Peut-on démêler le vrai du faux ?
Pr Daniel Annequin, Président du groupe Pédiadol, Médecin de la Douleur, Centre de la douleur et de la migraine. Hôpital Trousseau 75012 Paris, APHP.
Nos connaissances sur l’effet placebo et son contraire l’effet nocebo ont radicalement changé dans les 15 dernières années. L’effet placebo possède un substrat neuro-biologique objectivable et reproductible. Ses effets thérapeutiques sont solidement documentés.
Les troubles, les symptômes impliquant le système nerveux central (SNC) répondent plus facilement au placebo.
Ces données nouvelles permettent d’améliorer nos pratiques cliniques en développant la qualité relationnelle avec les patients et les familles ainsi que la méthodologie des essais cliniques.
Les débats récents et houleux générés par la nouvelle formulation du levothyrox et les mécanismes d’action de l’homéopathie ont mis l’effet placebo et son corollaire l’effet nocebo au centre de l’actualité.
Ces 2 polémiques nationales ont enflammé les professionnels, les autorités sanitaires et les usagers. La violence, la passion des débats, nous suggèrent qu’ils touchent des points particulièrement sensibles qui questionnent les fondamentaux de nos pratiques.
PLACEBO = TROMPERIE !
Des générations de médecins ont été formées avec des conceptions et des représentations qui sont maintenant largement erronées. Le placebo était disqualifié au moins à 3 titres :
- le placebo est une tromperie
- les patients « placebo répondeurs » concernaient des populations suggestibles , « fragiles » psychologiquement.
- Un effet placebo positif permet de démasquer les « faux » malades.
Durant les 20 dernières années, les connaissances sur la nature et les effets du placebo ont radicalement changé ; ces nouvelles données reposent sur de solides études et des revues de la littérature publiées dans les revues les plus prestigieuses (1-5), elles ont invalidé la plupart des idées fausses sur le placebo.
Ainsi le statut du placebo a pu passer du domaine du « charlatanisme » à celui des neurosciences et de la complexité des interactions sociales entraînant une remise en question profonde de l’utilisation du placebo et de la méthodologie des essais cliniques.
L’effet nocebo
L’aggravation de l’état du patient peut également s’observer après placebo. Ainsi, dans les études randomisées, les patients du groupe placebo présentent souvent les mêmes effets indésirables que ceux qui leur ont été présentés initialement comme effets potentiels effets négatifs (6).
La manière de présenter une anesthésie locale augmente de 40% la perception de la douleur quand on annonce au patient « vous allez sentir une grosse piqûre d’abeille ; c’est la partie la plus difficile » (7) . La tolérance à la douleur d’un garrot gonflé à 300 mm Hg est diminuée de 30% après une perfusion de sérum physiologique présentée comme un produit douloureux alors qu’elle est augmentée de 30 % quand cette même perfusion est présentée comme un antalgique (8).
Il y a 15 ans, à l’Hôpital Trousseau lorsque le fournisseur de bouteilles de MEOPA (mélange gazeux oxygène protoxyde d’azote) a changé, beaucoup d’infirmières se sont plaintes dans les semaines suivantes de céphalées liées l’utilisation de ce mélange gazeux alors que le produit était en tout point identique et qu’il n’avait jamais donné lieu auparavant à ce type de plainte.
Le médecin qui a expérimenté personnellement un effet indésirable avec un médicament (nausées et vomissements avec du tramadol) va induire un effet nocebo en disant à l’enfant lors de la prescription : « si tu as mal au cœur dis le rapidement à tes parents »
EFFICACITÉ DU PLACEBO
Schématiquement, le placebo était défini comme une substance inerte (sans effet pharmacologique) qui était donnée intentionnellement au patient pour étudier l’efficacité d’une thérapeutique.
