Dr Didier Cohen-Salmon – anesthésiste pédiatrique
Président de l’association SPARADRAP

1. QUELQUES CHIFFRES
Depuis 1995, date de parution du livret « Je vais me faire opérer – Alors on va t’endormir » qui comprenait un questionnaire-réponse, l’association SPARADRAP reçoit des témoignages sur des interventions chirurgicales chez l’enfant. Il s’y ajoute les témoignages spontanés que nous recevons également, et qui relatent une opération, une hospitalisation, un soin, un examen ou une consultation aux urgences. Nous avons récemment édité une fiche-témoignage spéciale.

Parmi les quelque 1400 témoignages actuellement disponibles, nous avons sélectionné ceux qui faisaient référence à la douleur de l’enfant. Ils sont au nombre de 372.

1. QUELQUES CHIFFRES

  • Pour 301 d’entre eux, il s’agit de réponses aux questionnaires inclus dans les livrets. Beaucoup y adjoignent des feuillets supplémentaires :
    • livret « Je vais me faire opérer – Alors on va t’endormir » : 171
    • livret « Je vais me faire opérer des amygdales-végétations » : 130 (l’échantillon global comprend au total 167 témoignages sur des interventions ORL).
  • Soixante-treize sont des témoignages spontanés ou recueillis à l’aide de la fiche témoignage. Les sujets abordés sont très divers :
    • interventions chirurgicales diverses, au nombre de 22
    • soins en service d’urgences, en majorité des sutures de plaies
    • gestes médicaux divers : ponction lombaire, fibroscopie digestive, cystographie, cathétérisme du canal lacrymal, prélèvement sanguin
    • situations médicales
    • mort de l’enfant
  • Les tranches d’âges se répartissent ainsi :
    • 0-5 ans : 173
    • 5-10 ans : 191
    • 10-15 ans : 56

Qui parle ?
Dans 245 témoignages c’est la mère qui écrit, avec souvent (89 cas) un dessin qui authentifie la participation de l’enfant. Les courriers composés d’un texte et d’un dessin marquent une prise de parole conjointe parent-enfant. Onze contributions émanent des pères. Il y a 117 témoignages écrits par l’enfant ou en son nom. Dans un certain nombre de cas en effet, le parent (en fait la mère) s’exprime au nom de l’enfant : « Mon enfant étant trop jeune pour répondre à l’enquête de Sparadrap concernant son hospitalisation et son opération, je me fais son porte-parole. ».

Quelques exemples :

« Mon opération et mon réveil se sont plutôt mal passés. Je ne pensais pas que ça ferait si mal, mes parents non plus. J’ai crié pendant toute l’intervention et une heure et demie après. Je ne suis pourtant pas douillet. »
(41, végétations, 6 ans) Ici le parent exprime peut-être, au nom
de l’enfant, une vision qui lui est propre.

« Ma maman est toujours restée avec moi… L’infirmière m’a fait une prise de sang et elle m’a laissé un petit tuyau pour le lendemain comme ça on m’a pas repiqué. J’ai joué jusqu’au dernier moment. »
(146 , 8 ans).

Mais parfois on ne sait plus très bien qui parle :
« En me réveillant j’avais très très mal à la gorge surtout on m’a dit que c’était normal ! Seulement aujourd’hui je suis plus malade qu’avant car j’ai la fièvre et j’ai toujours mal. Alors c’est des menteurs pourquoi ? »
(116, amygdales-végétations, 4 ans).

« Je suis repartie le lendemain avec encore la gorge douloureuse mais très heureuse de retrouver ma maison et mes animaux (…) mais je crois que pendant quelque temps je me méfierai de tout ce qui porte une blouse blanche. »
(347, végétations, 4 ans).

Les dires des enfants sont plus directs :

« J’ai hurlé tellement j’avais mal, une infirmière m’a expliqué que plus je hurlais plus j’avais mal. »
(681, amygdales-végétations, 9 ans).

L’adolescence apporte le sentiment d’avoir subi une injustice : « Quand j’avais mal, elles venaient longtemps après. Et sous prétexte que j’étais une ado elles me donnaient moins de calmants que la normale. »
(124, intervention maxillaire, 14 ans).

