Pauline Villemont
Infirmière puéricultrice spécialiste clinique Centre hospitalier de Versailles (78)
Bénédicte Lombart
IDE, CSS, PhD Philosophie pratique & Ethique hospitalière, GHU Sorbonne Université, AP-HP (75), groupe Pédiadol.
Chercheur Associé laboratoire LIPHA (EA7373) Gustave Eiffel
in Les 29èmes Journées Pédiadol, Session : Regards croisés : de quoi avons-nous besoin lors des soins difficiles ?

Rationnel

La contention lors d’un soin en pédiatrie est une pratique professionnelle qui est explorée depuis quelques années (Lambrenos & McArthur, 2003; Royal College of Nursing (2003) Restraining, Holding Still and Containing Children and Young People. Guidance for Nursing
Staff. RCN, London., 2003; The Royal Australasian College of Physisian, 2006; Valler-Jones & Shinnick, 2005). Elle est définie, dans ce contexte, comme « l’application de la force avec l’intention de maitriser l’enfant » (Hull & Clarke, 2010). Cette pratique soulève des questionnements éthiques de longue date (McGrath et al., 2002). Ces situations sont prévalentes chez les enfants d’âge préverbal (Bray et al., 2017 ; Brenner et al., 2014) et lors de certains soins comme les intraveineuses ou la sonde nasogastrique (Crellin et al., 2011). Il existe une échelle qui mesure l’intensité de la contention exercée lors d’un soin pédiatrique (Lombart, Annequin, et al., 2019). Cette échelle propose une classification du degré de contrainte. Les niveaux vont de zéro (pas de contention) à quatre (contention très forte).

On constate que les professionnels s’inscrivent souvent dans une dynamique de contrainte lorsque l’enfant est décrit comme peu coopératif, afin de prioriser la rapidité du soin, comme l’observe l’étude qualitative réalisée par Linda Bray (Bray et al., 2016). Peu guidés dans la pratique, ils se sentent en difficulté de la situation où ils doivent avoir recours à la contention et décrivent un ressenti négatif lié à ce type d’expériences (Oudjani et al., 2015), sans pour autant stopper le soin.

Le ressenti des patients a aussi été documenté. Ils sont empreints d’un panel d’émotions et de sensations particulièrement désagréables : stress, anxiété, peur, colère (Bray et al., 2015 ; Brenner, 2007 ; Lambrenos & McArthur, 2003 ; Robinson & Collier, 1997). La protestation,
la fuite et la résistance sont décrits chez des patients d’âge préscolaires lors d’une prise de sang (Svendsen et al., 2015).

Quant aux parents, leur perception vis-à-vis de la pratique de la contention sur leur enfant est peu interrogée. On retrouve une étude qualitative australienne qui relate, entre autres, l’expérience des pères confrontés à la contrainte physique lors d’un soin réalisé sur leur
enfant hospitalisé en oncologie pédiatrique (McGrath & Huff, 2003). Ces derniers décrivent une réelle douleur morale en lien avec le fait de participer à la contention de leur enfant lors des soins. Ce phénomène est décrit comme le plus traumatisant dans le vécu de l’hospitalisation de leur enfant.

Une étude qualitative réalisée par Maria Brenner en 2013 (Brenner, 2013) avait pour objectif de décrire les expériences vécues par les parents, lorsque leur enfant est contraint physiquement lors d’une procédure clinique. Des entretiens individuels ont été menés avec
sept parents. Les résultats montraient que la majorité des parents interviewés étaient très mal à l’aise avec la prise en charge de leur enfant, lorsque celui-ci était contenu de force pour une procédure. Les résultats indiquaient la nécessité d’une réflexion multidisciplinaire concernant la pratique de la contention. Les parents relevaient le besoin d’une plus grande information au moment des procédures, y compris sur le nombre de tentatives prévues pour une procédure, ainsi que des conseils spécifiques sur les techniques de positionnement adaptées pour réaliser les soins de leur enfant de manière rapide et sûre.

