B Edda-Messi, Dr E Fournier-Charrière – (Unité Douleur)
Pr S Bobin -(ORL)
Dr AM Dubousset, Dr C Pennon – (Département d’anesthésie)
Pr JP Dommergues – (Unité Douleur)
DT Nguyen – (Service d’épidémiologie et de Santé Publique)
Hôpital Bicêtre, 94270 Le Kremlin Bicêtre






La prise en charge de la douleur en post-opératoire est un objectif essentiel. Dans ce but il est utile d’objectiver régulièrement l’état des lieux en réalisant des enquêtes sous la forme d’audit. En chirurgie ORL de l’enfant, on sait que la prise en charge de la douleur de l’amygdalectomie est régulièrement insuffisante, de nombreuses études internationales l’ont prouvé (1,2). Cette intervention est ordinairement banalisée alors que la douleur est majeure les deux premiers jours et persiste pendant dix jours (1-5). Nous constatons le poids d’un héritage historique bien explicité dans ce congrès : l’amygdalectomie a longtemps eu la valeur d’un rite de passage initiatique, avec la douleur comme passage obligé (6). Aujourd’hui les indications de l’amygdalectomie sont restreintes et codifiées, les protocoles d’analgésie per et postopératoire variés. Nous avons voulu apprécier l’état actuel de notre prise en charge antalgique pour tous les enfants opérés en ORL pédiatrique à l’hôpital Bicêtre.

BUTS DE L’ETUDE


  • Evaluer l’actuelle prise en charge de la douleur post-opératoire en ORL pédiatrique.

  • Mettre en place des mesures correctrices : formation, protocoles de traitement, protocoles d’évaluation.

  • Reconduire le relevé les mois suivants.
METHODES
Etude prospective longitudinale.
Inclusion de tous les enfants de la naissance à 18 ans opérés en ORL pédiatrique.

1) Critère d’évaluation principal
Evaluation par l’infirmière « expert » (de l’Unité Douleur) à l’aide d’échelles appropriées :

  • échelle visuelle analogue chez l’enfant de plus de 5 ans,

  • échelles comportementales pour l’enfant de moins de 5 ans


    • TPPPS (Toddler Preschooler Postoperative Pain Scale) (cf tableau)- chez le petit enfant,

    • échelle EDIN chez le nouveau-né.
Ce relevé a eu lieu l’après-midi de l’intervention (J0) puis l’après-midi les deux jours suivants (J1 et J2).

2) Critères d’évaluation secondaires
Parallèlement, sont relevés : 

  • la réalisation d’évaluation de la douleur par l’IDE,

  • la mention de douleur ou non dans le dossier de soins. 

  • les difficultés d’alimentation (présentes ou absentes).

  • les traitements antalgiques prescrits en per et post opératoire,

  • les traitements antalgiques administrés.
Après environ 40 malades, un bilan était prévu de manière à proposer si nécessaire ensuite des protocoles standardisés.

CONTEXTE
Entre deux et dix malades par semaine sont opérés en ORL pédiatrique dans le service du Pr. Bobin à Bicêtre ; il s’agit majoritairement d’amygdalectomies chez des petits enfants.

A Bicêtre les enfants sont bien sûr pris en charge par l’équipe du département d’anesthésie ; après un séjour de deux heures environ en salle de surveillance postinterventionnelle, ils sont accueillis au sein du service de pédiatrie générale ; ce sont les infirmières et les aides-soignantes de pédiatrie qui prennent soin d’eux en post-opératoire. L’équipe soignante de ce service a été sensibilisée et formée à la prise en charge de la douleur de l’enfant depuis environ douze ans et utilise couramment des échelles d’évaluation de la douleur (EVA, DEGR, EDIN) pour les enfants du service de pédiatrie.

En post-opératoire les prescriptions antalgiques sont prévues par l’anesthésiste pour le premier jour, puis faites par l’interne d’ORL les jours suivants. Aucun protocole antalgique systématique n’a encore été mis en place.

POPULATION
Nous présentons ici des résultats préliminaires concernant les 30 premiers malades.
L’étude s’est déroulée sur quatre mois auprès des enfants opérés de pathologies ORL et hospitalisés en Pédiatrie Générale, soit 30 enfants âgés de 3 à 17 ans.

  • 12 sur 30 ont moins de 5 ans 1/2.

