Eliane Josset-Raffet
Psychologue clinicienne, Dr en psychopathologie et psychanalyse, chirurgie viscérale et urologie, Hôpital Robert Debré, APHP Paris
28es Journées Pédiadol, la douleur de l’enfant, Emotions et douleur : aller à la rencontre », Plénière (7 décembre 2021)

Introduction
Le cathétérisme intermittent (CI) propre est un soin urologique qui consiste à vider la vessie via le passage d’une sonde par les voies naturelles. Ce traitement permet de protéger la fonction rénale et d’obtenir une continence urinaire. Ce traitement est proposé par l’urologue pédiatre après un bilan uro-dynamique (BUD). L’annonce et la mise en place de ce soin est protocolisée dans notre service.

En lien avec l’urologue pédiatre, l’infirmière d’éducation thérapeutique (ETP) et la psychologue accompagnent l’enfant et ses parents pendant plusieurs semaines afin de permettre la compréhension de l’indication, l’apprentissage technique du geste, l’acceptation du soin et la diminution de l’anxiété éventuelle. Ce soin doit être pratiqué plusieurs fois par jour pendant une période s’étendant de plusieurs mois à plusieurs années. La mise en place du CI est donc un moment crucial pour le bon déroulement des soins à long terme.

L’apprentissage du CI est complexe chez l’enfant. Les émotions et pensées négatives peuvent entraver sa mise en place. L’annonce de la mise en place du CI est souvent vécue par l’enfant ou sa famille comme marquant l’aggravation de la pathologie. Le soin est contraignant et nécessite souvent un réaménagement de la vie quotidienne. Quand l’enfant est petit, les parents pratiquent les soins, ce qui peut entrainer un arrêt temporaire de leurs activités professionnelles.

Les enfants et les parents rapportent que l’introduction d’une sonde urinaire par voie naturelle peut être angoissante et douloureuse, provoquant chez l’enfant un vécu d’intrusion et de passivité vis-à-vis de l’adulte.

Cependant, une étude portant sur 20 enfants avec un urètre sensible mis au CI a montré que le geste était bien toléré et que leur qualité de vie était normale (Alpert SA et al., 2005).

Une autre étude chez 17 enfants (Van Savage JG et al., 1997) présentait un taux de succès du CI de 66% malgré une prise en charge répondant aux recommandations d’éducation thérapeutique. Ce travail a montré que la cause d’échec de la mise au CI était la peur de la douleur potentielle ou d’un éventuel dommage corporel.

Afin de diminuer le niveau d’anxiété des enfants et de leur entourage, nous avons proposé des séances d’hypnose au cours des séances initiales d’éducation thérapeutique d’apprentissage des CI.

Objectif
Nous allons décrire notre expérience d’introduction de l’hypnose ainsi que son apport dans l’apprentissage du CI.
• Critère principal de jugement :
• Autonomie dans le soin à J1 du premier sondage, puis à J8, M1, M6 et 1 an après.
• Critère secondaires :
• Anxiété et douleur à J1 du premier sondage, puis à J8, M1 et M6.

Population
• Critères d’inclusion :
Enfants mis au long cours au cathétérisme intermittent par voie naturelle, âgés d’au moins 24 mois (capacité de verbalisation de l’enfant permettant de se saisir des techniques d’hypnose, de relaxation ou de distraction proposées par un tiers).
• Critères de non inclusion :
Enfants non francophone ou non anglophone. Enfants présentant un trouble du comportement majeur.
Refus de la famille.
Absence de la psychologue durant le parcours d’éducation thérapeutique initiale.

Méthodologie
L’équipe d’urologie a été formée en ETP en 2016. Depuis, les patient.e.s mis.es au CI dans notre service ont un parcours de soin spécifique répondant aux exigences de l’ETP que nous présenterons.

Le parcours de soin d’ETP est organisé « à la carte », c’est-à-dire au rythme de la famille. Il est en effet indispensable que les premiers soins se déroulent dans un environnement sécurisant et que les familles se sentent prêtes. Aucun CI n’est pratiqué sans l’accord de l’enfant afin de préserver un lien de confiance entre l’enfant et l’équipe et entre l’enfant et ses parents. Il nous semble impératif que les premiers sondages soient vécus le plus positivement possible par les enfants et leurs parents, afin que le soin puisse être pratiqué de façon pluri quotidienne au long cours.

Les outils d’ETP (mises en situation, jeux avec des poupons) utilisés par les IDE visent à rendre l’enfant acteur.rice de ses soins. Depuis 2016, les techniques d’hypnose et de relaxation sont systématiquement proposées lors du premier sondage pour accompagner le soin. La psychologue s’adapte ensuite à la demande de l’enfant et de sa famille dans l’organisation des séances. Les techniques psychocorporelles s’adaptent à chaque enfant en fonction de son âge et de son monde interne.