Le contexte des soins réalisés aux urgences pédiatriques semble une variable associée au risque de contention (Lombart et al., 2013). De plus, ces services font partie d’un système de santé difficile à appréhender pour les parents : ils ne savent pas toujours comment et dans quelles situations avoir recours aux services d’accueil des urgences (SAU) (FauchierMagnan & Fenoll, 2021). L’anxiété parentale peut donc être majorée dans le contexte des urgences et celle-ci peut être augmentée par le recours à la contention de leur enfant. Ce qui se joue pour le parent lors de situations de soins difficiles pour l’enfant est à prendre en considération, car on connait l’importance des interactions entre parents et enfant. D’ailleurs, les soins axés sur le système-famille – fondé sur la reconnaissance de l’influence des interactions parents-enfant – correspondent à un modèle qui est désormais admis en pédiatrie (Coleman, 2009 ; Galvin et al., 2000 ; Hutchfield, 1999).

La perception qu’ont les parents du phénomène de la contention forte doit par conséquent être prise en compte et explorée.

Notre étude a donc cherché à explorer le ressenti du parent vivant l’expérience de la retenue physique pour son enfant d’âge préverbal, lors d’un soin aux urgences pédiatriques, en faisant émerger ses perceptions (représentations, émotions…) et le sens donné à ce qui se produit. Il s’agissait de restituer son expérience de vie à partir de son point de vue grâce à la méthode qualitative descriptive simple.

Méthode & design

L’objectif de cette recherche qualitative était de découvrir et de comprendre le phénomène de la contention forte d’un enfant lors d’un soin, du point de vue de son parent. La méthode descriptive simple permet « de considérer les valeurs de la personne dans l’exercice de son jugement clinique » et de recueillir les caractéristiques d’une population dans un domaine peu étudié (Fortin & Gagnon, 2016, p. 209). L’approche descriptive de type phénoménologique a été retenue, afin de préciser et de décrire la signification de l’expérience de la contention élevée pour son enfant, telle qu’elle est vécue par le parent dans le contexte des urgences pédiatriques. Il s’agit donc de modifier son point de vue en partant du phénomène pour aller vers le sujet. L’essence du vécu des parents, au sens phénoménologique, est issue de la description de l’expérience vécue.

L’enquête s’est déroulée sur le premier semestre 2022 dans un service d’urgences pédiatriques au sein d’un CHU parisien. Les enquêtés ont été sélectionnés au regard de plusieurs critères. Les critères d’inclusion étaient : être parent observateur et/ou acteur d’un soin réalisé avec contention forte (à savoir, score 2,3 et 4 pour les enfants de moins d’un an et 3 et 4 pour les enfants d’un an à trois ans et demi) ; ne pas être dans la situation d’un soin réalisé chez un enfant dont le pronostic vital pouvait être engagé ; parler la langue française. Les critères de non-inclusion étaient : la présence de troubles neurocomportementaux, psychiatriques ou sensoriels, chez l’enquêté ou son enfant, pouvant altérer la communication entre les différentes personnes présentes dans le box et/ ou pouvant favoriser la mise en œuvre de la contention élevée ; le recours à un interprète pour communiquer avec les professionnels de santé ; avoir un autre enfant présent dans le box de consultation afin que son attention ne soit pas portée potentiellement sur lui.

La note d’information, le recueil de non-opposition ainsi que les conditions de l’entretien (confidentialité, anonymat, liberté d’arrêter, consultation des données…) étaient présentés et explicités par l’enquêteur. Quand toutes les conditions étaient réunies, l’entretien pouvait
débuter. Le participant était interrogé par l’enquêteur (infirmière puéricultrice étudiante en master sciences cliniques en soins paramédicaux) à l’aide d’une carte mentale dont les thèmes, définis et validés à l’avance, étaient déroulés librement en fonction de son récit.
Ces entretiens semi-directifs étaient réalisés (avec enregistrement audio) dans l’heure suivant le phénomène vécu. Les données comportementales étaient collectées dans un cahier de terrain. Les verbatims des participants étaient retranscrits mot à mot, traduits en
unités de sens, puis structurés.

Un échantillonnage non probabiliste intentionnel a été retenu pour cette étude qualitative (Fortin & Gagnon, 2016). En effet, étant presque impossible d’obtenir un échantillon probabiliste, nous avons recruté les participants sur la base des caractéristiques de la population cible.

Résultats

Description de la population

Il y a eu au total 11 parents interrogés (dont les deux parents d’un même enfant : enquêtés 10 et 11). L’échantillon était varié au regard de l’âge des participants (entre 26 et 48 ans), avec une moyenne à 35 ans. Leur enfant, dont huit étaient des filles, avaient en moyenne 25
mois (âge entre 7 et 47 mois) (tableau 1). Les enquêtés avaient en moyenne deux enfants. Sept consultaient pour leur premier enfant.