  • Six diagnostics sont relevés :


    • 59% d’amygdalectomies (n = 17)

    • 14% de tympanoplasties (n = 4)

    • 10% de cervicotomies ou kyste thyroïde ( n = 3)

    • 10% d’intervention sur les sinus (n = 3)

    • 4% de choléstéatome (n = 1)

    • 3% de fracture des OPN (n = 1)
Les enfants sont évalués par l’infirmière de l’Unité Douleur au retour de salle de réveil puis à J1 et J2.

Le dossier d’anesthésie et le dossier de soins sont consultés pour relever les médicaments anesthésiques et analgésiques ainsi que le suivi de la douleur par l’infirmière et la difficulté d’alimentation.

13 enfants ont été évalués à l’aide de l’échelle TPPPS : les 12 enfants de moins de 5 ans 1/2 et un enfant handicapé. Les 17 autres ont été évalués par l’EVA.

RESULTATS
1 -Anesthésie générale
La plupart des enfants sont anesthésiés avec inhalation de protoxyde d’azote, Diprivan®, et halogénés.

Quasi tous les enfants reçoivent une injection de sufentanyl en per-opératoire ; 86% des enfants reçoivent leur première injection de propacétamol pendant l’intervention. Ainsi plus des 2/3 des enfants reçoivent deux antalgiques pendant l’intervention : un morphinique et du paracétamol IV.
 






































Antalgiques per-opératoires Fréquence Pourcentage
1 antalgique 4 14 %
2 antalgiques 19 68 %
3 antalgiques 18 %
Sufentanyl 27 96,50 %
Propacétamol 25 86 %
AINS 4 14 %
Corticoïdes 2 7 %
Kétamine 1 3 %

2 – Salle de réveil
2/3 des enfants reçoivent un seul antalgique pendant leur séjour en salle de réveil, généralement de la nalbuphine. En effet, ils ont quasiment tous reçu leur première injection de propacétamol en per-opératoire.
Antalgiques en salle de réveil Fréquence Pourcentage
0 4 14 %











































Antalgiques en salle de réveil Fréquence Pourcentage
0 4 14 %
1 antalgique 20 69 %
2 antalgiques 4 14 %
3 antalgiques 1 3 %
Propacétamol 3 10 %
AINS 4 14 %
Nalbuphine 18 62 %
Morphine 5 17 %
Néfopam 1 3 %

3 – Période post-opératoire
l J0 : 2/3 des enfants ont deux antalgiques prescrits, du propacétamol et de la nalbuphine dans la majorité des cas.
La prescription est respectée et les antalgiques sont fait systématiquement à plus de 80 % des cas.
Un seul enfant a bénéficié d’une évaluation par l’infirmière en poste (EVA).
Par contre, dans 18 cas sur 30,(60%), l’infirmière a noté dans le dossier de soins si l’enfant lui paraissait algique ou non, l’horaire des antalgiques faits et leur efficacité.

l J1 : 81 % des enfants n’ont plus qu’un antalgique : du paracétamol per os.
Les antalgiques ne sont administrés qu’en cas de douleur, quelle que soit la prescription, systématique ou non.
2 enfants ont bénéficié d’une évaluation par l’infirmière en poste (EVA).
Pour 19 enfants sur 27, (70%), l’infirmière a noté dans le dossier de soins si l’enfant lui paraît algique ou non.

l J2 : le pourcentage d’enfant ne recevant qu’un antalgique est de 92 %.
Les antalgiques ne sont administrés qu’en cas de douleur.
1 enfant a bénéficié d’une évaluation (EVA).
Pour 10 enfants sur 12, (83%), l’infirmière a noté dans le dossier de soins si l’enfant lui paraît algique ou non.































































Antalgiques J0 (n = 30) J1 (n = 27) J2 (n = 12)
1 antalgique 5 (16,50 %) 22 (81%) 11 (92 %)
2 antalgiques 20 (67 %) 5 (19 %) 0
3 antalgiques 5 (16,50 %) 0 1 (8 %)
Propacétamol 27 (90 %) 0 0
AINS 7 (23 %) 3 (10 %) 0
Nalbuphine 20 (67 %) 0 1 (3 %)
Paracétamol per os ou rectal 3 (10 %) 27 (100 %) 12 (100 %)
Morphine 2 (7 %) 0 0
Néfopam 1 (3 %) 0 0
Corticoïde 0 1 (3 %) 0
Codéine 0 1 (3 %) 1 (8 %)

4 – Evaluation par l’infirmière de l’Unité Douleur
Nous avons considéré que :