Cette définition est devenue obsolète (9) car nous savons maintenant que cette substance supposée inerte va induire toute une série de modifications, de changements mesurables et objectivables dans l’organisme du patient. Le placebo se comporte comme un médicament, il active les mêmes circuits neuro chimiques que le médicament. Pour la douleur, ces changements concernent entre autres, la libération de neuromédiateurs :
- Les endorphines : l’effet placebo est antagonisé avec la naloxone (2). Le placebo active les mêmes régions cérébrales (cortex cingulaire antérieur, substance grise périaqueducale, cortex préfrontal… ) que les morphiniques (10)
- Les endocannabinoïdes (11), la dopamine notamment chez des patients parkinsoniens (12)
- La réponse au nocebo induit une activation de la cholecystokinine , de la cyclooxygenase (13), on observe également une activation de zones cérébrales spécifiques (14).
Les conditions d’administration, le contexte.
L’environnement dans lequel le placebo est donné peut jouer un rôle majeur. Ce cadre (15) comprend les propriétés physiques de la médication (couleur, forme, goût, odeur), les caractéristiques du milieu hospitalier (qualité de l’accueil, durée d’attente, agencement de la salle ), l’interaction entre enfants, famille et médecins, la qualité relationnelle entre ces différents acteurs , les paroles, attitudes, comportements, vêtements (16) des professionnels.
QUI EST CONCERNE ?
Les symptômes « subjectifs », les troubles impliquant le système nerveux sont plus sensibles au placebo(1) (17): la douleur, les troubles anxieux, l’hyperactivité, les troubles dépressifs, l’épilepsie, la fatigue, les allergies, les déficits immunitaires, la maladie de Parkinson. Des variables physiologiques peuvent également répondre au placebo/nocebo. Les études sur l’hypoxie d’altitude (18) réalisées à plus de 4000 m, sont très impressionnantes car elles montrent que l’organisme humain peut s’adapter grâce à un conditionnement placebo à des situations extrêmes où la pression d’oxygène est diminuée d’au moins 40%. L’effet placebo/nocebo est également présent dans la majorité des actes thérapeutiques , il participerait à 20 et 30 % des traitements antalgiques : les scores de douleur post opératoire augmentent significativement quand le patient est faussement informé que le traitement antalgique était interrompu alors qu’il continuait à recevoir le produit aux mêmes doses (19) ; inversement les patients ne sachant pas qu’ils bénéficient d’un antalgique actif (perfusion cachée d’opiacé) ont des scores de douleur augmentés de 20 à 30 % (19)
Une utilisation quotidienne
Alors que l’utilisation du placebo en dehors du cadre des essais cliniques est considérée comme non éthique (20), il est très utilisé quotidiennement (21, 22). En Grande Bretagne, 78 % des 783 médecins généralistes interrogés, déclarent utiliser l’effet placebo au moins une fois par semaine (23) , 57 % de médecins rhumatologues ou internistes déclarent l’utiliser régulièrement (24).
QUELS MÉCANISMES ?
De nombreux mécanismes sont mis en jeu lors de la réponse au placebo : la suggestion, la diminution de l’anxiété, le conditionnement, l’apprentissage personnel et auprès des pairs, la mémorisation (expériences antérieures positives ou négatives avec le traitement).
L’attente positive vis-à-vis du traitement
L’espoir d’amélioration, de guérison demeure une composante majeure de la réponse au placebo (2). Les reportages TV, les médias, les réseaux sociaux vont renforcer la crédibilité d’un traitement.
On teste chez des volontaires sains leur temps de tolérance à la douleur provoquée par un garrot pneumatique sur le bras : le groupe informé initialement que cette procédure est bénéfique pour le muscle va allonger significativement la durée d’exposition au brassard contrairement au groupe informé des effets indésirables potentiels de l’ischémie induite par le brassard (25).
La causalité donnée au trouble.