L’échantillon était également varié concernant les catégories socioprofessionnelles (quatre sur six sont représentées). Huit enquêtés occupaient une activité professionnelle. Les trois femmes sans activité étaient au foyer afin de s’occuper de leurs enfants en bas âge. Seule
l’enquêtée 6 travaillait dans le secteur de la santé (aide-soignante).

L’échantillon était aussi varié au regard de l’âge des participants (entre 26 et 48 ans), avec une moyenne à 35 ans.

Concernant les antécédents médicaux, seul un enfant avait une pathologie chronique (drépanocytose avec peu de crises vaso-occlusives, sans hospitalisation). Concernant les antécédents d’hospitalisation, nous avons noté quelques jours en néonatalogie à la suite de la naissance (situations 3, 4 et 10), une pyélonéphrite aigüe à un mois (situation 7) et une hospitalisation pour perte de poids à trois ans (situation 9).

L’échantillon des participants comportait des critères de variation (catégories socioprofessionnelles, âge des participants) et d’homogénéité (lieu d’habitation en zone régionale prioritaire, vie maritale, rapport « classique » à la maladie ou l’hôpital, médecin traitant déclaré). Pour cinq participants, le service dans lequel l’étude se déroulait n’était pas leur hôpital de secteur. Ils venaient y consulter en raison d’expériences antérieures négatives à proximité de leur domicile. Seule l’enquêtée 6 consultait dans ce service dans le cadre d’une maladie chronique (drépanocytose) pour son enfant suivi dans cet hôpital.

Contention

Sur les onze situations, six concernaient des soins avec une contention très forte (niveau 4). Il s’agissait donc de soins avec une ou plusieurs parties du corps de l’enfant maintenues par plusieurs personnes avec réaction de retrait et agitation importante de l’enfant, se débattant fortement malgré la contention (Lombart, Annequin, et al., 2019). Les cinq autres situations correspondaient à des soins avec une contention forte (niveau 3). Les enfants étaient maintenus fermement par plusieurs personnes. L’enfant protestait, criait et/ou pleurait (Lombart, Annequin, et al., 2019).

Dans dix situations, le parent était positionné proche de la tête de son enfant, et tenait une partie de son corps dans huit cas (tableau 1). Les autres personnes maintenant l’enfant étaient des professionnels de santé et des étudiants en stage (paramédicaux et médicaux).

Perception de la situation au travers du prisme du référentiel préexistant

Le parent procède à la description du soin et de la retenue physique sous le prisme de ses propres repères. Qu’il s’agisse de références éducatives, culturelles ou comportementales, il cherche, dans son histoire et celle de son enfant, des situations antérieures comparables
à celle qu’il est en train de vivre. « En fait ça s’est déjà produit lors de la bronchiolite. Parce que souvent ils devaient faire si la saturation pulmonaire était bien. Et à chaque fois il était bloqué. Ils ont fait des prises de sang et là encore il est bloqué » (enquêtée 1). « Après j’me
suis dit, quand on fait un lavage de nez à notre enfant… on contient notre enfant. On le bloque

Tableau 1 : Caractéristiques des situations de soin

(mimes avec les bras des gestes de blocage) » (enquêtée 8). « J’ai grandi comme ça… à la force… parc’que c’est nécessaire. C’est pour la santé, ça lui bénéficie » (enquêtée 9).

Le soin et la contention physique : des notions entremêlées

Il décrit le soin réalisé à son enfant sans en extraire la retenue physique de façon distincte. L’exposé des positions du corps de l’enfant, de son propre corps et de celui des soignants entremêle le soin et les manœuvres de contention et forme un ensemble inséparable.
« Le stagiaire qui était à côté lui euh… lui qu’est-ce-qui tenait euh… ah oui, il tenait la tête de Léa pendant que l’interne pouvait suturer Léa en toute euh, sans c’que… pour maint’nir le plus possible Léa sans qu’ça bouge en fait car elle était vachement proche de l’œil, sur la partie sourcil » (enquêté 8). « Donc elle est tenue, tenue. Et puis on voit cette aiguille qui s’balade sous la peau… c’est quand même euh…voilà… je… » (enquêté 10).