2. LA PERCEPTION DE LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR
La douleur est le plus souvent mentionnée en réponse à la question, incluse dans les questionnaires : « est-ce que tu as eu mal ? » Quand cette mention s’accompagne d’une appréciation celle-ci est positive dans 19 cas, négative dans 73.

Ceci contraste avec les appréciations sur l’accueil, la préparation et l’information : celles-ci sont de coloration positive dans la grande majorité des cas.

Sur les 99 témoignages qui abordent le traitement de la douleur, celui-ci est perçu positivement dans 41 cas, négativement dans 54. De même la prévention de la douleur est citée 34 fois, avec 20 jugements positifs et 12 négatifs.

Examens et soins douloureux
Les points de suture, geste banal et quotidien dans l’activité d’un service d’urgences, peuvent tourner à la scène dramatique, rapportée par des parents qui n’acceptent pas la douleur et la violence infligée à leur enfant « Notre fils s’est mis à crier de douleur. Sa frayeur s’est rapidement transformée en terreur car le champ opératoire, qui lui recouvrait entièrement le visage, ne permettait aucun contact rassurant. Face à cette situation la seule réponse a été de mobiliser une ou deux personnes pour maintenir encore plus fermement notre fils malgré ses cris de plus en plus angoissés (à l’aide, au secours, je vais mourir). »
(849, sutures face, 7 ans).

Quand l’analgésie est utilisée, mais sans conviction et sans réelle attention à son efficacité les parents le remarquent : « L’infirmier nettoie bien la plaie et applique un anesthésiant local, 2 h plus tard le médecin vient recoudre : l’anesthésique a fini son effet et il n’adresse pas un mot à Clémentine, ne lui explique pas ce qu’il va faire. Il recoud. Elle a mal, il continue ainsi, 5 points. Elle a été courageuse mais était-ce nécessaire d’avoir mal ? »
(824, sutures, 5 ans).

À l’inverse la prise en charge de la douleur peut dépasser ce à quoi les parents s’attendaient : « J’ai accompagné ma fille de 15 mois aux urgences de St Vincent de Paul pour des points de suture sur la lèvre et à ma grande surprise, et encore plus grand plaisir, celle-ci a bénéficié d’une « bouffée » au masque »
(747, suture de lèvre, 15 mois).

Même heureuse surprise pour ce parent qui ne connaissait pas l’existence de la crème anesthésiante et la découvre à cette occasion : « Un élément important dans les préparatifs est un nouveau médicament, un sparadrap anesthésiant localement. De ce fait les prises de sang et piqûres se sont déroulées dans le calme et la sérénité. Je pense que c’est une bonne découverte pour les enfants malades. »
(717, coloscopie, 2 ans).

Lors des prélèvements sanguins certains laboratoires d’analyses ou services hospitaliers utilisent la crème anesthésiante, d’autres non (399, 66, 934). Les pratiques sur ce point semblent très diverses, certains expliquant que cela coûterait trop cher !

Mais aussi mal vécue que cette non-utilisation est la brutalité des soignants qui « enlèvent l’enfant devant les parents pour faire l’examen. On entendait l’enfant hurler. Nous étions plusieurs à attendre notre tour et devant les cris du bébé j’ai annulé mon rendez-vous… » écrit une mère.

Dans un laboratoire de ville :

« Nous n’avons pas eu le droit de rester avec notre enfant pendant la prise de sang qui devait durer « deux minutes » et nous avons fait confiance au personnel en nous éloignant dans la salle d’attente. Au bout de cinq minutes, nous sommes allés devant la porte du service et avons regardé à travers la vitre : nous nous sommes faits rabrouer par les différentes personnes qui entraient et sortaient continuellement. On nous a expliqué que notre inquiétude n’avait pas lieu d’être, que les infirmières sont plus psychologues que les parents et que cela allait bientôt se terminer. Quinze minutes plus tard, notre fils hurlait toujours et nous avons décidé de rentrer pour l’aider de notre présence. L’infirmière s’est énervée et a décidé d’interrompre la prise de sang. Nous avons constaté qu’en un quart d’heure, elle avait piqué à plusieurs reprises dans le dos de la main et n’avait réussi qu’à prélever la moitié de la dose nécessaire. »

Dans un autre laboratoire, l’infirmière n’utilise pas la crème anesthésiante, mais elle n’exclut pas le parent, elle fait participer et prend le temps de repérer la veine…
« Elle a piqué notre fils a pleuré, mais au bout de deux minutes c’était fini. Et bien sûr, avant, après et pendant nous lui avons expliqué ce qui se passait ». La compétence technique de l’infirmière préleveuse apparaît ici indissociable de sa qualité humaine.
(755, hypospadias, garçon 14 mois).