Sonia 8 ans a déjà consulté plusieurs médecins pour des céphalées, sa maman nous indique qu’aucun diagnostic n’a été donné. Par contre, après la consultation chez l’ostéopathe, la fréquence des céphalées a diminué de 75 % pendant 4 mois. La maman décrit très bien son soulagement et celui de sa fille quand le praticien lui a affirmé que l’origine des céphalées était liée à un chevauchement des os du crâne. Le même type d’amélioration temporaire (enfin on a trouvé la cause) peut s’observer après la découverte d’un sinus bouché qui a fait porter indûment le diagnostic de « crise de sinusite » ou après la correction d’un trouble visuel minime (26). Le stress notamment scolaire est très présent dans la migraine, la pression familiale y est souvent associée; pour un certain nombre de parents, le diagnostic « d‘intolérance au gluten » « d’allergie au chocolat » est beaucoup plus acceptable que le questionnement sur cette pression de la famille.
L’effet Hawthorne
Pour la patient, savoir qu’on est l’objet d’une étude scientifique peut en influencer les résultats (1): le patient est valorisé d’être inclus dans une essai clinique, il bénéficie de plusieurs consultations, il imagine souvent recevoir le traitement actif…
LES ETUDES PÉDIATRIQUES
Les réponses au placebo apparaissent plus importantes chez l’enfant (27) et en particulier dans les études concernant la douleur (28, 29), les troubles psychiatriques (30) (troubles obsessionnels 31%, troubles anxieux 39.6% ,dépression sévère 49.6% ). La suggestibilité de l’enfant apparaît plus grande que chez l’adulte, les jeunes enfants apparaissent plus suggestibles que les enfants plus âgés (31, 32). Le rôle de la famille peut être important (« placebo par procuration » (33)) soit en incitant fortement le médecin à prescrire un médicament qui ne lui parait pas utile soit en percevant des améliorations qui ne sont pas objectivées par des échelles comportementales.
49 enfants en bonne santé âgés de 6 à 9 ans ont été exposés à des stimulations électriques cutanées croissantes (34) pour préciser les seuils de perception et de tolérance à la douleur ; ces seuils ont été largement et significativement augmentés chez les enfants qui avaient reçu une lotion placebo présentée comme une lotion magique qui avait aidé un enfant à se protéger de la chaleur au cours d’une chasse au trésor en plein désert. Le groupe contrôle avait écouté un autre conte et recevait la même lotion mais présentée comme facilitant les mesures de l’étude. Le niveau de pensée magique (forme d’auto suggestion courante chez l’enfant: si on le dit cela se réalise …) favorisait la réponse au placebo.
Dans les douleurs abdominales fonctionnelles (35), les résultats de 21 essais randomisés contrôlés ont montré une franche amélioration avec le placebo chez 41 % des sujets.
La migraine de l’enfant
En 2016 paraissait dans le prestigieux New England Journal of Medecine (36) un essai randomisé contrôlé, portant sur le traitement de fond de la migraine de l’enfant : 328 enfants et adolescents (8-17 ans) ont reçu chaque jour soit de l’amitriptyline (laroxyl®) soit du topiramate (epitomax®) soit un placebo sur une période de 4 mois. La réduction d’au moins 50 % du nombre de jours avec céphalée a été obtenu chez 52% du groupe amitriptyline , 55 % du groupe topiramate et 61 % du groupe placebo. Aucune différence n’a été retrouvée pour les autres critères de jugement. Seuls les effets indésirables étaient plus élevés chez les patients recevant un produit actif. Dans une étude multicentrique randomisée chez 839 enfants et adolescents migraineux, âgés de 6 à 17 ans, 50 % des patients ont été soulagés significativement (« pas de douleur ») 2 heures après la prise d’un placebo en traitement de crise (37).
