Dr Ricardo Carbajal – Service de pédiatrie
Site Poissy CHI Poissy Saint Germain en Laye

 

1. INTRODUCTION
La PCA (Patient Controlled Analgesia) est une technique consistant en l’administration intraveineuse de morphine par petits bolus déclenchés par le patient lui même en fonction de l’intensité de sa douleur. Le principe est le suivant : lorsque la concentration sanguine de morphine est trop basse, la douleur du patient augmente et le patient doit déclencher le dispositif d’injection pour amener la concentration de morphine plasmatique dans la zone efficace. A l’inverse, lorsque la concentration est trop élevée, le patient est « sédaté » et n’est plus capable de déclencher l’administration des nouvelles injections. Cette technique permet donc d’individualiser la posologie et d’ajuster rapidement la quantité de morphine délivrée en fonction de la douleur du patient [1]. Les bolus déclenchés par le patient peuvent être le seul mode d’administration de la morphine ou ils peuvent, si le médecin le décide, être accompagnés d’une perfusion continue de morphine (ceci peut éviter une diminution trop importante de taux sanguin de morphine pendant le sommeil).

Les indications de la PCA sont actuellement très larges et l’on considère à présent qu’elle constitue une méthode pouvant être utilisée pour l’administration de morphine dans toutes les formes de douleur aiguë. Les appareils récents de PCA sont très sophistiqués et sont dotés d’une grande sécurité. Le risque de surdosage est limité par le fait que le patient doit être éveillé pour continuer à s’auto-administrer de la morphine. La valve anti-retour sur la ligne de perfusion est essentielle pour éviter des accidents.

La PCA permet également un certain contrôle sur les effets secondaires de la morphine tels que la sédation, les nausées, les vomissements et le prurit car le patient peut trouver un équilibre entre l’analgésie et les effets secondaires. La PCA peut être proposée aux enfants de plus de 6 ans. Cependant, il existe une grande variabilité dans les capacités des enfants pouvant assurer ce type d’analgésie. C’est pourquoi, le médecin doit s’assurer de la compréhension du système par l’enfant avant d’instaurer une PCA de morphine.

2. PCA EN PÉDIATRIE GÉNÉRALE
La PCA morphine est actuellement largement utilisée chez l’enfant dans le cadre d’une salle de réveil, d’un service d’hémato-oncologie, ou dans les services pouvant compter sur une unité douleur ou sur des anesthésistes. Son utilisation dans le cadre d’un service de pédiatrie générale est plus limitée. Pourtant un bon nombre de ces services reçoivent des enfants présentant des douleurs aiguës intenses pouvant justifier de la mise en route d’une PCA morphine. Outre les contraintes d’équipement nécessaire, ces équipes ont besoin d’une formation technique adaptée, d’une standardisation du mode de prescription et de maniement de la PCA morphine, ainsi que d’une organisation solide permettant que l’ensemble de l’équipe médicale et infirmière soit familier avec la technique et la gestion des problèmes éventuels.

Expérience de la mise en route de la PCA morphine dans un Hôpital Général
Dans l’exposé qui suit nous présenterons une partie de l’expérience acquise lors de la mise en route de la PCA morphine au Site Poissy du CHI Poissy Saint Germain. Après une formation initiale du personnel, la PCA a été introduite dans le service au début de l’année 2002. Les deux premiers problèmes rencontrés ont été la maîtrise technique de pompes PCA par l’équipe infirmière et l’uniformisation de la prescription de ce mode d’administration de la morphine. Nous nous sommes donc efforcé en premier lieu de donner la formation technique aux infirmières et de rédiger un guide de prescription de la PCA morphine destiné aux médecins et aux internes intervenant dans le service. Nous avons ensuite noté que globalement l’équipe infirmière connaissait la mise en route de la pompe mais que, pour une bonne partie de l’équipe, la maîtrise de plusieurs détails ou incidents, survenant pourtant fréquemment lors de l’utilisation de la pompe, était plus difficile à acquérir. Nous avons donc détaillé ces problèmes et commencé à préparer un ensemble de clips vidéo disponibles sur le site Intranet de l’hôpital (accessibles sur tous les ordinateurs du service) traitant chacun de problèmes. Le but de ces clips n’a pas été de se substituer à une formation concrète « en touchant » les pompes mais plutôt d’uniformiser les aspects techniques ainsi que de servir de rappel rapide et immédiat lors de la réalisation des différentes actions sur les pompes. Pour l’instant tous les clips prévus n’ont pas encore été terminés.