Un discours paradoxal

Régulièrement, dans les récits parentaux, sont relatés des évènements engendrant une souffrance de l’enfant et/ou du parent. Pourtant, ce dernier ne met en œuvre aucune action particulière permettant de stopper le processus ou de le diminuer. La singularité de ces descriptions constitue la structure névralgique des entretiens. Cette apparente contradiction présente deux facettes de la situation de soins.

Par exemple, le parent décrit la douleur émotionnelle et physique de son enfant et sa propre souffrance sans pour autant arrêter le soin. Aussi, il fait une description de son enfant éprouvé par le soin et la contention, mais perçoit les soignants comme bienveillants et attentionnés envers leur enfant. Bien que le champ lexical du combat soit utilisé, dans l’ensemble, il ne semble pas percevoir la violence de la situation.

Une sémantique reliée à la notion de lutte pour parler de la contention

Les termes utilisés pour décrire les situations de contention s’apparentent aux notions de lutte, de combat, de force et de violence : « catch », « bloqué », « défend », « hyper violent », « situation de force », « coups de pied », « force physique », « séance de catch », « violence », « se débattre », « la personne à califourchon », « qu’on lui tienne les mains », « il tenait la tête », « se défend ».

De la souffrance morale à la banalisation

Le parent décrit l’expérience de l’enfant durant le soin et la contention physique, ainsi que ses émotions et celles de son enfant (tableau 2). Pour son enfant, le parent mentionne majoritairement de la peur et la douleur : « autant là ils ont beaucoup de mal à la piquer donc euh elle a mal donc ça a été compliqué » (enquêtée 2). « Oui mais elle c’est la peur, l’angoisse qu’elle a. C’est pour ça, elle crie » (enquêtée 6).

Le parent relate également ses propres émotions. Deux profils sont distingués. Certains se sentent inconfortables durant la procédure avec de la détresse et de l’angoisse. « Non je la tiens, je la maintiens… je lui parle mais bon… moi ça me fait mal… » (enquêtée 6). Une seule (l’enquêtée 5) est sortie du box de consultation au cours du soin car elle n’a pas supporté de voir son enfant tenue par plusieurs soignants. Pour les autres, la frustration et l’impuissance face à la détresse de leur enfant les mettent en difficulté : « mais c’est dur de voir son enfant… bah… obligé à des soins. Après bah il faut… je m’oppose pas… parce que c’est important pour le soigner… mais c’est très dur à vivre pour un parent » (enquêté 1). D’autres décrivent une scène s’apparentant à une situation ordinaire, sans affect particulier. La retenue physique est normalisée et est perçue comme une étape nécessaire à la réalisation du soin. La perception émotionnelle de la situation s’efface au profit de l’objectif poursuivi « moi ça m’dérange pas, y’a pas de problème (rire). Voilà » (enquêtée 3).

Tableau 2 : Expériences émotionnelles

Un état émotionnel inédit = un événement

Ses émotions entraînent un état d’énervement inédit pour l’enfant, décrit par la moitié des enquêtés. Ils n’avaient jamais vu leur enfant dans cet état. « C’est la première fois. Elle n’a jamais été dans une situation comme ça, de force euh… » (enquêtée 8). « Non moi à ce point-là, je ne l’avais jamais vue » (enquêtée 10).

La contention physique : une procédure justifiée

Les participants justifient systématiquement la retenue physique appliquée lors du soin.

L’intérêt supérieur de l’enfant

Spontanément, elle se légitime par le fait qu’elle est effectuée par le soignant dans l’intérêt de l’enfant, et donc de la réalisation du soin prescrit en urgence. Le parent a conscience que son enfant n’est pas tenu dans l’intention de lui nuire.

Selon la majorité des parents interviewés, le soignant agit dans l’intérêt de l’enfant et doit pouvoir réaliser son geste dans les meilleures conditions possibles : sans que l’enfant ne bouge (« comme ça elle tenait les quatre membres le long du corps pour éviter que Léa elle bouge un minimum la tête en fait » (enquêtée 8)) et sans qu’il soit blessé par un coup porté par l’enfant qui s’oppose (« c’est normal qu’elle soit maintenue… Même pour elle et pour les infirmières j’dirais. Elle pourrait aussi filer un gros coup d’pied. Il faut qu’elle soit maintenue. Moi j’ai pas vu d’la violence. J’lai pas r’ssenti comme ça » (enquêtée 10)).