Dans le cadre de l’ETP, à chaque consultation, l’IDE vérifie la réalisation des soins au quotidien (calendrier de sondage) et évalue la bonne conduite du sondage (acquisition des gestes techniques et des mesures d’hygiène), l’anxiété et la douleur éventuelle de l’enfant.

L’anxiété et la douleur sont évaluées avec les échelles suivantes :
• Avant 4 ans, l’IDE utilise une échelle comportementale d’hétéro-évaluation (FLACC) (Crellin DJ et al., 2015 et 2018) (Merkel SI et al., 1997).
• Entre 4 et 10 ans, l’IDE propose une auto-évaluation avec l’échelle des visages (FPS-R) (Tsze DS et al., 2013) (Hicks CL et al., 2001) (Bieri D et al., 1990).
• Enfin, à partir de 10 ans, l’auto-évaluation est pratiquée à l’aide de l’échelle numérique (EN) (Castarlenas E et al., 2017).

Résultats
35 patient.e.s de 24 mois à 18 ans ont été inclu.e.s entre septembre 2016 et décembre 2020.
Les enfants ont eu en moyenne 3 (1 ;10) séances d’hypnose ou relaxation.
1 mois après le premier CI, 34/35 familles pratiquaient le CI par voie naturelle à domicile et continuent à le pratiquer un an plus tard, ce qui nous semble très satisfaisant au regard des données de la littérature.
33/34 étaient non douloureux et non anxieux à J8.

Conclusion
L’équipe travaille dans le respect du monde interne de l’enfant et s’engage à ne pas pratiquer des soins sans son accord (hors urgence). Les techniques psychocorporelles semblent favoriser le bon déroulement des soins même si notre méthodologie ne permet pas de conclure que nos résultats sont liés uniquement à l’effet de l’hypnose. Les enfants sont rassurés et non douloureux rapidement. Les parents se saisissent de ces techniques pour les soins à domicile.

Les IDE rapportent que les CI sont techniquement plus faciles à réaliser quand l’enfant est accompagné par hypnose ou relaxation. La mise en place de ces techniques a constitué un apprentissage vicariant pour les IDE qui utilisent aisément des formules induisant la réassurance ou la détente.

Bibliographie
• Alpert SA, Cheng EY, Zebold KF, Kaplan WE. Clean intermittent catheterization in genitally sensate children : patient experience and health related quality of life. J Urol. Oct 2005; 174(4Pt2): 1616-9.
• Bieri D, Reeve R, Champion GD, Addicoat L, Ziegler J. The Faces Pain Scale for the self-assessment of the severity of pain experienced by children : Development, initial validation and preliminary investigation for ratio scale properties. Pain 1990 ; 41 : 139-50
• Butler LD, Symons BK, Henderson SL, Shortliffe LD, Spiegel D. Hypnosis reduces distress and duration of an invasive medical procedure for children. Pediatrics. janv 2005;115(1):e77-85.
• Castarlenas E, Jensen MP, von Baeyer CL, Miró J. Psychometric Properties of the Numerical Rating Scale to Assess Self-Reported Pain Intensity in Children and Adolescents: A Systematic Review. Clin J Pain. 2017, 33:376-383.
• Crellin DJ. et al, Systematic review of the Face, Legs, Activity, Cry and Consolability scale for assessing pain in infants and children: is it reliable, valid, and feasible for use?, Pain, 2015
• Crellin DJ. et al, The Psychometric Properties of the FLACC Scale Used to Assess Procedural Pain, Journal of pain, 2018
• Fortuna SM, Korcal L, Thomas G. Bladder management in children : intermittent catheterization education. NASN Sch Nurse. May 2018 ; 33(3):178-185.
• Hellström AL, Berg M, Sölsnes E, Holmdahl G, Sillén U. Feeling good in daily life : from the point of view of boys with posterior urethral valves. J Uro. Oct 2006 ; 176 : 1742-6. (à trouver)
• Hicks CL, von Baeyer CL, Spafford P, van Korlaar I, Goodenough B. The Faces Pain Scale – Revised : Toward a common metric in pediatric pain measurement. Pain 2001 ; 93 : 173-83.
• Merkel SI, Voepel-Lewis T, Shayevitz JR, Malviva S. The FLACC : a behavioral scale for scoring post operative pain in young children. Pediatr Nursing 1997
• Neel KF. Feasability and outcome of clean intermittent catheterization for children with sensate urethra. Can Urol Assoc J. dec 2010 ; 4(6) :403-5.
• Schwarcz BE. Hypnoanalgesia and hypnoanesthesia in urology.
• Tsze DS, von Baeyer CL et al. Validation of self-report pain scales in children. Pediatrics 2013, 132 : e971-9.
• Van Savage JG, Sackett CK, Wilhelm CL, Sessions RP, Mesrobian HGJ. Indications for and outcomes of clean intermittent catheterization in children with normal genital sensation. J Urol 1997, 157:1866- 1868.

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