Lors de l’exposé oral de cette communication, nous présenterons également les résultats d’une enquête réalisée auprès de l’équipe de Poissy sur les problèmes rencontrés ainsi qu’un extrait des clips vidéo déjà préparés.

3. MATÉRIEL ET DOCUMENTS UTILISÉS AU SITE POISSY DU CHI POISSY SAINT GERMAIN
Nous présentons ci-dessous des extraits de documents rédigés comme guide de prescription dans notre service. Ils sont donnés à titre indicatif et leur utilisation dans un autre service nécessite une discussion locale préalable et une adaptation par l’équipe de ce centre.

EXTRAITS DE DOCUMENTS :

3.1 PRINCIPALES INDICATIONS DE LA PCA MORPHINE

  • Douleur post-opératoire.
  • Crises vaso-occlusives drépanocytaires.
  • Brûlures.
  • Mucites chimio-induites et douleurs oncologiques.

3.2 PRINCIPES ESSENTIELS À FAIRE PASSER À L’ENFANT :

  • « Quand cela fait mal, il faut appuyer sur le bouton ».
  • « Il ne faut pas attendre que la douleur soit insupportable pour appuyer sur le bouton ».
  • « Il faut attendre quelques minutes avant d’avoir l’effet de l’injection de morphine ».
  • « Il ne faut pas avoir peur, il existe des sécurités dans le système : un temps minimum entre deux bolus, il faut être éveillé pour appuyer sur le bouton ».
  • « L’enfant est la seule personne qui peut appuyer sur le bouton ».

L’administration de paracétamol (15 mg/kg/6 h per os) ou du Propacétamol (Prodafalgan® 30 mg/kg/6 h IVL 15 min) diminue la consommation de morphine. Leur association à la PCA morphine doit être quasi-systématique.

3.3 LA COMPRÉHENSION DU PRINCIPE ET LA MAÎTRISE TECHNIQUE DE LA PCA PAR L’ÉQUIPE INFIRMIÈRE SONT ESSENTIELLES À LA RÉUSSITE DE LA PCA MORPHINE DANS UN SERVICE.
Les infirmières doivent être capables de mettre en route la pompe et de la programmer, administrer des bolus personnalisés, revoir l’historique, changer les poches, répondre aux alarmes de la pompe, changer les paramètres à tout moment, ainsi que le maintien d’un registre clair des quantités de morphine administrées et de la surveillance du patient. L’équipe infirmière peut, lorsque les conditions le permettent, préparer l’enfant en préopératoire à l’utilisation de la PCA morphine.

3.4 EXEMPLE DE GUIDE DE PRESCRIPTION DE LA PCA MORPHINE DANS UN SERVICE DE PÉDIATRIE GÉNÉRAL
Attention : Cet exemple a été pris du livret de protocoles du Service de Pédiatrie Site Poissy du CHI Poissy Saint Germain en utilisation en Octobre 2002 (version 3). Son utilisation dans d’autres centres nécessite au préalable la validation par l’équipe médicale locale.

a) Dilution de la morphine : Solution standard
Ampoule de morphine injectable 1 ml = 10 mg.
Prendre 5 ml de morphine (50 mg) et diluer dans une poche contenant 45 ml de Glucose 5 %.
Soit une solution standard de 1 ml = 1 mg.

