Christelle LECELLIER Psychologue, hypnothérapeute et thérapeute familiale, SESSAD APF France handicap, LAVAL (53)
in Les 29èmes Journées Pédiadol, Session : AJUSTER SON REGARD AUX BESOINS DE CHAQUE ENFANT

Préambule : le contexte d’intervention
Le SESSAD APF France Handicap de Laval accueille des enfants, adolescents et jeunes adultes de 0 à 25 ans, en situation de handicap moteur ou de polyhandicap. Ces handicaps ont des origines diverses.

L’équipe est multidisciplinaire : éducateurs spécialisés, paramédicaux (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophoniste), médecins, secrétaires, directrice, psychologues. Au sein du SESSAD, le psychologue accompagne les enfants et adolescents, ainsi que l’ensemble de la cellule familiale (parents, fratrie…).

Introduction
La rencontre avec une personne, touchée par le handicap, conduit quasi toujours à la rencontre d’une famille, elle aussi, touchée. Le handicap ou la maladie de l’enfant crée un cataclysme familial et parental. Ce cataclysme est fait d’annonces répétées, de pertes et de problématiques médicales parfois très lourdes. Ainsi, le handicap amène l’enfant ou l’adolescent à vivre des réalités complexes : douleurs chroniques ou douleurs aiguës en lien avec les soins médicaux, les rééducations, les opérations…
Par ailleurs, les parents ont eux aussi à faire face à la prise en charge de la réalité du handicap et à des souffrances parfois intenses chez leur enfant. Comment l’hypnose permet-elle de se protéger, de s’apaiser, d’activer les ressources, de remettre la personne en mouvement, de laisser venir la douceur ?

I – Aider l’enfant en situation de handicap face à la douleur
Beaucoup d’enfants et d’adolescents, du fait de leur situation de handicap, ont un corps qui fait l’objet de soins répétés. Certains enfants ou adolescents peuvent exprimer que la douleur est inéluctable, qu’ils ne peuvent rien y faire, que cela ne leur appartient pas. Ceci peut conduire à un vécu d’impuissance, partagée par les parents. Les enfants peuvent dire : « ça ne sert rien de parler de mes douleurs, de toute façon, on ne peut rien y faire », « on me dit d’être courageux, mais moi j’en ai marre d’être courageux ».
L’hypnose permet de redonner aux enfants et adolescents une place active dans leur confort corporel et psychique. La prise en charge thérapeutique en hypnose permet aux enfants de s’apaiser, de se soulager et de se rassurer. Différents outils sont proposés. En particulier, quels sont les outils dans le cadre des douleurs aiguës ?

1) L’hypnose pour les soins douloureux
Un certain nombre d’enfants, dans le cadre de leur pathologie, bénéficient régulièrement d’injections de toxines botuliques. Ces injections peuvent occasionner des douleurs importantes, et être source de beaucoup d’anxiété, puisque ce sont des soins répétés parfois tous les six mois. L’accompagnement hypnotique permet à l’enfant d’être acteur et de laisser libre cours à sa créativité. Ainsi, pour profiter des bienfaits des toxines et laisser les jambes totalement protégées et confortables, des chaussettes magiques peuvent être fabriquées. Ces chaussettes magiques sont façonnées sur le modèle du gant magique en hypno-analgésie. L’enfant s’installe et, après induction de la transe, les chaussettes sont élaborées avec d’abord une couche de tissu doux et protecteur, puis des bandes de plâtre extrêmement dures et solides pour mettre les jambes totalement à l’abri. Après vérification de la bonne efficacité des chaussettes virtuelles, l’enfant va les ranger dans un endroit sûr pour les retrouver dès que cela sera utile pour lui. Lorsque l’enfant est jeune, il est invité à choisir une paire de chaussettes réelles et à les garder avec lui le temps de la séance d’hypnose. Il emmènera ses chaussettes lors des soins, leur contact par le toucher permettra d’induire plus efficacement la transe en autohypnose.

2) L’autohypnose pour préparer une opération chirurgicale
Lorsqu’une opération chirurgicale se profile, d’autres outils hypnotiques vont être proposés aux enfants ou adolescents, tels que le lieu agréable, la réification, l’anticipation du futur ou la mentalisation du mouvement. Dans ce cadre, l’enfant va enrichir sa boîte à outils pour pouvoir s’aider lorsqu’il sera hospitalisé. Ainsi, l’enfant va choisir un lieu ressourçant, apaisant ou sécurisant pour lui. En séance, après induction, l’enfant se rend dans ce lieu et se connecte à ses émotions, ses sensations, ses pensées agréables.
Il ancre ensuite cette expérience pour pouvoir la réutiliser lorsqu’il sera hospitalisé.
Il peut aussi faire l’apprentissage de la réification, à savoir transformer une sensation douloureuse en un objet (avec sa forme, sa couleur, son poids, sa texture, sa matière, sa chaleur, sa dureté) pour ensuite transformer cet objet, le modifier jusqu’à ce que ce soit plus confortable, plus tranquille : « c’est une barre dure, lourde, sombre, froide » qui se transforme en « un fil corde souple, bleu et léger ».
La mentalisation du mouvement est une autre ressource utile pour les enfants. Lorsque les enfants sont opérés, ils peuvent éprouver des douleurs importantes et être dans l’incapacité de bouger, du fait d’une immobilisation forcée. L’apprentissage de la mentalisation du mouvement permet aux enfants de trouver du confort dans leur corps et d’activer la remise en mouvement corporel.
Enfin, l’anticipation du futur est régulièrement ajoutée à la préparation proposée aux enfants ou adolescents : elle permet de projeter l’enfant dans un futur où les soins se sont bien passés, où l’opération a été réalisée, où il est de retour à la maison.
Cet accompagnement thérapeutique en hypnose s’accompagne nécessairement d’un apprentissage de l’autohypnose. Cet apprentissage s’effectue grâce à l’utilisation d’enregistrements audio transmis à l’enfant. Avant la date de l’intervention ou des soins, l’enfant va retravailler en autohypnose, à la maison, le protocole qu’il a créé. Ces enregistrements serviront de ressources pour aller à l’hôpital, lors des soins ou durant l’hospitalisation.

