La douleur des vaccinations est très variable, et leur prévention très controversée.
Distinguons plusieurs niveaux de réflexion.

  • 1. Le niveau de la douleur que l’on considère comme acceptable d’infliger (ou d’éviter) aux enfants et aux bébés

 

Ce seuil est difficile à fixer, il est probable que le consensus ne se fera jamais, mais au fil des années il semble que ce seuil baisse dans l’esprit à la fois des soignants et des parents.
Ce qui peut nous motiver

Primum non nocere
Le niveau de douleur : intense pour Prevenar® et le vaccin contre l’hépatite, tout le monde le sait
Cette douleur est infligée
Cette douleur est répétée
Les risques de phobie, les conséquences délétères pour la relation avec le médecin, perturbées par la peur, et le monde des soins en général.

Ce qui peut nous retenir
Si la douleur est faible, ne tombons pas dans l’algophobie, notre objectif ce n’est pas une vie sans douleur !

D’autres soignants ont pris position. Voici le résumé d’un article sur le sujet, écrit par l’équipe canadienne qui a fait la synthèse de toutes les études publiées en 2009.

Quels sont les difficultés et obstacles qui empêchent la mise en place régulière des moyens analgésiques pour la vaccination ? Chaque enfant désormais reçoit entre 15 et 20 injections pendant les 2 premières années de sa vie, et ce nombre peut encore augmenter. Un des principes éthiques du médecin est « primum non nocere » : ne pas nuire. On est donc étonné du peu d’adhésion aux moyens antalgiques. Il est utile de se rappeler l’impact délétère à court et à long terme de la douleur infligée non prévenue : peur, mémorisation, difficultés lors des injections suivantes, phobie des soins. Rappelons-nous aussi que chez le nourrisson, la douleur entraîne des réponses plus importantes que chez l’enfant plus grand, en raison de l’immaturité du système nerveux (défaut de systèmes inhibiteurs, champs récepteurs des neurones nociceptifs plus vastes, pas de moyens de défense cognitifs, etc.). La vaccination est souvent le premier contact de l’enfant avec le corps médical. Les enfants ont peur des piqûres. La peur de la piqûre suivante (anxiété anticipatoire) va perturber la relation avec le soignant et la perception de la douleur suivante… Tout cela doit guider notre attitude face à la douleur de la vaccination et les moyens de l’éviter. Les fausses conceptions relatives à ces douleurs sont fréquentes, la douleur de la vaccination est souvent minimisée !

Taddio A, Chambers CT, Halperin SA et al. Inadequate pain management during routine childhood immunizations: the nerve of it. Clin Ther 2009 ; 31 Suppl 2 : S152-67.

  • 2. Les données de l’EBM sur les moyens de diminuer cette douleur

 

Les données prouvées par des études sont maintenant très étoffées et reprises dans des synthèses de 2009.

– Vaccinations et techniques d’injection
La synthèse exhaustive des études publiées sur l’effet des techniques d’injection sur la douleur a analysé 19 études contrôlées randomisées incluant 2 814 enfants. Les résultats positifs principaux sont les suivants :

  • Priorix® fait moins mal que ROR® (2 études incluant 680 enfants) ; un enfant sur 3 ne pleure pas avec le Priorix® (3 études incluant 404 enfants) ;
  • Garder l’enfant assis ou dans les bras de ses parents semble diminuer la douleur par rapport à la position couchée, mais les différences ne sont pas significatives (4 études incluant 281 nourrissons ou enfants, résultats hétérogènes) ;
  • Frotter la peau à côté du site d’injection avant et pendant l’injection réduit la douleur (une étude) ;
  • Injecter d’abord le DTCP-Haemophilus puis le Prevenar® est moins douloureux que l‘inverse (une étude) ;
  • Injecter rapidement sans test d’aspiration est moins douloureux qu’injecter lentement après test d’aspiration (une étude).

 

En revanche, les résultats négatifs sont les suivants : on ne peut affirmer si l’injection IM est plus ou moins douloureuse que la SC (3 études) ; refroidir la peau avant l’injection n’est pas efficace (2 études) ; réchauffer le vaccin n’est pas efficace (1 étude)
Taddio A, Ilersich AL, Ipp M et al. Physical Interventions and Injection Techniques for Reducing Injection Pain During Routine Childhood Immunizations: Systematic Review of Randomized Controlled Trials and Quasi-Randomized Controlled Trials. Clin Ther 2009 ; 31 Suppl B : S48-S76.