Pas d’alternative

Il n’imagine seulement pas d’autres façons d’agir : « oui il bouge trop en fait ». « Bah on n’a pas le choix en fait… (rires) il faut faire… il faut arriver » (enquêtée 3).

S’inscrit tout de même dans la bienveillance

La posture bienveillante globale du soignant est soulignée : « et puis après, pendant, où elles se sont adaptées j’pense… elles ont fait pas exactement comme c’qu’elles devaient faire ou ce qu’elles font d’habitude parc’que elles se retrouvaient face à cette situation là.
Ça s’est très bien passé » (enquêtée 4). « Après eux… euh… c’était quand même bienveillant, c’était euh… quand même pour le bien-être de Léa » (enquêtée 8). « Hum non non, j’pense que y’a beaucoup d’intelligence émotionnelle dans ces trucs-là… Entre savoir… De voir ce
dont a besoin le petit, dont ont besoin les parents aussi parce que j’pense qu’il faut juste évi-ter qu’il y ait une bulle de stress autour du soin » (enquêté 4).

La contention physique : l’enfant responsable

Certains verbatims parlent du fait que l’enfant porte sa part de responsabilité dans la mise en œuvre de la contention physique : «l’infirmière, la première fois, hier, elle a expliqué que ça va pas faire mal, qu’elle va faire une petite piqûre. C’est bien expliqué, elle est patiente. Mais c’est… c’est elle… elle commençait déjà… Déjà l’auscultation elle ne voulait pas… Alors qu’il ne se passe rien… déjà elle pleure » (enquêtée 9), « oui, oui, toutes façons, quand elle va chez le médecin, c’est toujours compliqué » (enquêté 7), « dès qu’elle les voit, elle est angoissée » (enquêtée 6). Malgré les explications et le temps pris par l’équipe soignante pour introduire le soin, l’enfant le refuse.

Des besoins parentaux non satisfaits

Enfin, l’expression de besoins non pris en compte est palpable au fil des entretiens. La majorité concerne le manque d’informations concernant le soin et la contention physique. Ils se sentent démunis face à cet environnement qu’ils ne connaissent pas et estiment qu’ils auraient pu y être davantage préparés : « parce que je pense que les parents peuvent aider à rassurer les enfants mais il faut qu’ils sachent un minimum comment ça se passe » (enquêtée 1). « Bah, je m’attendais pas, j’m’attendais pas trop euh au fait qu’elle euh, qu’elle soit tenue » (enquêtée 5). « Non mais quelqu’un qui connaisse le métier des infirmières, qui puisse nous dire : « bah en fait là elles ont la veine mais elles la trouvent pas ». Et qui va nous dire : « bah là l’enfant il va être hyper énervé, il va être euh… c’est pas un truc qu’il aime… » (enquêtée 10). « Bah l’information du parent, moi le fait de m’informer, moi ça m’aide dans… pour me positionner. Ça m’aide aussi pour euh… anticiper la réaction de mon enfant. J’dirais que c’est d’l’information. Mieux on est préparé sur, bah voilà, on va faire ça… bah déjà, moi je… j’dois savoir comment j’dois me positionner par rapport à cet acte. Euh…, j’peux essayer aussi d’identifier les réactions de ma fille euh… et donc j’ai l’impression qu’j’me positionne mieux, pour mieux réagir à ma fille. Moi, j’ai l’impression que bah voilà… pour résumer, plus on est informé, plus on est préparé » (enquêté 7).

Quelques-uns font mention de ce qui aurait pu être une aide pour faire face dans cette situation. L’enquêtée 1 pointe un manque concernant les moyens de distraction : « peut-être des jouets, un écran car à cet âge ils commencent à regarder des images et ça peut les entretenir euh » et la prise en charge de la fratrie « pour eux aussi, ça a été deux journées très très dures. On n’a pas eu l’opportunité de les confier à quelqu’un ». Les enquêtées 5 et 6 auraient préféré que le père de l’enfant soit présent avec l’enfant car il est plus fort physiquement et psychiquement pour ce genre de situation : « j’préfère qu’elle soit avec son père qui… oui oui, il est fort (rires) » (enquêtée 6). « Parce que lui, il aurait été plus fort que moi et il l’aurait, l’aurait déjà lui, maintenue » (enquêtée 5).