II – Accompagner les parents
Accompagner les enfants ne peut se faire sans travailler en lien avec les parents. L’hypnose auprès des enfants est une hypnose qui se joue en famille. Tout d’abord, pour les parents, la confrontation à la souffrance de leur enfant est extrêmement difficile et peut être à l’origine d’un traumatisme, lié à la confrontation à la souffrance. Ce sont les parents qui vont accompagner l’enfant lors des soins à l’hôpital. Il peut arriver que les parents soient en transe d’alerte à leur arrivée. La transe est un état de conscience modifiée, elle peut être spontanée ou induite. La transe peut être positive (souvenirs, émotions et sensations agréables) ou négative (souvenirs, émotions et sensations pénibles). La transe d’alerte est un état de transe spontanée, réactionnelle au contexte, elle se manifeste par de l’agitation, une fixation sur des émotions négatives, de la peur de ce qui va se passer. De nombreux parents que nous accompagnons décrivent cet état, qui s’ancre pour beaucoup dans des expériences négatives d’hospitalisation de leur enfant, ou dans des souvenirs traumatiques « à chaque fois que je franchis la porte
de l’hôpital, mon cœur s’accélère, mes mains sont moites, je me sens confus, je revois ce jour où on a annoncé le handicap. Je n’entends plus rien ». Si les parents sont en transe d’alerte lors de l’arrivée à l’hôpital, ils vont être en difficulté pour soutenir leur enfant et risquent d’induire chez leur enfant de l’anxiété, voire une transe négative. Or les parents disposent de nombreuses ressources, ce sont bien les parents qui savent le mieux pour leur enfant.

1) L’hypnose pour soutenir son enfant
Pour bien accompagner l’enfant, il est important de soutenir les parents. L’alliance avec les parents est incontournable : avant d’accompagner en hypnose, une rencontre avec l’enfant et ses parents est proposée. Cet entretien permet de construire l’affiliation avec les parents, de définir ensemble les besoins de l’enfant et de déterminer l’objectif et les outils ajustés pour aider au mieux l’enfant. Par la suite, une fois le protocole construit pour leur enfant, un échange a lieu avec les parents. Cette rencontre permet de coconstruire comment les parents vont accompagner leur enfant dans la préparation en autohypnose, lors des soins à l’hôpital. Une synthèse écrite peut être remise aux parents, à destination des soignants qui les accompagneront pour les soins. Ce travail auprès des parents permet de s’appuyer sur les ressources parentales et d’accompagner plus efficacement l’enfant. Ce soutien étaye les parents et leur permet d’agir pour soulager et apaiser leur enfant. Cela permet également aux parents, en étant acteurs, de se maintenir plus facilement en état de conscience critique, et donc d’être moins envahis par l’anxiété. Cela va permettre de faire revenir l’apaisement, de s’épauler entre parents dans la tempête et de se reconnaître comme compétents.

2) L’autohypnose pour soutenir sa compétence de parent
Pour faire face à l’hospitalisation et à la confrontation à la souffrance de leur enfant, les parents doivent par ailleurs activer de la force et de l’énergie, pour avoir la capacité de guider avec confiance et bienveillance leur enfant sur un chemin souvent complexe. Pour activer les ressources et les compétences parentales, un soutien thérapeutique peut être proposé également aux parents. Les parents nomment fréquemment leur épuisement physique et psychique, l’hypnose peut leur permettre d’apprendre à activer de l’énergie ou de l’apaisement (grâce à la respiration voyageuse par exemple). Cette expérience hypnotique est renforcée par l’apprentissage de l’autohypnose. Cet apprentissage sera précieux lors de la période d’hospitalisation, pour permettre au parent de se ressourcer et de rester disponible pour son enfant. D’autre part, nombreux sont les parents qui nomment leur stress à l’idée de voir leur enfant souffrir. Des outils hypnotiques tels que le « 54321 » peuvent permettre aux parents de s’apaiser et de s’aider, quand ils attendent lors de l’intervention de leur enfant, par exemple. Enfin, les métaphores et l’anticipation du futur peuvent soutenir le mouvement vers l’avenir, vers le retour à la maison, et dans un processus où les soins ou l’opération sont une étape vers du positif, du bon pour eux et pour leur enfant.

Conclusion
« Il y a au fond de vous de multiples étincelles de potentialités : elles ne demandent qu’un souffle pour s’enflammer en de magnifiques réussites ». W.A. PETERSON.
Les enfants en situation de handicap et leurs parents possèdent des ressources et des compétences. L’hypnose peut être cette étincelle, qui permet à l’enfant et à ses parents de s’outiller et de déployer leurs potentialités, pour faire face à la tempête et s’apaiser.

Mots clés ; Douleur. Enfant. Handicap. Parents. Hypnose. Thérapie Familiale.

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MàJ mars 2023