Pierre-Etienne Truelle, Pédiatre, Centre de la Migraine et de la Douleur de l’Enfant, Hôpital Trousseau, Paris.
in Les 29èmes Journées Pédiadol, Session : AJUSTER SON REGARD AUX BESOINS DE CHAQUE ENFANT
La nouvelle définition de la douleur chronique de la CIM 111 et de l’IASP2 comprend une notion de récurrence et de durée des douleurs. Néanmoins, cette définition ne permet pas d’évaluer l’importance des retentissements de la douleur chronique au quotidien. Ainsi, l’évaluation de la prévalence de la douleur chronique chez l’adolescent en population générale trouve des résultats très disparates : entre 8 et 74% d’une classe d’âge selon les études3–6. Si l’expérience de la douleur répétée semble partagée par une grande partie de la population adolescente, seuls certains de ces patients ont un retentissement important de ces douleurs dans leur vie quotidienne.
Ainsi, la gravité de la douleur chronique pourra être évaluée par le clinicien en s’interrogeant sur les modifications bio-psycho-sociales de la vie du patient7,8. Les différents critères d’évaluation comprennent donc le type de douleur et sa localisation, le fonctionnement social, l’absentéisme scolaire, le fonctionnement familial, la présence d’antécédents de douleurs chroniques chez les parents, la présence de troubles du sommeil, la présence de comorbidités psychologiques7,9. Chacun de ces facteurs est associé de manière indépendante avec une majoration de la gravité de la douleur chronique6,9. Les évaluations du fonctionnement émotionnel et social sont citées parmi les recommandations du groupe d’experts PedIMMPACT comme étant des éléments centraux de la douleur chronique de l’enfant10. Cependant, il n’existe pas à notre connaissance de questionnaire validé en français, permettant d’évaluer rapidement la gravité de la souffrance psychique chez les patients présentant une douleur chronique en consultation. L’évaluation rapide de cette souffrance psychique pourrait cependant permettre un accès plus rapide à des soins psychiques et participerait selon nous à l’amélioration du pronostic des patients.
La douleur chronique peut se présenter dans nombre d’étiologies et de consultations ou de services hospitaliers. Il est rare que les patients évoquent en premier lieu leurs difficultés de fonctionnement ou leurs fragilités psychiques. Les praticiens ne sont pas tous formés à l’évaluation de la présence de troubles psychiques chez l’adolescent. La mise à disposition d’un auto-questionnaire permettrait selon nous de faciliter le dialogue sur ces éléments et favoriser une approche globale du patient.
Le dépistage de la gravité permettrait d’orienter plus efficacement les patients les plus graves vers des centres de compétence. Or, cette orientation rapide vers un centre expert est un facteur protecteur majeur contre la persistance et le retentissement des douleurs chroniques à l’âge adulte11. Par ailleurs, l’absence de prise en charge en centre expert expose à une augmentation de consommation de biens médicaux :
antalgiques, examens cliniques et paracliniques, qui sont autant de risques d’incidents et de persistance de la douleur12.
C’est dans cette optique qu’a été dessinée l’échelle REPERADO dans le service.
Les premières étapes de sa validation (focus group, étude de faisabilité) étaient encourageantes. Elles ont donné lieu à un corpus de 10 questions évaluant des facteurs en lien avec la tristesse, le sommeil, l’anxiété, la scolarité, l’entourage social. De manière intéressante, il n’est pas fait mention de douleur dans les items.
L’auto-questionnaire était distribué en salle d’attente avant le début de la consultation.
Nous avons remarqué que ce questionnaire avait permis l’initiation d’un dialogue entre les adolescents et leurs parents, en salle d’attente sur ces sujets difficiles. Le questionnaire était aussi un bon support pour aborder le fonctionnement psychique en consultation.
Nous avons donc opté pour l’utilisation de ce questionnaire en routine dans le service depuis plus de 2 ans. Ce questionnaire a fait l’objet de plusieurs étapes de validation que nous présentons aujourd’hui.
300 questionnaires de consultation comportant l’âge, le sexe, le motif de consultation, les caractéristiques de la douleur, l’absentéisme scolaire, le score REPERADO et le score HAD13 ont été étudiés et comparés aux 300 questionnaires d’évaluation remplis par le médecin douleur en fin de consultation et en aveugle des résultats précédents.
Le médecin remplissait en particulier le score CGI (Clinical Global Impression)14.
Les patients étaient pour 2/3 des filles. L’âge moyen était de 13,2 ans. Selon l’échelle HAD, 30% des patients présentaient une anxiété pathologique et 10% une dépression. Les patients présentaient un absentéisme lourd (>1 semaine par mois) pour 29% d’entre eux.
REPERADO a été validé en respectant les étapes clés d’un test de mesure subjective : recherche d’unidimensionnalité par analyse factorielle, recherche du degré de consistance interne (alpha de cronbach = 0,7), comparaison au gold standard (CGI) et réalisation de courbe ROC (AUC 0,8).
On montrait ainsi qu’un seuil de REPERADO à 4/10 permettait le meilleur rapport Sensibilité/Spécificité.