Permission parentale implicite ou participation active à la contention

Dans toutes les situations relatées, le parent ne s’est jamais opposé ni à la réalisation du soin, ni à la retenue physique. Il a assisté et participé activement à la contention en décrivant un véritable partenariat avec le soignant. Le ressenti global de satisfaction de la prise en charge était majeur pour chacun, malgré des descriptions relatant une souffrance morale et physique de leur enfant.

Des parents globalement satisfaits

Le parent est majoritairement et globalement satisfait vis-à-vis du déroulement du soin. Le travail du soignant est valorisé et reconnu. L’objectif est atteint : « non… pour moi, je félicite l’hôpital. Pour moi, je suis contente. Le service est excellent » (enquêtée 9).

Discussion

Le besoin de support des parents

Ce besoin n’est pas spécifique à la situation de la contention, car avoir un enfant à l’hôpital est une expérience stressante pour la plupart des parents. Une revue de la littérature récente a étudié les besoins des parents d’enfants hospitalisés pour brûlures (Lernevall et al., 2020). Les conclusions de cette revue décrivent les sentiments de détresse, de culpabilité et de responsabilité des parents, ainsi que leurs besoins d’information et de soutien. Ces sentiments sont assez proches de ce que les parents enquêtés ressentent lors de la contrainte physique forte de leur enfant aux urgences.

Le soutien des infirmières peut aider les parents à conserver leur rôle parental et à promouvoir des soins infirmiers pédiatriques de qualité (Sanjari et al., 2009). Cependant le recours à la contention forte lors d’un soin peut renforcer ce besoin de support. En effet, l’étude de Brenner auprès des parents montrait qu’ils ressentaient de l’impuissance et du désarroi lorsque leur enfant était soumis à de la retenue physique pour une procédure clinique. Ils étaient apparus comme étant dans une position très vulnérable, souvent incapables de réconforter ou de prendre soin de leur enfant de manière adéquate, certains comparant cette expérience à de la complicité. Ce point n’a pas du tout été soulevé dans les résultats de notre étude. Le fait que les parents soient en détresse explique peut-être la difficulté à exprimer ce type de sentiments ? En effet la détresse des enfants lors de la contention forte au cours d’un soin enclenche de la détresse chez les parents.

Des besoins parentaux non couverts

Les situations de contention forte témoignent de besoins non couverts du côté des enfants, à savoir besoin d’être respectés dans l’expression de leur refus, besoin de réassurance et de gestion de la détresse lors de situations spécialement anxio-gènes…) (Duff et al., 2012). C’est également le cas des besoins parentaux. Le parent décrit ce qui aurait pu modifier sa perception de la situation. Il aurait eu plus de facilité à s’intégrer pleinement à la situation, en toute conscience, s’il avait eu plus d’informations en amont. Ainsi, inconsciemment ou pas, nous pourrions dire que le soignant entretient un certain degré de dépendance du parent, qui se range à ses côtés. Les uns et les autres sont concentrés sur leur difficultés respectives et la re-tenue physique devient une alternative acceptable. Ce qui enclenche certains clivages dans les comportements.

Clivage des comportements parentaux face à la contention

En effet, on distingue deux grands types de réactions : empathique ou non empathique (c’est-à-dire voient ou pas la détresse de l’enfant, la prennent en compte ou la banalisent). Pour certains, ils semblent mettre entre parenthèses ce qui se pro-duit pour leur enfant et n’accordent pas d’importance – pas d’affects spécifiques – à l’évènement, notion de non-événement de la contention. Ce point rejoint la notion de mise entre parenthèses de la faculté empathique, sorte d’aveuglement à la détresse, qualifiée par l’auteure de « cécité empathique transitoire » lors de la contention forte d’un enfant au cours d’un soin, proposée dans une étude qualitative (Lombart, De Stefano, et al., 2019) qui s’intéressait
à ce qui se produit pour le soignant.

Cependant, quelle que soit la catégorie dans laquelle le parent se place temporairement, il semble que l’ensemble des parents se soumettent d’une certaine manière à l’autorité soignante, ce qui contredit ce que suggérait Wilmot (Wilmot, 2003), qui postulait sur le fait que la déférence indiscutable des parents aux personnels de santé n’existait plus. Les résultats de cette étude, comme ceux de Brenner (Bren-ner, 2013) précédemment, suggèrent que c’est le contraire qui se produit pour certains parents : en témoigne le fait que les parents ne remettent pas en question le recours à la contention forte, soit parce qu’ils se sentent démunis dans un environ-nement inconnu, soit parce qu’ils n’envisagent pas d’alternative et que cette pratique rejoint d’une certaine façon leur conception de l’éducation où la contrainte fait partie du modèle éducatif.