b) Titration initiale
Faite seulement avec le médecin présent à côté du patient.
Une dose de charge est nécessaire au début du traitement. Administrer 0,1 mg/kg et observer l’effet analgésique. Si le premier “bolus médecin” est inefficace, faire 0,05 mg/kg 10 minutes plus tard, si toujours inefficace faire 0,05 mg/kg 5 minutes plus tard. On cible une douleur par EVA < 3. Arrêter la titration si sédation au niveau 2 (voir stades de sédation). La titration peut aussi être faite manuellement sans utiliser la pompe PCA (notamment si le soulagement doit être fait en urgence et la pompe PCA n’est pas encore prête).

c) Réglages de la PCA
La mise en route de la PCA morphine nécessite la détermination des paramètres suivants [1, 3] :
  • Débit continu de morphine. La règle dans notre service est de mettre une perfusion continue pour la plupart d’enfants. La dose initiale du débit continu est de 0,015 mg/kg /heure. Elle peut être modifiée ultérieurement en fonction des besoins et des réponses de l’enfant. Si lors du suivi, le patient est trop sédaté, le débit continu doit être diminué ou arrêté.
  • Bolus de morphine. La dose initiale habituelle est de 0,02 mg/kg/bolus. Pour les crises drépanocytaires très algiques (ayant nécessité plus de 0,1 mg/kg lors de la titration) cette dose peut être montée d’emblée à 0,04 mg/kg/bolus. D’une manière générale, lorsque les bolus sont insuffisants, on augmente de 50 % la dose du bolus.
  • Nombre de bolus autorisés. 10 bolus toutes les 4 heures.
  • Période réfractaire (ou période d’interdiction). 6 minutes.
  • Dose maximale. Calculer la dose maximale pour 4 heures en additionnant le débit continu et le nombre maximum de bolus autorisés. Exemple : si débit continu 1 ml/h et 10 bolus de 1 mg autorisés par 4 h, la dose maximale pour 4 heures est de 4 + 10 = 14 mg.
  • Bolus médecin. Ils doivent rester exceptionnels (sauf bien sur lors de la titration) et être utilisés seulement lorsque la douleur est insupportable et le patient n’arrive pas à la soulager ; ils signent les limites de la technique. Ils peuvent être de 0,02 à 0,05 mg/kg.
  • Vérifier Narcan® . Une ampoule de Narcan® 0,4 mg = 1 ml (antidote des opioïdes) doit être immédiatement disponible. Dose de Narcan® en cas de surdose de morphine : 0,01 mg/kg
  • Vérification des paramètres PCA. Lors de la mise en route de la PCA le médecin doit vérifier sur l’écran de la pompe que les réglages correspondent à la prescription. Ceci constitue une sécurité supplémentaire.
  • Lors de l’augmentation de doses de morphine. Réévaluer l’enfant toutes les 30 minutes (2 fois) puis 1 fois/heure (Tolérance et douleur) pendant 2 h.

 

RÉÉVALUATION DE LA PRESCRIPTION INITIALE

  • Il est important que la médecin réévalue régulièrement l’efficacité analgésique et les effets secondaires. Doivent être évalués les scores de douleur au repos et à la mobilisation, le nombre de bolus demandés et ceux réellement reçus ainsi que la tolérance clinique.
  • Proposition d’un schéma de réflexion


3.5 DISPOSITIONS AUTOUR DE LA PCA MORPHINE

  • Arrêter tout autre morphinique ou agent sédatif.
  • Surveillance rapprochée du patient.
  • Vérifier la valve anti-retour sur la ligne de perfusion.
  • Surveillance fréquente selon feuille ad-hoc comportant Scope, SpO2, FR, FC, EVA douleur, somnolence, nausées, vomissements, prurit, diurèse, quantité de morphine administré quotidiennement. Cette surveillance est réalisée habituellement toutes les 1 à 2 heures. Lorsque le patient est stabilisé (douleur contrôlée et absence d’effets secondaires) elle peut se faire toutes les 4 heures.
  • En cas de problème ou de nécessité d’un conseil pour modifier une PCA de morphine contacter un des pédiatres du service.