Le score REPERADO était globalement bien accepté par les patients en salle d’attente. Il est facilement remplissable. Le calcul du score est simple (somme de 0 à 10). Cependant, en dehors du résultat du test, l’analyse item par item avec l’adolescent et ses parents en consultation nous paraît tout particulièrement intéressante. Cet outil permet une trame de discussion, un média entre l’adolescent, ses parents et les thérapeutes pour parler de ce qui est difficile à dire, la souffrance psychique.
Il convient de s’arrêter sur les valeurs extrêmes et en particulier sur les situations d’incohérence entre l’inquiétude du clinicien et le score. Quelques rares patients pourtant évalués comme graves par les thérapeutes ne montraient pas de score REPERADO
élevé. Ces situations rappellent en premier lieu qu’un score ne doit pas se substituer au sens clinique. L’inquiétude doit être en faveur du patient. Il peut être bon de prendre chaque item point par point avec le patient et réinterroger ses réponses. Ensuite, ces situations peuvent aussi refléter les difficultés de perception des émotions et de la souffrance psychique quand la souffrance physique devient prépondérante. Soit parce qu’elles masquent les difficultés psychiques, soit parce qu’elles en sont le signe incompris comme dans les troubles psychiques à expression somatique.
Nous avons commencé à répéter la mesure dans le temps. Il semble que la répétition de la mesure soit aussi un outil intéressant qu’il serait nécessaire de tester. En consultation, il est alors possible de revenir avec les patients sur l’évolution de leurs ressentis sur tel ou tel item et les changements dans les manifestations des douleurs.
En somme, REPERADO, comme outil simple de repérage de la souffrance psychique chez les adolescents présentant des douleurs chroniques, nous semble pertinent. Cet outil est fiable, sensible statistiquement. Il est par ailleurs un bon moyen de communication
entre les adolescents, les parents et les thérapeutes, en mettant un chiffre sur quelque chose de subjectif.
La mise à disposition d’un score nécessite cependant des précautions. Il convient de s’intéresser à la pertinence de ce score en consultation de première ligne, avec une population nécessairement différente des adolescents consultant au centre de la douleur de Trousseau. La présence d’une inquiétude du clinicien, devra, quant à elle, toujours primer sur le résultat du score.
Nous espérons que le déploiement de REPERADO permettra de faciliter le repérage de situations de souffrance psychique et ainsi d’accélérer la mise en place de la prise en charge biopsychosociale, gage des meilleures chances pour l’amélioration de la douleur chronique.
Références
1. World Health Organization. International classification of diseases for mortality and morbidity statistics (11th Revision). https://icd.who.int/browse11/l-m/en#/http://id.who.int/icd/entity/1581976053 (2018).
2. Treede, R.-D. et al. Chronic pain as a symptom or a disease: the IASP Classification of Chronic Pain for the International Classification of Diseases (ICD-11). PAIN 160, 19–27 (2019).
3 Steingrímsdóttir, Ó. A., Landmark, T., Macfarlane, G. J. & Nielsen, C. S. Defining chronic pain in epidemiological studies: a systematic review and meta-analysis. PAIN 158, 2092–2107 (2017).
4. Hoftun, G. B., Romundstad, P. R. & Rygg, M. Factors Associated With Adolescent Chronic Non-Specific Pain, Chronic Multisite Pain, and Chronic Pain With High Disability: The Young–HUNT Study 2008. J. Pain 13, 874–883 (2012).
5. King, S. et al. The epidemiology of chronic pain in children and adolescents revisited: A systematic review: Pain 152, 2729–2738 (2011).
6. Wager, J., Brown, D., Kupitz, A., Rosenthal, N. & Zernikow, B. Prevalence and associated psychosocial and health factors of chronic pain in adolescents: Differences by sex and age. Eur. J. Pain 24, 761–772 (2020).
7. Liossi, C. & Howard, R. F. Pediatric Chronic Pain: Biopsychosocial Assessment and Formulation. Pediatrics 138, e20160331 (2016).
8. Schroeder, S. et al. Deutscher Schmerzfragebogen für Kinder, Jugendliche und deren Eltern (DSF-KJ): Entwicklung und Anwendung eines multimodalen Fragebogens zur Diagnostik und Therapie chronischer Schmerzen im Kindes- und Jugendalter. Schmerz 24, 23–37 (2010).
9. Zernikow, B. et al. Characteristics of highly impaired children with severe chronic pain: a 5-year retrospective study on 2249 pediatric pain patients. BMC Pediatr. 12, (2012).
10. McGrath, P. J. et al. Core Outcome Domains and Measures for Pediatric Acute and Chronic/Recurrent Pain Clinical Trials: PedIMMPACT Recommendations. J. Pain 9, 771–783 (2008).
11. Barbara Tourniaire, Anne Gallo. Douleur chronique des enfants et des adolescents. Lett. SFETD 3,4 (2013).
12. Ruhe, A.-K. et al. Health Care Utilization and Cost in Children and Adolescents With Chronic Pain: Analysis of Health Care Claims Data 1 Year Before and After Intensive Interdisciplinary Pain Treatment. Clin. J. Pain 33, 767–776 (2017).
13. A validation study of the Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS) in a large sample of French employees. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4476305/.
14. Kadouri, A., Corruble, E. & Falissard, B. The improved Clinical Global Impression Scale (iCGI): development and validation in depression. BMC Psychiatry 7, 7 (2007).
MàJ mars 2023