Le parent épouse les perspectives du soignant, elles-mêmes guidées par la réalisation du soin technique

Bien que la détresse soit décrite et donc perçue par le parent, l’émotion de l’enfant ne déclenche pas le système de caregiving (Boyer-Vidal & Tereno, 2015). Le soin se poursuit, sans que le parent puisse répondre à la vulnérabilité de son enfant. Notre échantillon est trop faible pour que nous puissions corréler le cadre de référence parental (éducatif, culturel et expérientiel) avec sa réaction durant la retenue physique. Pour autant, comme aucun n’a arrêté le soin, nous remarquons que tous ont pris la même direction : celle du soignant. En effet, chacun décrit qu’il a été guidé dans ses gestes par le soignant et qu’il a mis en œuvre les différentes instructions, dans une relation de partenariat. Le parent a repéré que ces choix étaient dans l’intérêt de l’enfant et que le soignant n’avait pas la volonté de nuire. Il peut donc se permettre de se conformer aux choix stratégiques du soignant, même si cela engendre de la souffrance et de la détresse chez son enfant.

Substitution de la figure d’autorité

La figure d’autorité parentale semble se substituer à l’autorité soignante. Le système familial existant est bouleversé par le stress que peut occasionner la consultation aux urgences, l’état de santé de l’enfant et le soin avec retenue physique, autant chez l’enfant que chez le parent qui l’accompagne. Un nouveau système, celui de la relation de soin, apparaît avec la modification des relations interpersonnelles. Or, dans ce système, la relation est asymétrique. Le parent, vivant une situation stressante et exceptionnelle, ne peut mettre en œuvre son fonctionnement habituel face au professionnel, vivant une situation ordinaire qu’il conduit (temps d’attente, triage, choix des examens). Devant agir dans le même but que le soignant, l’intérêt supérieur de l’enfant, le parent fait le choix de la loyauté envers lui.
Quoi qu’il en soit, on note un défaut de recueil et de reconnaissance des besoins des parents dans la démarche infirmière au décours de la contention. Il n’a pas été informé en amont du déroulé précis du soin ni des alternatives possibles pour accompagner son enfant dans le processus. La notion de contention physique face au refus de soin n’est évoquée à aucun moment. Il pourrait donc plus s’agir d’un processus d’adaptation du parent face à une situation inédite et anxiogène, plutôt qu’à un processus de compliance. Il pourrait donc être intéressant de recourir à une échelle de mesure du support parental (Miles et al., 1999) par les infirmiers afin de mieux cerner les besoins dans ces circonstances spécifiques. En effet, on sait que l’empowerment parental nécessite que l’on crée des opportunités (Melnyk et al., 2004).

Des recherches supplémentaires sont nécessaires : pour faciliter le développement de programmes de stratégies infirmières fondés sur des preuves, afin de réduire le nombre et l’intensité des situations de contention forte ; ainsi que des programmes de soutien des parents d’enfants qui doivent en dernier recours être contenus, afin de mieux répondre aux besoins parentaux.

Conclusion

Bien que le vécu parental souffre encore de méconnaissances, nous pouvons dire que le parent vit une situation difficile quand son enfant a un soin avec retenue physique aux urgences pédiatriques. Il appréhende cet événement selon ses propres références éducatives, selon sa conception de l’accueil des émotions de l’enfant. Il s’agit d’une expérience qui fait souffrir le parent de l’enfant concerné par la contrainte
physique. Le parent ne trouve globalement pas de support auprès des soignants dans la situation spécifique de contention de l’enfant. Dans tous les cas, il substitue son raisonnement à celui du soignant, en laissant une place relative à la vulnérabilité de son enfant. De fait, il ne peut être à l’écoute de ses propres besoins, qui ne sont pas tous repérés par le soignant. Dans une approche systémique familiale, le parent ne pourrait-il pas être un levier contre la contention forte, s’il était considéré comme véritable partenaire de soin ?

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MàJ mars 2023