La codéine est un morphinique de puissance moyenne (palier 2). Elle agit par transformation en morphine (par déméthylation), dans le foie, en général dans un rapport de 10 à 1, grâce à une enzyme du cytochrome P450 (dépendante du gène CYP2D6 qui comporte une grande variabilité). La codéine a un pouvoir antalgique modeste (10 fois moins puissante que la morphine), elle est donc relativement peu efficace, et son efficacité est variable d’une personne à l’autre. Elle était cependant utilisée en pédiatrie, car elle a une réputation de bénignité, de bonne tolérance, et fait moins peur que la morphine.
Mais l’enzyme qui transforme la codéine en la substance efficace, la morphine, a une grande variabilité génétique : certaines personnes transforment plus ou moins la codéine en morphine. On retrouve deux catégories de personnes [1-4] :

  • les « métaboliseurs lents » : chez eux la codéine n’est pas ou peu transformée en morphine et est donc inefficace (5 à 10 %, voire 47 % de la population selon l’origine géographique de la population étudiée) ;
  • les « métaboliseurs rapides » ou « ultra métaboliseurs » : chez eux la codéine est beaucoup plus transformée en morphine, ce qui aboutit à un taux sanguin excessif (après une dose habituelle) et des manifestations de surdosage possibles qui, si elles ne sont pas détectées, peuvent être dangereuses voire fatales. La proportion de personnes ultra métaboliseurs est variable, de 1 à 7 % en général, mais a été retrouvée à 29 % dans une étude auprès d’Africains éthiopiens [1].

 

Cette particularité du métabolisme peut être analysée dans des laboratoires de pharmacogénétique ; ce test n’est pas réalisé en pratique clinique courante mais seulement lors d’études, ou d’effets indésirables.

Pour prévenir ce risque de surdosage dangereux inattendu, l’Afssaps a déjà en 2007 fait paraître un avis recommandant de ne pas se servir de la pipette graduée du sirop Codenfan® (1 mg = 1 mL) comme d’une pipette/poids mais comme une pipette/mg et de commencer toujours la première administration de codéine à la dose de 0,5 mg/kg au lieu de 1 mg/kg : à cette dose on testait l’efficacité et la tolérance.
Ces dernières années, malheureusement, trois décès et un accident qui aurait pu être fatal sont survenus chez des enfants traités par codéine après une amygdalectomie réalisée pour syndrome obstructif et apnées du sommeil ; tous ces enfants étaient métaboliseurs rapides [1, 5]. Dans cette situation d’obstruction chronique des voies aériennes supérieures, l’encombrement est persistant les premiers jours postopératoires, et il est possible que les récepteurs à l’hypercapnie et à l’hypoxie soient moins réactifs. Des cas isolés avaient déjà été publiés [6-8]. Il a été signalé également de façon tout à fait exceptionnelle le décès d’un nouveau-né allaité alors que sa mère prenait de la codéine pour la douleur ; il était également métaboliseur rapide [9-12] ; une étude cas contrôle chez 7 000 mères n’a pas retrouvé cette complication [13].

Une revue des cas de décès ou de dépression respiratoire publiés soit dans la littérature médicale soit signalés à la FDA a été faite, en remontant jusqu’à 1969, et publiée dans la revue New England Journal of Medicine début 2013 [14]. Cette enquête a retrouvé 13 cas (incluant ceux de l’article de Kelly de 2012), dont 10 décès, chez des enfants de 21 mois à 9 ans : 8 après amygdalectomie, 3 au cours d’infection des voies aériennes supérieures ; seulement 7 sur les 13 avaient été publiés ; tous recevaient apparemment des doses normales de codéine ; sur ceux qui ont bénéficié d’analyse génétique du cytochrome impliqué, 4 sur 7 étaient métaboliseurs rapides.

Parallèlement la société américaine des ORL faisait une enquête en interne sur les décès après amygdalectomie (552  répondants) : deux décès imputables à la codéine ont été retrouvés, chez deux enfants (de 3 et 12 ans) amygdalectomisés pour syndrome d’apnées et obstruction, et confirmés comme ultramétaboliseurs [15].

Dans ce contexte la FDA a fait paraître en février 2013 une contre-indication à l’emploi de la codéine en postopératoire de l’amygdalectomie, et une recommandation de n’utiliser la codéine chez l’enfant que si le bénéfice semblait supérieur au risque.

En Europe, l’agence européenne du médicament (EMEA) a suivi, avec un communiqué du PRAC immédiatement relayé par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – ex-Afssaps) en date du 12 avril 2013 : il s’agit d’une restriction de l’AMM de la codéine :

  • « ne plus utiliser chez les enfants de moins de 12 ans, ni après amygdalectomie ou adénoïdectomie » ;
  • « n’utiliser la codéine chez l’enfant de plus de 12 ans qu’après échec du paracétamol et/ou un AINS », à la plus faible dose efficace, pour la durée la plus courte possible ;
  • ne pas utiliser pendant l’allaitement.