Nous voyons régulièrement dans nos consultations des enfants, des adolescents dont les céphalées, les crise de migraine ne répondent pas à l’ibuprofène et pourtant nous leur prescrivons de nouveau de l’ibuprofène qui s’avère secondairement . L’explication réside dans le fait que lors de notre consultation d’au moins 60 minutes, nous avons passé beaucoup de temps à comprendre la nature des céphalées, les facteurs déclenchant mais aussi à explorer les soucis (familiaux, scolaires, relations sociales…) que l’enfant connait ; nous avons expliqué que les médicaments sont réservés aux crises de migraine et non aux autres maux de tête (céphalées de tension) qui ne répondent pas aux médicaments. Nous avons également repris les dernières recommandations de l’HAS pour rappeler l’efficacité et la sécurité de l’ibuprofène et aussi désamorcer les peurs en grande partie infondées sur l’utilisation de ce produit (38).
PLACEBO HONNÊTE DANS LES ETUDES PLACEBO OUVERT
Le fait de donner ouvertement au patient un placebo en lui expliquant les bénéfices attendus permet d’induire un bénéfice clinique significatif ; cette pratique est maintenant utilisée dans les études de type « placebo ouvert »
97 patients lombalgiques évoluant depuis plus de 3 mois (39) sont dans le groupe 1 « placebo honnête » les patients sont informés qu’ils testent des comprimés de placebo pendant 3 semaines puis ensuite les traitements habituels. Le groupe 2 reçoit les traitements habituels puis le placebo honnête Au final, les scores de douleur et d’incapacité ont baissé significativement pour les patients du groupe 1 par contre les scores du groupe 2 n’ont pas baissé avec les soins habituels mais ils ont baissé dans un second temps avec le placebo honnête.
Ces données suggèrent qu’ajouter un placebo permettrait d’augmenter de 30 % l’effet du traitement « verum ». Le colon irritable (40), la rhinite allergique (41), la tolérance à la douleur chez des volontaires sains (42) ont pu également montrer les bénéfices d’un placebo « honnête »
CHANGER DE PERSPECTIVE
Les professionnels et le public ont une représentation négative de l’effet placebo. Réduire l’homéopathie à un placebo cela revient à dire « homéopathie = tromperie ». Mais présenter l’homéopathie comme un outil puissant permettant entre autre de mobiliser des neuromédiateurs bénéfiques au patient, change radicalement la perspective. Aux USA les réponses au placebo ( dans les études sur les douleurs neuropathiques) apparaissent plus importantes que dans les autres pays, cette plus grande « sensibilité » serait liée à une meilleure acceptation au sein du grand public (43) ; cette représentation positive semble nettement plus marquée aux USA alors que dans les pays européens notamment l’Allemagne, qui en gardent une représentation très négative. Une enquête auprès de 1000 parents américains sur l’utilisation du placebo (44) chez l’enfant (pour les essais clinique et la pratique médicale courante) a montré une opinion majoritairement très favorable à cette option thérapeutique notamment pour la douleur, l’anxiété, les troubles de l’humeur.
CHANGER NOS PRATIQUES
A partir du moment où la réalité et l’efficacité de l’effet placebo, sont admises, le débat apparait beaucoup plus simple et des perspectives nouvelles s’ouvrent. Dans le British Medical Journal, 60 mesures sont listées pour cultiver l’effet placebo ou limiter l’effet nocebo dans le traitement de la douleur non cancéreuse (15). La qualité relationnelle avec les patients et les familles y occupe une place majeure Plusieurs améliorations sont proposées : favoriser des études avec placebo ouvert, décrire les effets indésirables avec sobriété (« le verre est à moitié plein ») (17), valoriser les effets positifs des traitements…
AU TOTAL
L’acquisition de ces nouvelles connaissances enrichit considérablement notre compréhension des relations corps/esprit. Admettre que pour le patient comme pour le médecin, le « mental », les croyances, les émotions puissent faire aussi bien voire mieux qu’un médicament actif reste compliqué pour beaucoup car cela questionne en profondeur les fondements culturels de nos pratiques. Sachant qu’il est toujours plus facile d’apprendre que de désapprendre cela implique de trouver des moyens originaux de modifier nos représentations et de mieux diffuser ces connaissances.
« Je déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article.»
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