À l’hôpital :
« Joachim a du faire une prise de sang pour la première fois de sa vie. L’infirmière m’a formellement interdit de l’accompagner dans la salle de soins. J’ai enfin réussi à y rentrer, les infirmières tenaient et traitaient Joachim comme un morceau de viande sans le moindre effort de le calmer par des mots ou des gestes. Elles ont fini par proposer un patch EMLA ».

Mais dans une relation aussi mal engagée il n’est pas étonnant que la pose de la crème pendant deux heures sur une peau noire soit interprétée par la mère dans un sens discriminatoire. (871, prise de sang, bébé).

Le déni d’analgésie lors de poses d’abords veineux au cours d’une maladie grave ajoute au véritable calvaire vécu par l’enfant et par sa mère : « La perfusion était changée de place tous les deux ou trois jours. On le piquait sans crème anesthésiante aux mains, aux pieds, au cou, sur la tête. On me faisait sortir et du couloir j’entendais encore ses cris ! Une autre fois l’infirmière est venue seule. Elle ne parvenait pas à le piquer. J’ai du maintenir Quentin qui hurlait et semblait m’implorer de ses yeux remplis de larmes. Quand on lui faisait un bilan sanguin, on ne m’informait jamais ni des raisons ni des résultats… »
(752, tumeur cérébrale).

Certaines explorations paracliniques et d’imagerie méritent une mention spéciale. Ces témoignages sont peu nombreux mais leur ton est particulier. Les trois lettres portant sur la cystographie (737, 1098, 1046) sont récents et marquent peut-être une prise de conscience concernant les conditions de ces examens et leurs séquelles. Ce sont des protestations véhémentes contre l’exclusion des parents qui entendent l’enfant crier à travers la porte puis le récupèrent traumatisé. La contention de l’enfant sur la table et l’absence d’analgésie sont relevés. Des cauchemars prolongés sont cités deux fois.

« J’enrageais de le savoir ficelé, nu, sur cette table, avec une sonde dans son zizi, lui emplissant et lui vidant cinq fois d’affilée la vessie, même si, comme on me l’a expliqué plus tard, une infirmière (étrangère pour lui) lui tenait la main : ce n’était pas la présence rassurante de son papa. »
(737, garçon 2 ans).

« Pendant 20 minutes, j’ai entendu ma fille hurler […] J’ai récupéré ma fille dans un état de nerfs incroyable. J’étais très en colère mais je me suis dit « ça va passer, dans quelques jours elle aura tout oublié ». Pendant plus de trois mois elle a fait des cauchemars, ne voulait plus qu’on lui lave sa foufounette, mettait les mains devant pour se protéger. »
(1046, fille de 3 ans).

Un témoignage sur une IRM chez une petite fille a donné lieu à un appel à la Défenseure des enfants. Il dénonce « la contrainte physique et la pression psychologique sans précédent » infligées à l’enfant. On trouve là aussi une observation fine des répercussions psychologiques de cet acte : « Le retour de Flaurine à la maison s’est passé dans un refus total d’enlever son manteau et ses chaussures pendant près de 3 heures. Dans le même temps elle a uriné sous elle, dit qu’il fallait attacher ses poupées parce qu’elles étaient méchantes et a refusé de s’endormir sans veilleuse. »
(987, fille de 3 ans et demi).

« La pédiatre nous a envoyé au CHU pour une fibroscopie nous assurant quelle ne souffrirait pas car on lui aurait donné un sirop pour l’anesthésier. Le jour de la fibro sous prétexte que cela prendrait plus de temps et même une hospitalisation on ne l’a pas anesthésiée et nous les parents on nous a mis dehors pour la raison que ma fille ne comprendrait pas que je laisse lui faire du mal […] c’est en pleurs (ma fille, moi et même son père) que nous nous sommes retrouvés ensuite. »

La suite donne un aperçu du retentissement délétère de tels épisodes sur une parentalité en formation : la mère s’accuse elle-même de ce que son bébé a subi : « Le problème c’est moi : je me sens coupable de n’avoir pas accordé assez de crédit en mon instinct, de m’être laissée abuser par des médecins sans compréhension. Je me sens mal vis à vis de ma fille […] J’ai même douté et je doute encore, de moi-même depuis que ma voisine, fatiguée d’entendre mon bébé pleurer, est venue me menacer d’alerter les services sociaux parce qu’elle croyait que je battais mon enfant. »
(1055, fille 4 mois).

