Extraits du livre

La douleur chez l’enfant

de Daniel Annequin

Editions Masson, 2002

Chapitre 6


Les anesthésiques locaux


Partie Lidocaïne
écrite en collaboration
avec Francis Veyckemans


C’est actuellement le seul anesthésique local (hors Emla) disposant d’une AMM en France pour les enfants. C’est un agent de courte durée d’action : 30-60 min.

Posologie


La lidocaïne est disponible en solution ou sous forme de gel (2 %).

DOSES RECOMMANDÉES
 

La dose maximale recommandée chez l’enfant est de 7 mg/kg sans adrénaline, et de 10 mg/kg avec adrénaline.
Pour les muqueuses, la dose maximale de lidocaïne est de 3 mg/kg (2 mg/kg pour les enfants de moins de 3 ans). La dose maximale de lidocaïne topique lors des soins de la muqueuse buccale est de 2 mg/kg/h.

 

Les solutions adrénalisées sont destinées à améliorer la qualité et la durée de l’analgésie sans majorer les effets indésirables. Les concentrations recommandées sont de 1/200 000 (5 µg/mL) ou de 1/400 000 chez le nouveau-né et le nourrisson.

CONTRE-INDICATION DE L’ADRÉNALINE
 

L’addition d’adrénaline est interdite lorsque l’anesthésie réalisée intéresse une région dont la vascularisation artérielle est de type terminal : le bloc pénien, le bloc digital, l’anesthésie locale du globe de l’oreille et certains blocs de la face (nerf infra-orbitaire, bloc péribulbaire). Il y a en effet un risque de nécrose en cas de spasme artériel.

 

Indications


La lidocaïne est utilisée :

  • pour assurer un abord percutané indolore en cas de réalisation d’une technique invasive (ponction médullaire, biopsie rénale, hépatique, pose de cathéter veineux central, technique d’anesthésie loco-régionale, etc.) chez un enfant éveillé ou sous sédation légère ; la lidocaïne à 0,5, 1 ou 2 % est alors utilisée ;
  • pour réaliser le parage et la suture de petites plaies en salle d’urgence ; 
  • pour anesthésier les muqueuses : 
    • en chirurgie dentaire (application de lidocaïne visqueuse 3 min avant infiltration locale), 
    • pour les soins de la muqueuse de la cavité buccale (en cas de stomatites, mucites, aphtes) : la lidocaïne visqueuse est appliquée avec un doigt ou un coton-tige sur les lésions douloureuses avant les repas ou les soins de bouche, toutes les 4 heures (l’analgésie débute après 5 min et dure de 20 à 30 min),
    • avant sondage de l’urètre.

 

Le risque d’anesthésie du carrefour aéro-digestif existe si la solution est avalée. Des intoxications accidentelles à la suite d’erreurs de prescription ou d’administration ont été rapportées.

Les anesthésiques locaux sont moins efficaces en cas de réaction inflammatoire locale (infection par exemple) car le pH tissulaire est plus bas, ce qui diminue sa diffusion vers les fibres nerveuses.

Technique d’infiltration


L’application locale de lidocaïne sur la peau à suturer ne diminue ni la douleur de l’injection de lidocaïne, ni celle de la suture.
Dans tous les cas, on vérifiera la dose maximale injectable avant de réaliser l’infiltration.

 