– Vaccinations et méthodes pharmacologiques
La synthèse des moyens pharmacologiques disponibles pour diminuer la douleur de la vaccination a analysé 32 études incluant au total 3 856 nourrissons ou enfants.
Dix études concernent l’application d’anesthésie topique (EMLA®) (mesure de la douleur soit par auto-évaluation, soit par le score MIBS, soit par EVA attribuée par l’observateur) : toutes sont favorables à la crème anesthésiante, mais les différences sont faibles avec le placebo.
Onze études concernent les solutions sucrées, toutes sont en faveur d’une diminution de la douleur par rapport au placebo, avec des différences modérées mais plus significatives.
Les 4 études concernant l’application de froid (spray) ont des résultats inhomogènes.
L’association de deux méthodes est plus efficace.
La tétée au sein est nettement efficace dans quatre études.
Shah V, Taddio A, Rieder MJ ; HELPinKIDS Team. Effectiveness and tolerability of pharmacologic and combined interventions for reducing injection pain during routine childhood immunizations : systematic review and meta-analyses. Clin Ther 2009 ; 31 Suppl 2 : S104-51.

– Vaccination et moyens non pharmacologiques (dits « psychologiques »)

Cette synthèse, parue aussi fin 2009, a analysé 20  études randomisées contrôlées incluant au total 1 380 nourrissons ou enfants de 1 mois à 11 ans. Les méthodes utilisées étaient :

  • les exercices de respiration (en soufflant des bulles de savon, ou non) (4 études) : efficace ;
  • la suggestion verbale d’analgésie (2 études) : pas d’efficacité ;
  • la distraction assurée par l’enfant seul (vidéo ou musique ou histoire via des écouteurs) : efficace (réduit le score d’auto-évaluation de la douleur) ;
  • la distraction conduite par l’infirmière (4 études) : efficace aussi (réduit le score de détresse mesuré par l’observateur, l’infirmière et le parent) ;
  • la distraction conduite par le parent (4 études) : efficace à un moindre degré (réduit seulement la détresse mesurée par l’observateur, pas les autres mesures) ;
  • le coaching par le parent (méthodes variées) (3 études) : peu efficace (réduit seulement la détresse mesurée par l’observateur, pas les autres mesures) ;
  • des interventions combinées cognitivo-comportementales (4 études) : efficaces sur toutes les mesures (auto et hétéro-évaluation par les différents intervenants).

 

Chambers CT, Taddio A, Uman LS et al. Psychological interventions for reducing pain and distress during routine childhood immunization: a systematic review. Clin Ther 2009 ; 31 Suppl B : S77-S103.

Depuis 2009, de nouvelles études sont parues. C’est la distraction qui l’emporte dès que l’enfant y est accessible ; le sucre très efficace chez le nouveau-né, a un effet jusque vers 6-8 mois, mais cela dépend des études, une étude a montré que piquer en faisant tousser très fort n’est pas efficace ; une équipe utilise un jouet froid qui vibre juste au-dessus du point d’injection tout en faisant regarder des cartes où l’enfant doit chercher quelque chose (cf. Buzzy) ; récemment une étude a montré que pour l’injection néonatale contre l’hépatite, le réchauffement de la jambe sous une lampe diminue les signes de douleur.
Le succès vient en général de l’association de différentes techniques, avec souvent des méthodologies originales, inventives.

Le problème non résolu concerne le Prevenar®, et le vaccin anti-hépatite à un moindre degré.

La Société canadienne de pédiatrie a pris position, voici un extrait de ses recommandations :

« Les vaccinations sont source de détresse, et la douleur non traitée peut avoir des conséquences à long terme : anxiété pré-procédurale, hyperalgésie, phobie des aiguilles et évitement des soins ; des stratégies antalgiques simples et peu coûteuses, appuyées sur les preuves, sont disponibles », affirme en préambule le texte. Ces recommandations, issues d’un groupe d’experts animé par Anna Taddio, qui a beaucoup travaillé le sujet, s’appuient sur les preuves (niveau de preuve et grade des recommandations ; 104 références), et balaient toutes les possibilités antalgiques, avec une approche dite « 3P » : pharmacologique, physique et psychologique. La version courte donne les recommandations, la version longue explique tout l’argumentaire.
Il est recommandé :

  • pour les nourrissons : de vacciner pendant la tétée au sein (grade A), ou après prise de solution sucrée (grade A) ;
  • pour la technique d’injection : d’utiliser le vaccin le moins douloureux si plusieurs identiques sont commercialisés (ex Priorix®) (grade A), de ne pas placer l’enfant en position couchée (grade E), d’injecter rapidement sans aspiration (grade B), d’injecter le vaccin le plus douloureux en dernier (grade B), de frotter la peau à côté du site d’injection pendant et après chez les enfants de plus de 4 ans (grade B), d’encourager les parents à utiliser une crème anesthésiante (grade A), d’encourager les parents à distraire ou coacher l’enfant (grade B), de distraire l’enfant (grade B), ou de l’encourager à se distraire seul pour les enfants de plus de 3 ans (grade B), de faire respirer ou souffler lentement profondément (grade B), de combiner les méthodes non pharmacologiques psychologiques (au plan cognitif et comportemental) (grade B), et de ne pas dire « cela ne fera pas mal » (grade D).

