Grâce aux progrès médicaux de ces 30 dernières années, la survie des nouveau-nés extrêmes prématurés, des nouveau-nés en situation de détresse vitale, ou porteurs de malformations congénitales a considérablement augmenté. Cela au prix d’une hospitalisation parfois prolongée et de multiples situations stressantes et/ou douloureuses. Or, le développement neuroanatomique, neurophysiologique et neuroendocrinien permet au nouveau-né, même extrême prématuré, de ressentir la douleur et de la mémoriser. L’exposition répétée et prolongée à la douleur en période néonatale, survenant lors d’une phase de croissance et de développement cérébral rapide, peut altérer la mise en place des voies de la douleur, ainsi que le développement cognitivo-comportemental et affectif-émotionnel. Deux études récentes attestent de l’impact d’une exposition précoce à la douleur sur le développement cérébral chez de grands prématurés.
Dans la 1re étude [1], une IRM cérébrale fonctionnelle était réalisée à 3 groupes d’enfants âgés de 11 à 16 ans :

  • 9 anciens grands prématurés (≤ 31 SA) ;
  • 9 nouveau-nés à terme hospitalisés en unités de soins intensifs (USI) ;
  • et 9 nouveau-nés à terme sains (contrôles).

Lors de 6 expositions successives à la chaleur, les anciens prématurés avaient une activation significative de plusieurs régions cérébrales (thalamus, cortex cingulaire antérieur, cervelet, ganglion de la base, substance grise périacqueducale) qui n’étaient pas activées de façon significative chez les contrôles. De même, ils avaient une activation significativement plus importante que les contrôles du cortex somatosensoriel primaire, cingulaire antérieur et de l’insula. Ces réponses n’étaient pas observées lors d’un stimulus non nociceptif. Les réponses des nouveau-nés à terme étaient comparables (hospitalisés ou non). Le seuil de douleur initial était comparable entre les groupes. Les contrôles montraient une habituation à la douleur, non observée chez les enfants hospitalisés, à terme ou prématurés. Aucun groupe n’avait de sensibilisation à la chaleur au cours des essais.

Dans la 2e étude [2], 86 enfants prématurés, d’âge gestationnel compris entre 24 et 32 SA avaient une première IRM dès que la stabilité de leur état le permettait (médiane : 32 semaines d’âge corrigé (SAC)) puis une seconde à terme (médiane : 40 SAC). Les enfants étaient « classés » dans deux groupes : 42 dans le groupe du moins grand nombre de geste douloureux et 44 dans celui du plus grand nombre de gestes douloureux. Un plus grand nombre de gestes douloureux était associé de manière significative à une diminution de la substance blanche cérébrale et à une altération de la substance grise sous corticale. La différence restait significative après ajustement aux autres variables confondantes. Le remaniement neuronal secondaire à la stimulation douloureuse entraînerait une hyperactivité des neurones immatures qui sont susceptibles d’être surstimulés et de produire des substances cytotoxiques.

Ces études intéressantes montrent que la douleur en période néonatale précoce, principalement chez les grands prématurés, peut induire des modifications de la plasticité et de la biochimie cérébrale. Elles ont cependant été réalisées sur de petits effectifs [1] ou tôt dans la période néonatale (40 SA) [2]. Quel est leur retentissement réel sur la perception douloureuse et le comportement ultérieur face à la douleur ? La question reste entière. La douleur en période néonatale est un des facteurs négatifs pouvant induire des altérations neurodéveloppemental ou du comportement à long terme, au même titre que d’autres comme la prématurité en soi, la durée d’hospitalisation, la séparation maternelle, une infection, une dénutrition, etc.). D’autres facteurs comme le tempérament de l’enfant, le contexte familial et socio-économique, le stress maternel pendant la grossesse, etc. sont d’autres causes possibles de stress dans l’enfance, pouvant retentir sur le comportement ultérieur de l’enfant [3].

La douleur, comme tout autre paramètre, ne doit pas être négligée et doit être prévenue et traitée afin d’éviter ou d’ajouter des conséquences délétères à des situations déjà précaires. Des études évaluant à la fois le retentissement à moyen et long terme de la douleur mais aussi des analgésiques et des sédatifs reçus en période néonatale sont primordiales, afin d’essayer d’objectiver les conséquences en soi de la douleur en période néonatale. C’est le but, entre autres, des études EPIPAGE II et EPIPPAIN II.

Références
[1] Hohmeister J, Kroll A, Wollgarten-Hadamek I et al. Cerebral processing of pain in school-age children with neonatal nociceptive input : an exploratory fIRM study. Pain 2010 ; 150 : 257-67
[2] Brummelte S, Grunau RE, Chau V et al. Procedural pain and brain development in premature newborns. Ann Neurol 2012 ; 71 (3) : 385-96

[3] Grunau RE, Holsti L, Peters JW. Long term consequences of pain in human neonates. Semin Fetal Neonatal Med 2006;et al. Semin Fetal Neonatal Med 2006 ; 11 : 268-75