Dans certains textes on perçoit un réel divorce entre les attentes des usagers et les pratiques de certains soignants. Le traitement réservé à l’enfant n’est plus considéré comme normal. Le consensus est rompu. Le « Plus jamais ça » d’une mère exprime bien cet état d’esprit. Son bébé de 18 mois a subi une ponction lombaire sans analgésie, « on lui a expliqué que les petits étaient souples et ne sentaient rien. » (946, ponction lombaire, fille 18 mois).

En effet le déni de la douleur était peut-être tenable, à condition de faire abstraction de ce que vivait l’enfant, lorsque tous les adultes, soignants ou parents le partageaient plus ou moins. Mais cette unanimité a craqué, une fraction au moins des parents ne partage plus le déni. Du coup ils perçoivent le désarroi des soignants devant des douleurs qu’on leur demande d’infliger : « Le médecin chef de service, compte tenu de la difficulté à poser une perfusion, préconise une intramusculaire. J’ai compris après les réticences de l’infirmière. Elle est donc entrée dans la chambre, m’a demandé de m’asseoir sur le lit et de coucher et de maintenir fermement Alexandre sur mes genoux. Et là ce fut vraiment l’horreur ? Jamais je n’ai entendu mon fils hurler de douleur comme ça. J’étais couchée sur lui pour le tenir. Il hurlait, je pleurais, l’infirmière paniquait et j’ai crié STOP. »
(985, pyélonéphrite, garçon 2 ans).

LES OPÉRATIONS
1. L’information sur la douleur post-opératoire

L’information, c’est déjà la prise en charge de la douleur. Un garçon de 13 ans (778) a apprécié la visite de la psychologue avant l’opération, car il avait « peur de l’opération », « peur d’avoir mal ».

Mais si la nécessité d’informer avant l’opération est généralement admise, il est dommage que l’information fasse l’impasse sur ce qui dérange, la douleur en particulier : « On nous explique bien avant mais on nous dit pas après comme ça fait mal ».
(214, ectopie testiculaire 5 ans).

« Pendant une semaine j’ai été mal… Maman m’avait pas tout dit mais peut-être qu’on ne lui avait pas tout dit ».
(345, amygdalectomie, 5 ans).

La douleur post-opératoire peut être vécue comme nécessaire, mais au moins on pourrait en parler « Peut-être devrait-on plus insister sur la douleur que l’on aura après l’intervention, douleur transitoire qui précède l’amélioration ».
(614, végétations-yoyos, 3 ans).

Faute d’informations véridiques sur la douleur post-opératoire on voit naître des théories familiales fantaisistes, en forme de « rumeur » : « Je voudrais savoir jusqu’à quel âge les enfants sont endormis par le masque car on m’a dit que c’était la dissipation du gaz dans la tête qui créait ces terribles maux de tête ».
(446, aérateurs trans-tympaniques, 6 ans).

Il y a aussi des théories enfantines sur la cause de la douleur, qui au fond ne manquent pas de logique. Ce petit garçon fait un lien entre la hâte des soignants et des suites opératoires douloureuses. Et en effet l’attention à la douleur demande du temps et ne s’accommode pas de la précipitation : « Je n’ai pas aimé qu’on a fait vite. On m’a mis le masque devant la bouche, vite. On m’a endormi vite, tout vite. Et ça n’était pas bien […] Ce qui me fait peur, c’est qu’on a fait vite. C’est pour ça que j’ai tout le temps mal à la gorge. Il fallait faire doucement et eux ils ont fait vite ».
(392, végétations, 4 ans).

2. L’analgésie post-opératoire
Les situations sont là encore très diverses. Il est donc difficile pour les enfants et les parents de savoir à l’avance à quoi ils peuvent s’attendre. Trop nombreux encore sont ces constats après une opération aussi simple que l’amygdalectomie, alors que cette douleur pourrait être bien facilement calmée : « Le réveil fut terrible et les douleurs très violentes ».
(716, amygdalectomie, 9 ans).