 

Il n’est pas recommandé, compte tenu d’un niveau de preuve insuffisant (grade I) : d’utiliser une méthode de refroidissement de la peau, de pratiquer deux injections simultanément, de choisir plutôt la voie IM ou SC pour les vaccins qui peuvent être injectés par les deux voies, d’administrer préventivement paracétamol ou ibuprofène.
Taddio A, Appleton M, Bortolussi R et al. Reducing the pain of childhood vaccination: an evidence-basedclinical practice guideline (summary). CMAJ 2010 ; 182 (18) : 1989-95. Review.
Reducing the pain of childhood vaccination: an evidence-basedclinical practice guideline. CMAJ 2010 ; 182 (18) : E843-55.

  • Les questions

 

EMLA® et immunogénécité des vaccins
EMLA® n’altère pas l’immunogénicité des vaccins, ce qui a été contrôlé en mesurant la réaction des anticorps par rapport à des témoins vaccinés sans crème anesthésiante :

  • rougeole oreillons rubéole : Halperin SA et al. J Pediatr 2000 ; 136 (6) :789-94 — de Waard-van der Spek FB Int J Clin Pract 1998 ; 52 (2) :136
  • des DTCP, avec Haemophilus et hépatite B : Halperin SA et al. Pediatr Infect Dis 2002 ; 21 (5) : 399-405

 

EMLA®, BCG et IDR
Il n’existe pas scientifiquement de réserve pour la réalisation des IDR avec EMLA® : les 3 études disponibles ne montrent pas de différence significative dans la réponse cutanée ; en revanche les niveaux de douleur sont abaissés de manière conséquente, ce qui facilite la réalisation. La possibilité d’utiliser l’EMLA® avant l’IDR est controversée, car elle est suspectée d’entraîner des faux positifs (d’après l’étude de Dubus en 2003, 4 cas sur 24 où l’IDR avec EMLA® était plus positive que sans). Une étude réalisée en France chez 46  enfants (4 mois – 15 ans) a comparé la taille de la réaction au test tuberculinique réalisé sur chaque avant-bras, l’un avec application d’EMLA® et l’autre non. Elle n’a pas retrouvé de différence de résultat entre les deux tests, avec cependant un faux positif et un faux négatif par rapport au bras piqué sans EMLA®.
Pour le BCG, une étude a montré que l’application d’EMLA® n’empêchait pas la prise du vaccin ; dans cette étude ouverte qui porte sur un nombre suffisant (n = 388 enfants de 2 semaines à 11 ans), la « prise » du BCG, explorée par IDR, n’est pas différente dans les deux groupes. Pourtant le laboratoire continue à maintenir une précaution d’emploi dans ce cadre (du fait de l’effet bactériostatique in vitro des anesthésiques locaux, il y a un risque théorique d’inactivation du vaccin vivant BCG). On peut donc, hors AMM, utiliser EMLA® dans cette indication sans grande réserve. Le BCG se fait désormais par ID, le geste sera quasi toujours mal fait s’il n’y a pas d’anesthésie locale.

Beydon N et al. Randomizedstudy of the effect of topicalanesthesia on tuberculin skin test reaction size in children. Pediatr Infect Dis J 2010 ; 29 (2) : 180-2.
Bjorksten B et al. Delayed hypersensitivity responses in children after local cutaneous anesthesia. Acta Paed Scand 1987 ; 76 : 935-8.
Dohlwitz A et al. No negative influence of EMLA application prior to BCG vaccination. Acta Paediatr 1998 ; 87 (4) : 480.
Dubus JC et al. Intradermoréaction à la tuberculine et EMLA-patch®. Abstract du congrès de l’ERS (European Respiratory Society) 2003. Eur Resp J 2003 ; 22 (suppl. 4) : 382s.

Association sucre/douleur/consolation
Avec un recul de plus de 10 ans, aucune étude n’a pu montrer le développement d’une appétence pour le sucre lors des bobos de la vie quotidienne chez les enfants ayant reçu une solution sucrée à visée analgésique à la période néonatale. Les experts en discutent régulièrement et jamais cette tendance n’a été remarquée.
Il paraît peu vraisemblable que l’association douleur — plaisir — sucre s’ancre dans la psyché des bébés, car justement lors de la prise de sucre, la sensation douloureuse n’apparaît pas !