  • la douleur est absente si l’EVA est entre 0 et 19 ou la TPPPS à 0 ou 1 

  • la douleur est faible si l’EVA est entre 20 et 29 ou la TPPPS à 2 ou 3

  • la douleur est moyenne si l’EVA est entre 30 et 49 ou la TPPPS à 4 ou 5

  • la douleur est forte si l’EVA est entre 50 et 100 ou la TPPPS à 6 ou 7







Evaluation/expert  J0 (n=25) J1 (n=24) J2 (n=11)

























































  EVA TPPS total EVA TPPS total EVA TPPS total
Pas de douleur 2
14 %
4
36 %
6
24 %
2
14 %
6
60 %
8
33 %
5
50 %
1 6
Douleur faible 7
50 %
4
36 %
11
44 %
6
43 %
3
30 %
9
37 %
2
20 %
0 2
Douleur moyenne 2
14 %
2
18 %
4
16 %
4
28 %
1
10 %
5
20 %
3
30 %
0 3
Douleur forte 3
22 %
1
9 %
4
16 %
2
14 %
0 2
8 %
0 0 0

5 – L’alimentation



















J1 J2
normale 6 9
difficile 19 4
impossible 1 0

On constate donc finalement que :

  • à J0, 68% des enfants ont une douleur absente ou faible, 32% ont une douleur moyenne ou forte. Les résultats de J0 pour l’alimentation ne sont pas interprétables car la plupart des enfants n’avait pas le droit de boire ou manger quand ils ont été évalués.

  • à J1, 70% des enfants ont une douleur absente ou faible, 28% ont une douleur moyenne ou forte. Cependant il est clair que 70 % des enfants ont des difficultés pour s’alimenter.

  • à J2, beaucoup d’enfants sont sortis ou n’ont pu être examinés.
ANALYSE ET DISCUSSION
Les limites de cette étude sont évidentes : échantillon trop petit, mélange de diagnostics avec des interventions plus ou moins algogènes. Il serait pertinent de séparer les résultats des enfants opérés des amygdales, mais notre effectif actuel ne le permet pas.

Il est surprenant qu’une équipe infirmière habituée à utiliser des échelles d’évaluation pour les enfants atteints de pathologie médicale n’aie pas le même réflexe pour les enfants opérés : sans doute la notion qu’il serait « normal » d’avoir mal après une intervention a-t-elle encore un impact inconscient.

L’application de la prescription n’est plus systématique dès le deuxième jour, l’infirmière décide ou non d’administrer le traitement, ce qui va à l’encontre du but recherché : empêcher la réapparition de la douleur. Il y a encore méconnaissance de l’importance et de la durée de la douleur liée à l’amygdalectomie.

Les prescriptions deviennent souvent insuffisantes dès que l’enfant est déperfusé (à J1), l’interne d’ORL n’ayant pas l’habitude de prescrire la codéine.

CONCLUSION
L’audit présenté ici témoigne d’une prise en charge réelle de la douleur en chirurgie ORL pédiatrique dans notre hôpital ; cependant l’absence d’évaluation pendant la période d’hospitalisation postopératoire explique sans doute les déficiences avec un taux de douleur moyenne ou forte excessif. Le projet est d’élaborer une conduite à tenir standardisée incluant évaluation, prescription systématique selon un protocole et application tout aussi systématique de la prescription.





BIBLIOGRAPHIE









1) KOTINIEMI L.H., RYHANEN P.T., VALANNE J., JOKELA R., MUSTONEN A., and POUKKULA E. Postoperative symptoms at home following day-case surgery in children: a multicentre survey of 551 children. Anaesthesia 1997; 52:963-969.
2) TOMA A.G., BLANSHARD J., EYNON-LEWIS N., and BRIDGER M.W. Post-tonsillectomy pain : the first ten days. J.Laryngol.Otol. 1995; 109:963-964.








3) JEBELES JA., REILLY JS., GUTIERREZ JF., BRADLEY EL., KISSIN I. The effect of pre-incisional infiltration of tonsils with bupivacaine on the pain following tonsillectomy under general anesthesia. Pain, 1991, 47, 305-308.
4) WARNOCK FF, LANDER J. Pain progression, intensity and outcomes following tonsillectomy, Pain, 1998, 75, 37-45.








5) GEDALY-DUFF V, ZIEBARTH D. Mothers’ management of adenoid-tonsillectomy pain in 4- to 8-years olds : a preliminary study. Pain.1994, 57, 293-299.
6) COHEN-SALMON D. En travers de la gorge : l’enfant, les amygdales, les végétations et la douleur. 1994, Paris, Interéditions.





7) TARBELL SE, COHEN T, MARSH JL. Toddler preschooler postoperative pain scale (TPPPS). Pain, 1992, 50, 273-280.





SCORE TPPPS

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