 

L’OMS (Organisation mondiale de la santé, WHO en anglais) recommande maintenant clairement une stratégie à deux paliers :

  • paracétamol + AINS (sauf contre-indication) ;
  • (ou d’emblée selon le degré de douleur) morphine, orale ou IV selon la situation et les modalités possibles de surveillance.

 

Cette stratégie en deux paliers est à développer en France.

 

Commentaire Pédiadol
Cette recommandation est à prendre en compte comme une volonté de sécurité renforcée
pour les enfants opérés d’amygdalectomie pour syndrome obstructif et apnées.
La codéine était un « mauvais » médicament à l’effet modeste et incertain, mais…
elle nous « rendait service »…
Tous nos protocoles pour les situations intermédiaires de douleur doivent être revus.
L’association paracétamol-ibuprofène est recommandée en l’absence de contre-indication ;
si échec, passage à la morphine (sauf dans certaines indications comme la migraine ou
les douleurs chroniques).
La place du tramadol (métabolisé aussi par le même cytochrome,
donc susceptible aussi d’entraîner des accidents graves), et de la nalbuphine (Nubain®)
en milieu hospitalier, n’est pas encore bien établie entre ces deux niveaux.
Des groupes d’experts issus de plusieurs sociétés savantes (SFP [Société française de pédiatrie] –
SFETD [Société française d’étude et de traitement de la douleur] – SFCE [Société française de lutte
contre les cancers et leucémies de l’enfant et l’adolescent] – SFAR [Société française d’anesthésie
et réanimation]-ADARPEF [Association des anesthésistes-réanimateurs p édiatriques d’expression
française] – SFORL [Société française d’ORL et de chirurgie de la face et du cou] – AFPA
[Association française de pédiatrie ambulatoire]) se réunissent pour réfléchir aux alternatives.
Une publication suivra en 2014.
Références
[1] http://www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/ucm313631.htm
[2] Williams DG, Patel A, Howard RF. Pharmacogenetics of codeine metabolism in an urban population of children and its implications for analgesic reliability. Br J Anaesth 2002 ; 89 (6) : 839-45.
[3] Williams DG, Hatch DJ, Howard RF. Codeine phosphate in paediatric medicine. Br J Anaesth 2001 ; 86 (3) : 413-21.
[4] Smith M, Muralidharan A. Pharmacogenetics of pain and analgesia. Clin Genet 2012 ; 82 (4) : 321-30
5] Kelly LE, Rieder M, van den AJ et al. More codeine fatalities after tonsillectomy in North American children. Pediatrics 2012 ; 129 (5) : e1343-e1347.
[6] Voronov P, Przybylo HJ, Jagannathan N. Apnea in a child after oral codeine : a genetic variant – an ultra-rapid metabolizer. Paediatr Anaesth 2007 ; 17 (7) : 684-7.
[7] de Wildt SN, Koren G. Re : Apnea in a child after oral codeine : a genetic variant – an ultra-rapid metabolizer [corrected]. Paediatr Anaesth 2008 ; 18 (3) : 273-4.
[8] Ciszkowski C, Madadi P, Phillips MS et al. Codeine, ultrarapid-metabolism genotype, and postoperative death. N Engl J Med 2009 ; 361 (8) : 827-8.
[9] Koren G, Cairns J, Chitayat D et al. Pharmacogenetics of morphine poisoning in a breastfed neonate of a codeine-prescribed mother. Lancet 2006 ; 368 (9536) : 704.
[10] Madadi P, Koren G, Cairns J et al. Safety of codeine during breastfeeding : fatal morphine poisoning in the breastfed neonate of a mother prescribed codeine. Can Fam Physician 2007 ; 53 (1) : 33-5.
[11] Madadi P, Koren G. Pharmacogenetic insights into codeine analgesia : implications to pediatric codeine use. Pharmacogenomics 2008 ; 9 (9) : 1267-84.
[12] Madadi P, Ross CJ, Hayden MR et al. Pharmacogenetics of neonatal opioid toxicity following maternal use of codeine during breastfeeding : a case-control study. Clin Pharmacol Ther 2009 ; 85 (1) : 31-5.
[13] Juurlink DN, Gomes T, Guttmann A et al. Postpartum maternal codeine therapy and the risk of adverse neonatal outcomes : a retrospective cohort study. Clin Toxicol (Phila) 2012 ; 50 (5) : 390-5.
[14] Racoosin JA, Roberson DW, Pacanowski MA, Nielsen DR. New evidence about an old drug–risk with codeine after adenotonsillectomy. N Engl J Med. 2013 ; 368 (23) : 2155-7.
[15] Goldman JL, Baugh RF, Davies L, et al. Mortality and major morbidity after tonsillectomy: Etiologic Factors and Strategies for Prevention. Laryngoscope 2013 ; 123 (10) : 2544-53.