Extraits du livre

La douleur chez l’enfant

de Daniel Annequin

Editions Masson, 2002

Chapitre 3


Le placebo


 

 

L’ESSENTIEL
 

L’effet placebo est réellement antalgique.
L’effet placebo est omniprésent dans toute activité thérapeutique y compris la chirurgie…
L’action du placebo est liée à la libération d’endomorphines. La diminution du niveau d’anxiété qui remonte le seuil de perception de la douleur est également impliquée.
Sa constatation perturbe, dérange, les praticiens et les équipes soignantes, elle induit des attitudes inadéquates vis-à-vis du patient.
Les professionnels de santé ont en général une représentation erronée de l’effet placebo.
Aucune étude n’a pu montrer que les individus ayant une réponse positive au placebo présentaient un profil psychologique spécifique.

 

L’effet placebo bien que connu depuis des siècles est resté longtemps un mystère ; sa compréhension est très récente ; il suscite encore de nombreux malentendus. La meilleure connaissance de ses mécanismes est essentielle pour le clinicien qui (sans le savoir) est confronté chaque jour à ses effets.

Définition


Plusieurs définitions ont été proposées. Le placebo est un moyen construit pour simuler une thérapeutique médicale mais qui n’est pas censé posséder (selon le médecin ou le professionnel de santé) de propriétés spécifiques sur la cible thérapeutique choisie.

L’effet placebo consiste en tout effet attribuable à un médicament, une médication, une exploration, un acte, un geste mais indépendamment de ses propriétés pharmacologiques ou spécifiques.

Un effet « nocebo » est défini lorsque l’état du patient s’inverse ou s’aggrave.

L’effet placebo étant associé à une amélioration de l’état de santé du patient, il faut rappeler que ce « mieux » peut au moins s’expliquer de trois façons :

  • l’évolution naturellement bénigne sans aucune thérapeutique de la majorité des troubles rencontrés en pathologie courante (60 % des consultations de médecine générale) ;
  • les effets spécifiques de la thérapeutique utilisée ;
  • enfin les effets non spécifiques de la prise en charge thérapeutique (effet placebo).

État des connaissances


l Pathologies cibles  

Tous les articles étudiant l’efficacité des produits antalgiques contre placebo attestent que des patients même dans la période postopératoire (donc avec des lésions organiques parfaitement identifiables) peuvent être partiellement voire complètement soulagés par le placebo.

L’effet placebo est très puissant puisqu’il est parfaitement capable de soulager efficacement des patients qui viennent de subir une intervention lourde ou qui souffrent d’une authentique crise de migraine.

Une remarquable méta-analyse publiée en mai 2001 dans le New England Journal of Medecine a montré que l’effet placebo apparaît beaucoup plus marqué dans les études mesurant des variables continues et subjectives (obésité, insomnie, anxiété, asthme, etc.) et particulièrement pour la douleur, il est par contre inexistant dans les travaux utilisant des variables binaires discontinues et objectives (nausées, arrêt du tabagisme, dépression, etc.). La douleur apparaît une cible privilégiée de l’effet placebo.

EXEMPLE
 

L’administration d’un suppositoire de paracétamol pourra soulager un enfant au cours d’une ponction lombaire, malgré la puissance antalgique notoirement insuffisante de ce produit vis-à-vis de la douleur provoquée par le geste.

 

l Mécanismes mis en jeu   

Le mécanisme d’action de l’effet placebo reste mal élucidé ; il est complexe et associe plusieurs éléments fortement intriqués :

  • la libération d’endomorphines ;
  • la stimulation centrale de voies inhibitrices ;
  • le conditionnement et la suggestion.

Implication des morphines endogènes
Martina Amanzio a comparé les effets antalgiques de médicaments administrés soit de manière ouverte (le patient sait qu’un antalgique lui est donné) ou cachée (le patient ne sait pas qu’un antalgique lui est donné) chez 278 patients. Lors des administrations cachées, les effets antalgiques étaient diminués significativement dans leur intensité ainsi que dans leur variabilité.

Dans un second temps, les mêmes résultats ont été retrouvés dans un protocole expérimental chez des volontaires sains : l’injection de naloxone (antagoniste spécifique des morphiniques) associée à une administration ouverte d’antalgique a également diminué de manière analogue l’intensité et la variabilité antalgique. Deux grandes leçons peuvent être tirées de cette étude : la responsabilité de l’effet placebo pour expliquer les grandes et traditionnelles variations de réponse aux antalgiques ; la libération des endomorphines apparaît maintenant bien impliquée dans les mécanismes d’action de l’effet placebo.

Stimulation centrale de voies inhibitrices
La stimulation d’une partie de la région moyenne de l’encéphale (mésencéphale) est capable de provoquer une analgésie chirurgicale chez l’animal. Les contrôles inhibiteurs diffus induits par stimulations nociceptives se manifestent par une inhibition massive des neurones convergents lorsqu’une deuxième stimulation nociceptive est appliquée sur une autre région du corps dont les champs de projection sont différents.

Conditionnement et suggestion
Les seuils de perception de la douleur sont modifiés expérimentalement sous suggestion hypnotique. Aucune étude n’a pu montrer que les individus ayant une réponse positive au placebo présentaient un profil psychologique spécifique ; néanmoins, il est parfaitement connu que l’anxiété augmente particulièrement la perception douloureuse ; la réassurance liée à l’administration convaincue et convaincante du « médicament » placebo va favoriser la diminution de la douleur.

Risques d’utilisation du placebo


La relation de confiance entre le patient et l’équipe peut être profondément altérée, car le patient finit souvent par apprendre (grâce à un membre de l’équipe « excédé » par les plaintes du malade) que le produit administré est un placebo. La plainte de l’enfant est disqualifiée car pour beaucoup, un effet placebo signe (à tort) l’absence de valeur de la plainte de l’enfant : « c’est dans la tête ! ». Cette suspicion ruine la confiance indispensable à toute relation de soin.

La reproductibilité de l’effet placebo est très rarement observée ; un enfant placebo répondeur ne le sera probablement plus le lendemain et encore moins dans une autre circonstance.

L’utilisation de placebo « sauvage » (sans prescription médicale) est loin d’être exceptionnelle. La prévention de ces mauvaises pratiques passe par la mise en place de protocoles antalgiques précis où la marge de manœuvre de l’infirmière est clairement décrite mais aussi par une véritable formation des équipes médicales et paramédicales sur la nature exacte du placebo.

POURQUOI IL NE FAUT PAS UTILISER DE PLACEBO 
 

La constatation d’un effet placebo est toujours mal interprétée.
Son utilisation disqualifie la plainte du patient.
Son effet antalgique est rarement reproductible.
Le placebo n’a aucune valeur en tant que test thérapeutique.

 

L’utilisation d’un placebo reste néanmoins nécessaire pour réaliser des études d’efficacité et de comparaison des nouveaux produits antalgiques. Cette utilisation pour conserver un cadre éthique doit comporter dans le protocole de recherche la possibilité d’une prescription antalgique de « secours » efficace pour le groupe « placebo » lorsque le niveau de la douleur atteint un seuil prédéfini.

INDICATION PRÉCISE DU PLACEBO 
 

Les placebos doivent uniquement être utilisés dans le cadre d’un essai thérapeutique.

 

Quelques références


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