord pour l’anesthésie ensuite pour l’analgésie postopératoire. Les cathéters périneuraux sont mis en place, au bloc opératoire, suivant les techniques traditionnelles avec emploi de neurostimulateurs et sont utilisés dès l’âge de six mois pour les chirurgies orthopédiques lourdes. Ils sont posés en préopératoire et permettent de ne pas avoir besoin de morphinomimétiques pendant l’intervention. L’anesthésie locorégionale a des indications aussi, en dehors de la période opératoire, pour la prise en charge de douleurs chroniques (5). Le bloc périneural continu, entretenu par perfusion d’anesthésique local, est de plus en plus utilisé chez l’enfant (6,7).
Le bloc périneural continu nécessite cependant l’utilisation d’un dispositif de perfusion électrique tel qu’un pousse seringue obligeant une immobilisation du patient. Cette immobilisation est désagréable pour l’enfant et son entourage. Certains auteurs ont souligné l’intérêt d’une mobilisation précoce pour une prise en charge optimale de la douleur postopératoire chez l’enfant (8,9). Ils mettent en évidence des troubles prolongés du comportement en postopératoire, directement liés à l’intensité de la douleur, et soulignent l’importance du jeu à l’hôpital pour une réhabilitation précoce de l’enfant. L’utilisation de perfuseurs portables comme le perfuseur élastomérique, déjà évalués chez l’adulte (10,11,12), nous a semblé intéressant chez l’enfant tant pour sa simplicité d’utilisation que pour son efficacité, son aspect sécuritaire et la liberté de déambulation qu’il apporte à l’enfant. Le perfuseur portable simplifie la surveillance des soins en unité d’hospitalisation postopératoire et permet le soin et le retour à domicile lors de traitement de pathologies chroniques.
QU’EST-CE QUE LE PERFUSEUR PORTABLE ÉLASTOMÉRIQUE ?
Il s’agit d’un réservoir en élastomère dans lequel va être introduit l’anesthésique local. Ce réservoir est protégé par une bouteille en polyuréthane transparente et, à sa sortie, un capillaire millimétrique va réguler la distribution du produit. La force de rétraction du réservoir va permettre l’issue de l’agent anesthésique et le diamètre du capillaire va fixer le débit du dispositif (schéma ci-dessous).
Ce type de perfuseur en élastomère a été créé initialement pour être utilisé en oncologie. Il a permis d’administrer ainsi des thérapeutiques antimitotiques ou des morphinomimétiques dans le cadre du traitement de la douleur en cancérologie. Depuis quelques années le perfuseur portable trouve des applications en anesthésiologie chez l’adulte dans le cadre de la gestion de la douleur post opératoire. Actuellement des perfuseurs diffusant des débits différents sont commercialisés. Ils sont adaptés à l’analgésie pédiatrique car les débits faibles et variables sont compatibles avec le petit poids des enfants. Les perfuseurs sont connectés à une longue tubulure, elle-même reliée au cathéter périneural. Ces perfuseurs portables ne demandent aucun entretien ni maintenance, et n’ont besoin, après leur mise en place, d’aucune manipulation à l’origine de risques de contamination ultérieure. La tubulure, solidaire du dispositif, est suffisamment longue (100 cm) pour que le perfuseur puisse être placé dans une poche ou un vêtement pendant les déplacements du patient. L’absence de dépendance à une source d’énergie est un des avantages majeurs de ce système. L’enfant peut le placer au fond de son lit quand il est couché et ainsi diminuer les risques de débranchements intempestifs au cours des mouvements pendant le sommeil. Ce perfuseur est un système à usage unique et ne doit absolument pas faire l’objet d’un autre remplissage en fin de perfusion.
Pour l’analgésie par bloc périneural continu, l’anesthésique local utilisé est la ropivacaïne à 0,2 % et les débits théoriques sont de 0,1 ml/kg/h.
ÉVALUATION DES PERFUSEURS PORTABLES ÉLASTOMÉRIQUES
1) Emploi en chirurgie des membres
Nous avons étudié ce système sur 25 enfants programmés pour une chirurgie majeure du membre supérieur ou inférieur. Les cathéters périneuraux ont été placés au bloc opératoire et opacifiés en salle de soin post interventionnelle (SSPI) pour contrôle de la position. Les blocs nerveux étaient les suivants : 11 sciatiques au creux poplité, 9 fémoraux, 5 axillaires. Le perfuseur portable élastomérique, rempli au préalable avec l’ anesthésique local, la ropivacaïne à 0,2 % était connecté au cathéter. Nous avons évalué la douleur, les effets indésirables (nausées, prurit, vomissement, paresthésie), les blocs moteurs et sensitifs, la déambulation des patients et la satisfaction des parents et des infirmières ainsi que la charge de travail générée par ce nouveau système durant les 48 heures suivant la chirurgie. Les écarts maximums de débits délivrés ont varié de -9,6 à +8,6 % sur 48 heures par rapport aux débit théoriques.
La qualité d’analgésie apportée par les cathéters périneuraux et ce système de perfusion est excellente avec des médianes de score de douleur (score EVA ou score de CHIPPS (*) pour les enfants de moins de 6 ans) à 0 pendant les 48 premières heures (cf tableau 1). Il n’a été retrouvé, au cours de cette période aucune complication secondaire (déficit moteur ou sensitif, paresthésie résiduelle), aucun débranchement accidentel et aucune complication infectieuse. Les enfants étaient évalués selon des critères de déambulation gradués de 1 (reste au lit, douloureux) à 5 (déambulation libre dans l’hôpital). 16 (64 %) enfants ont eu des scores strictement supérieurs à 3 c’est-à-dire se déplacent librement en particulier jusqu’à la salle de jeu, 7 (28 %) se déplacent librement dans leur chambre, et 2 (8 %) sont restés au lit dont un non douloureux refusant de se lever. Tous les parents se sont déclarés très satisfaits (14/25) ou satisfaits (11/25) par cette nouvelle technique et par la prise en charge de la douleur de leurs enfants. Les infirmières étaient soient très satisfaites (12/25), soient satisfaites (13/25) et toutes ont trouvé leur charge de travail diminuée par rapport à une analgésie traditionnelle.