3.6 EFFETS SECONDAIRES ET COMPLICATIONS DE LA PCA MORPHINE

  • Les nausées et les vomissements peuvent survenir dans environ un tiers de patients. Chez quelques patients il peut être nécessaire d’associer une autre analgésie (Prodafalgan® ou AINS par exemple) afin de réduire la consommation de morphine. Pour diminuer les vomissements on prescrit, en première intention, du Primpéran® IV à la dose de 0,1 à 0,2 mg/kg/dose, maximum 10 mg, toutes les 8 h (1 amp 2 ml = 10 mg). En cas de persistance des vomissements et de nécessité de poursuivre la PCA, on peut administrer du Zophren® (Ondansétron) à la dose de 0,1 à 0,15 mg/kg/dose (maximum 4 mg), toutes les 8 h [3].
  • Rétention urinaire. Lorsque celle-ci est importante, on peut administrer un perfusion continue de Nubain® (nalbuphine 2 ml = 20 mg) à la dose de 0,01 mg/kg/heure avec une dose de charge de 0,02 mg/kg. Il peut aussi être administré de façon intermittente à raison de 0,02 à 0,03 mg/kg/4 heures. Cette perfusion d’un agoniste-antagoniste à faible dose permet de contrecarrer une partie des effets mu de la morphine [2]. (Attention : Cette prescription n’est pas admise par toutes les équipes. Il n’existe pas d’ailleurs d’AMM pour ce type d’utilisation.)
  • Prurit. Ceci peut concerner environ 10 % des patients. La prescription d’antihistaminiques peut majorer la sédation ; préférer un antihistaminique avec pas ou peu d’effet sédatif. Lorsque cet effet indésirable est très gênant on peut administrer du Nubain® (voir Rétention urinaire). (Attention : Cette prescription n’est pas admise par toutes les équipes. Il n’existe   pas d’ailleurs d’AMM pour ce type d’utilisation.)
  • Constipation. Effet fréquent. Donner du Duphalac® ou de la Péristaltine® dès le début du traitement pour diminuer la constipation.

    La crainte majeure est le surdosage de morphine : La dépression respiratoire est souvent précédée d’une sédation excessive. En cas de dépression respiratoire, appel médecin de garde, Stop PCA morphine, administrer de l’oxygène nasal (si arrêt respiratoire, ventilation manuelle avec masque facial et Ambu®), administrer du Narcan® 0,01 mg/kg en IVD, dose qui peut être renouvelée. Noter que la demi-vie du Narcan® est inférieure à celle de la morphine et qu’il peut être nécessaire de mettre en route, en cas de surdosage important, une perfusion continue de Narcan® à raison de 0,01 mg/kg/heure pendant 6 à 8 heures. Une bradypnée est définie par une fréquence respiratoire < 10/min chez l’enfant de plus de 5 ans et < 15/min chez l’enfant plus jeune.

     

  • Quelques dangers potentiels de la PCA morphine :
    • Accumulation de la morphine dans la ligne de perfusion de la perfusion principale si une valve anti-retour n’as pas été installée. Ceci crée un risque d’administration massive
      de morphine lors de l’administration de la perfusion principale.
    • Erreur de prescription ou de programmation de la PCA.
    • Administration par inadvertance lors du changement de poche.

STADES DE SÉDATION
Sédation : 0 = bien éveillé, 1 = facilement éveillable, 2 = éveillable par stimulation verbale, 3 = éveillable par stimulation tactile, 4 = non réveillable.

RÉFÉRENCES

1. Gall O. Analgésie auto-contrôlée. In La douleur de l’enfant. Eds Ecoffey C, Murat I. Flammarion. Paris 1999. p 53-60.
2. Somrat C, Oranuch K, Ketchada U, Siriprapa S, Thipawan R. Optimal dose of nalbuphine for treatment of intrathecal-morphine induced pruritus after caesarean section. J Obstet Gynaecol Res 1999 Jun ; 25 (3) :209-13.
3. Gaukroger P. Patient-controlled analgesia in children. In Pain in infants, children and adolescents. Eds Schechter NL, Berde CB, Yaster M. Williams and Wilkins, Baltimore 1993 ; p 203-11.