« L’aspect auquel l’enfant était insuffisamment préparé était celui de la douleur après l’intervention. Nous avons apprécié que le personnel ait été sensible à cela et attentif à soulager l’enfant au maximum ».
(53, végétations, 6 ans).

Et, presque timidement, une mère suggère… l’évidence : « Je pense qu’on pourrait donner un petit médicament pour adoucir les 2, 3 premiers jours [après l’opération], non ? »
(197, phimosis, 4 ans).

Les problèmes logistiques, les défauts d’organisation avec leurs conséquences négatives sont particulièrement mal vécus. La mère d’un garçon de huit ans est encore révoltée au souvenir de la douleur qu’il a dû endurer : « Le lendemain de l’opération de mon fils, je revois une infirmière, qui était compétente et gentille, pleurnicher parce qu’elle ne pouvait faire autrement que le laisser souffrir atrocement pendant une heure. Je la suppliais mais elle ne parvenait pas à joindre l’anesthésiste qui avait seul le droit de faire une injection de morphine dans la péridurale pour le soulager… ».

Certains parents ont vécu la détresse de ne pouvoir aider leur enfant qui a mal :
« Que faire devant la souffrance de son enfant… c’est insupportable ! Comment préparer à la souffrance ? ».
(243, hernie, 4 ans).

« Gaëtan a passé six jours et six nuits à se plaindre d’avoir « mal au zizi ». Au début, il s’en écoulait du sang avec des caillots. La réponse à mes demandes répétées était : on lui a donné le Driptane, un suppo de Doliprane et cinq gouttes de Valium. Maintenant, il faut attendre deux ou trois heures.
Et Gaëtan suppliait : « Infirmières ! Infirmières ! »
En y repensant, j’en ai les larmes aux yeux.
Pourquoi n’a-t-on pas adapté le traitement à sa douleur, à ses cris, à sa détresse ? Pourquoi m’a-t-on dit qu’il était trop petit pour avoir de la morphine ?
Pourquoi m’a-t-on dit qu’on la réservait à des interventions plus lourdes ? ».

(837, réimplantation urétérale, garçon 6 ans).

De retour au domicile, c’est le traitement de relais qui se révèle inadéquat : « Ce qui nous a fait défaut, à elle surtout, c’est le moyen de gérer la douleur après la fin des protocoles médicaux par perfusion. Elle n’a notamment pas compris pourquoi elle avait plus mal à la maison qu’à l’hôpital ».
(151, réimplantation urétérale, 3 ans).

Même après une intervention mineure les suites opératoires peuvent être difficiles, mélange de douleur physique et de réaction traumatique : « Pendant près de trois jours, notre fille n’a pas parlé. Douleur physique, douleur psychique […] Au bout de quelque temps, en regardant le dessus de sa main bleui, elle a pu parler de son opération et de la pose de la perfusion :
La dame elle a mis de la pommade sur ma main et elle a dit de pas pleurer.
Et toi, qu’est-ce que tu as fait ? Tu as pleuré ?
Oui, j’ai pleuré parce que j’avais peur. Tu avais peur de quoi ?
Que tu étais partie ».

(870, végétations, 3 ans).

Une réelle prise en charge de la douleur lors de chirurgies très douloureuses, les parents savent ce que c’est et en apprécient les bienfaits : « Je suis témoin de l’épanouissement d’un enfant à qui un protocole anti-douleur a été accordé. Marthe n’a jamais eu peur des médecins et je ne l’ai jamais vue souffrir ».
(952, fente labio-palatine, 2 ans).

« Nous pouvons dire que l’accueil, la gentillesse, les soins faits avec douceur, les calmants locaux ou en perfusion (morphine) sont un véritable progrès dans le milieu médical, car c’est insupportable pour un enfant de souffrir ainsi que pour ses parents ».
(109, chirurgie cardiaque, 3 ans et demi).