RECOMMANDATIONS POUR GARANTIR LE SUCCÈS DE LA TECHNIQUE 
 

Utiliser de fines aiguilles (22 à 25 G) et n’injecter que de petits volumes à la fois, pour diminuer la douleur causée par la distension des tissus.
Pour diminuer la sensation de brûlure qui précède l’effet anesthésiant, on peut ajouter extemporanément une solution de bicarbonate de sodium à 8,4 % à raison de 1 mL pour 9 mL de solution de lidocaïne : cela ramène le pH de la solution dans les limites physiologiques ; on peut aussi réchauffer la solution d’anesthésique à la température corporelle.
Pour une infiltration en peau saine, il convient soit de réaliser d’abord un bouton dermique en abordant la peau de façon tangentielle, soit, pour prévenir la douleur due à la piqûre, d’appliquer la crème Emla sous pansement occlusif à cet endroit au moins 60 min avant l’infiltration ; les plans sous-jacents sont ensuite infiltrés en éventail, plan par plan.
Pour l’infiltration d’une plaie, chaque plan sera infiltré latéralement, à partir des berges de la plaie.
Attendre au moins 5 min avant de procéder à la suture ou à l’abord percutané prévu, de manière à ce que l’agent anesthésique ait eu le temps d’agir.
Prévenir l’enfant de toutes les sensations qu’il ressentira (petite brûlure au moment de l’injection, etc.), et qu’il sentira sans doute que l’on fait quelque chose mais que cette sensation ne sera pas douloureuse ; promettre une absence de sensation (« tu ne sentiras rien ») expose à un risque de réaction de panique (l’enfant pense que la technique a raté puisqu’il sent quelque chose…) et donc d’échec.

 


Signes d’intoxication


Les signes d’intoxication apparaissent lorsque les seuils plasmatiques dits toxiques sont dépassés suite à une injection intravasculaire accidentelle ou à un surdosage (par erreur de calcul ou par administration de doses excessives). La toxicité de la lidocaïne se manifeste d’abord par des signes neurologiques.
Chez le sujet éveillé non prémédiqué, les premier signes de toxicité neurologique sont discrets : logorrhée, goût métallique dans la bouche, paresthésies péri-orales, acouphènes, vertiges, sensation d’ébriété… Ces symptômes peuvent précèder la crise convulsive généralisée et doivent être recherchés en maintenant un contact verbal avec le patient (c’est-à-dire en le faisant parler) lors de l’injection de toute solution d’anesthésique local : ils imposent l’arrêt immédiat de l’injection et la prise en charge adéquate du patient (tableau). En l’absence de traitement, l’évolution peut aboutir à un coma puis à une dépression cardiorespiratoire. Une prise en charge immédiate assure une guérison rapide et sans séquelles. 

Tableau Traitement des effets systémiques des anesthésiques locaux
Principe de base : lutter contre l’hypoxie, l’acidose et l’hypercapnie
 En cas de malaise,
d’apparition de signes d’intoxication du SNC,
de modifications du tracé de l’ECG,
de troubles du rythme cardiaque,
de convulsions
Interrompre l’injection, administrer de l’oxygène pur et hyperventiler le patient s’il est inconscient. Cela suffit habituellement en cas d’injection intraveineuse accidentelle.
Si les convulsions persistent Diazépam 0,3 à 0,5 mg/kg par voie intrarectale ou intraveineuse
ou midazolam 0,05 à 0,1 mg/kg
ou propofol 2 mg/kg
ou thiopental 2 à 4 mg/kg
Si nécessaire : intubation endotrachéale et curarisation.
En cas d’insuffisance hémodynamique Massage cardiaque externe et, selon l’ECG : adrénaline titrée ou défibrillation.

Mais toute réaction se produisant lors de l’injection d’un anesthésique local n’est pas nécessairement due à une injection intravasculaire accidentelle. Il peut en effet s’agir également d’une syncope vasovagale (pâleur, sueur, bradycardie), ou d’une réaction allergique (rougeur, tachycardie, bronchospasme).

RECOMMANDATIONS 
 

Calculer la dose maximale utilisable et le volume maximal injectable.
S’assurer que le matériel élémentaire de réanimation est prêt à l’emploi (masque de taille adéquate et ballon auto-remplisseur type Ambu, oxygène).
Maintenir le contact verbal avec l’enfant, c’est-à-dire essayer de le faire parler pour détecter rapidement l’un des signes neurologiques précoces d’intoxication.
Stopper immédiatement l’injection en cas de réaction anormale (vagale, intoxication…). 
Surveiller l’enfant pendant au moins 15 min après l’injection.