Nathalie LELIÈVRE
Juriste spécialisée en droit de la santé
AEU droit médical, DESS droit de la santé, Certificat d’aptitude à la profession d’avocat
Membre de la commission « Éthique et douleur » de la SFETD
Espace Éthique méditerranéen


L’absence de prise en charge de la douleur qualifiée de faute par le tribunal administratif

Présentation des faits
Une personne âgée de 87 ans est admise aux urgences pour une rétention urinaire aiguë. Ce patient est atteint d’un cancer du rein non opéré. Dans la soirée il décède.
Sa fille, présente, au cours de l’hospitalisation de son père forme une réclamation au motif qu’elle ne comprend pour quelles raisons son père a tant souffert. Elle sera entendue par la commission des usagers qui note l’absence de prise en charge de la douleur de son père au cours de son séjour.
Elle saisit le tribunal administratif pour faute dans la prise en charge de la douleur de son père. Elle ne remet pas en question la prise en charge des soins. Sa demande porte uniquement sur les douleurs de son père non traitées.
Le tribunal administratif et la cour d’appel retiennent une faute à la charge de l’hôpital : « L’absence de tout traitement antalgique est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ».

Défaut de prise en charge de la douleur et responsabilité médicale
Les faits se sont passés dans un établissement public, la demande d’indemnisation est formée devant le tribunal administratif seul compétent pour statuer des contentieux indemnitaires lorsqu’une personne publique est en cause (l’hôpital en l’occurrence).
L’action est formée contre l’hôpital.
La saisine des tribunaux ne suffit pas, encore faut-il, prouver trois conditions dites cumulatives pour que la responsabilité soit retenue (communément appelée le principe de responsabilité pour faute) :

  • une faute dans l’organisation, prise en charge du patient ;
  • un dommage (corporel, moral, souffrances, etc.) ;
  • un lien de causalité (la faute est la cause du dommage c’est-à-dire la carence dans la prise en charge de la douleur est à l’origine du préjudice subi)

Dans cette affaire, il est mis en avant l’absence totale de prise en charge de la douleur : « Le centre hospitalier ne démontre ni l’impossibilité d’administrer à l’intéressé des antalgiques majeurs par voie veineuse ou sous-cutanée en raison de son âge et de sa tension artérielle, ni, dans cette hypothèse, l’absence d’utilité de l’administration par voie orale d’antalgiques mineurs ; que, compte tenu de l’état de souffrance et de la pathologie de Monsieur L, l’absence de tout traitement antalgique est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. »
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des usagers a définit la notion de prise en charge de la douleur. C’est savoir la prévenir, l’évaluer et la traiter. Conformément au droit commun de la responsabilité médicale, le professionnel de santé n’est pas tenu à une obligation de résultat (disparition des douleurs) mais à une obligation de moyen (le médecin doit s’efforcer de soulager les douleurs de son patient ; article 37 du code déontologie médical.) Mais encore faut-il pouvoir justifier des soins prodigués au patient.
En l’occurrence, l’établissement hospitalier n’a pas été en mesure de rapporter la preuve d’une quelconque prise en charge.

En conclusion : la traçabilité des soins
Que retenir de cette malheureuse affaire ? Outre, le fait que la prise en charge de la douleur est une obligation de nature à engager la responsabilité de l’établissement et/ou du praticien ; la traçabilité est une priorité. La traçabilité (traçabilité de l’évaluation, du traitement mis en place et de la réévaluation) est garante de la continuité des soins et permet de déterminer quel a été le processus de décision d’une équipe dans la prise en charge d’un patient.