H 1 | H 6 | H 12 | H 24 | H 48 | |
EVA ou CHIPS Médianes(extrêmes) |
0 (0-3) | 0 (0-3,5) | 0 (0-8) | 0 (0-9) | 0 (0-0) |
Bloc sensitif Nombre/total |
18/25 | 8/25 | 6/25 | 6/25 | 7/25 |
Bloc moteur (Bromage) Médiane (extrêmes) |
1 (0-3) | 0,5 (0-3) | 0 (0-3) | 0 (0-3) | 0 (0-3) |
2) Emploi en chirurgie de la hanche
Une seconde étude a évalué ce système de perfusion et cette technique d’analgésie chez 15 enfants programmés pour une chirurgie majeure de la hanche (ostéotomie de hanche).Les blocs nerveux réalisés étaient tous des blocs du plexus lombaire par voie postérieure. Les résultats concernant la qualité d’analgésie étaient aussi satisfaisants (tableau 2). La déambulation de ces enfants était limitée par la présence d’un plâtre pelvi-pédieux et des contre-indications chirurgicales. Cependant, les manipulations et les soins infirmiers étaient simplifiés par l’utilisation des diffuseurs portables, et la charge de travail du personnel soignant était également diminuée par rapport à une analgésie traditionnelle par seringue électrique. Nous n’avons eu à déplorer aucun débranchement intempestif du système de perfusion, ni aucune complication secondaire ou infectieuse au décours de cette évaluation.
H 1 | H 6 | H 12 | H 24 | H 48 | |
EVA ou CHIPS Médianes (extrêmes) |
1 (0-6) | 0 (0-6) | 0 (0-4) | 0 (0-5) | 0 (0-2,5) |
Bloc sensitif Nombre/total |
4/15 | 2/15 | 1/15 | 2/15 | 0/15 |
Bloc moteur (Bromage) Médiane (extrêmes) |
1 (0-3) | 1 (0-3) | 1 (0-3) | 0 (0-3) | 0 (0-2) |
3) Emploi en « douleur chronique »
Une troisième étude est actuellement en cours afin d’évaluer l’intérêt de ce système de perfusion lors de douleurs chroniques. Dix enfants en ont bénéficié dans le cadre de syndromes régionaux douloureux complexes ou algoneurodystrophies. Un enfant a eu un bloc fémoral, 9 ont eu un bloc sciatique au creux poplité. Deux enfants ont été traités à domicile avec retour dans le service toutes les 48 à 72 heures pour remplacement du perfuseur et surveillance de l’état local. Les résultats préliminaires sont, pour le moment, très satisfaisants en ce qui concerne la douleur et la récupération fonctionnelle du membre.
H 1 | H 6 | H 12 | H 24 | H 48 | H 72 | H 96 | |
EVA ou CHIPS Médianes (extrêmes) |
0 (0-6) | 0 (0-6,5) | 0 (0-0) | 0 (0-7) | 0 (0-0) | 0 (0-0) | 0 (0-0) |
Bloc sensitif Nombre/total |
9/10 | 7/10 | 6/10 | 6/10 | 3/10 | 2/10 | 1/10 |
Bloc moteur (Bromage) Médiane (extrêmes) |
1 (0-3) | 1 (0-3) | 1 (0-3) | 0 (0-2) | 0 (0-2) | 0 (0-1) | 0 (0-1) |
Cette technique s’est montrée satisfaisante dans des indications plus ponctuelles. Deux enfants, suivis entièrement à domicile pour des pathologies tumorales cancéreuses, ont bénéficié d’une bonne analgésie : il s’agissait de blocs nerveux fémoraux. Par ailleurs, elle a été utilisée très récemment chez un enfant de 4 ans pour traiter des douleurs neuropathiques du pied après amputation traumatique : le cathéter périneural entretenait un bloc sciatique au niveau poplité. Cette technique a donc permis l’arrêt des crises douloureuses et une déambulation intéressante sur le plan psychologique.
CONCLUSION
Ce système de perfuseur portable élastomérique qui est simple à utiliser et à surveiller permet un gain non négligeable au niveau du temps de travail de l’infirmière. Il est également efficace et sûr. Ses variations de débit offrent une bonne adaptation aux besoins. Aucune complication infectieuse n’a été notée, ceci est principalement lié au fait qu’aucune manipulation n’est nécessaire après la mise en place au bloc opératoire. L’utilisation de ce dispositif, comparée à celle de seringues électriques qui nécessitent des manipulations, diminue le risque d’infection nosocomiale. Enfin, l’autorisation d’une déambulation précoce permet, à l’enfant, en post opératoire une autonomie et une rééducation rapide et en cas de douleur chronique ou durable un traitement efficace à domicile.
(*) CHIPPS (CHildren’s and Infants Postoperative Pain Scale) : score d’hétéro évaluation de la douleur chez l’enfant réalisé par le personnel soignant et comportant des items sur l’agitation motrice, la position des jambes, la position du tronc, l’expression de la face et les pleurs ou cris de l’enfant. Score de 0 à 10. (Réf : Buttner W. Analysis of behavioural and physiological parameters for the assessment of postoperative analgesic demand in newborns, infants and young children : a comprehensive report on seven consecutive studies. Paediatr Anaesth 2000;10:303-18.)
RÉFÉRENCES
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