Rétrospectivement une mère s’interroge sur l’importance de son rôle de porte-parole de la douleur de l’enfant : « L’hospitalisation de Quentin a été très courte, une journée, et j’ai pu être présente à ses côtés en salle de réveil. Il avait mal et a pleuré dès qu’il a ouvert les yeux. Encore groggy, il n’a pas exprimé sa douleur verbalement et ne répondait pas aux questions des infirmières si ce n’est par des pleurs. Un peu surchargées de travail, elles en ont conclu que c’était « de la comédie » et sont passées à un autre malade. Etant à ses côtés, j’ai pris le temps de lui parler doucement et de le prendre dans mes bras, et là, il m’a expliqué où il avait mal. J’ai alors insisté auprès du personnel soignant pour qu’on lui administre un calmant, chose qui a été faite et ainsi, il s’est calmé instantanément et a même pu se rendormir. Je ne l’aurais pas demandé, aurait-on traité sa douleur ? Les enfants non accompagnés et les vieillards, sont-ils traités ainsi à partir du moment où ils n’expriment pas clairement leurs plaintes ? »
(698, opération, 4 ans).

Ce rôle est particulièrement important quand il s’agit d’enfants handicapés, dont les parents connaissent mieux que quiconque les modes relationnels : « Opérée d’une ostéochondrite de hanche […] elle a été bourrée d’atarax sans analgésique. J’avais beau dire que son comportement habituel était agréable, ses colères étaient interprétées comme normales puisqu’une enfant handicapée ne peut être que sale gosse et sa mère un emmerdeuse ! ».

3. L’exigence du respect de l’enfant
Qu’ils soient positifs ou négatifs les témoignages l’incluent souvent dans une attitude plus générale de respect de l’enfant, d’attention à ses réactions. De fait vingt-neuf témoignages seulement ont la douleur pour thème exclusif. « La prise en compte de la douleur a été un souci de chaque jour » écrit un parent, (865, myélodysplasie 6 ans) et cela exprime bien cette dimension transversale, continue de la prise en charge de la douleur. Et ils s’appliquent à relever les différents éléments qui assurent son succès.

« Nous avons eu affaire à un personnel soignant compétent, c’est-à-dire avec des gestes précis, techniques mais très adaptés à un enfant, doux, même en cas de crise la patience et la douceur étaient de rigueur, jamais un mot plus haut que l’autre, souriant, toujours prêt à faire sourire l’enfant […] expliquant et justifiant leurs actions avec des mots d’enfant, avec des comportements compréhensibles par un enfant, attentifs à la douleur, jamais Eloïse n’a souffert, sa douleur était anticipée ».
(1048, angine compliquée).

Le cadre des soins, c’est aussi important dans une prise en charge globale de la douleur : « … En pédiatrie avec une maison des enfants, les éducatrices et tout le personnel, tout est fait pour que les enfants oublient la douleur… ».
(581, amygdales-végétations, 4 ans).

Le mot douleur n’a pas tout à fait le même sens pour les soignants qui l’évaluent et la traitent, et pour les parents : « Il est très dommage que les parents ne puissent pas rentrer en salle de réveil, cela atténuerait une partie de la douleur » écrit un parent.
(631, opération, 5 ans).

Certains points, s’ils peuvent nous paraître mineurs, ont un sens parce qu’ils sont vécus comme révélateurs. Il en est ainsi du retrait sans précaution des pansements (363-431-1033).
« J’ai eu mal quand ils ont enlevé ma perfusion car pratiquement toute ma petite main était « remplie » de sparadrap… ». (363, opération 5 ans).

C’est le geste en trop, qui ne sera pas bien accepté : « Je vous passe les 7 tentatives douloureuses pour lui faire une simple prise de sang […]. Quant aux grandes théories sur la sensibilisation à la douleur chez l’enfant, je conçois qu’en arrivant par les Urgences, tout ne soit pas mis en œuvre pour soulager le bébé, mais quand il s’agit de lui enlever tranquillement, avant la sortie, son cathéter de la tête, je ne pense pas qu’on soit obligé de lui arracher le pansement brutalement et les cheveux avec… ».
(1033).

Mais là aussi l’attention aux détails qui peuvent améliorer l’expérience de l’enfant est bienvenue : « On a bien pris en compte que j’étais gauchère avant de me piquer, c’est pour mieux tenir ma peluche ».
(529, amygdales-végétations, 6 ans).

« Le personnel a essayé de respecter le rythme de l’enfant. Le matin de l’opération on l’a laissée dormir jusqu’à la prise de la perfusion, qui s’est passée en douceur grâce à la crème EMLA ».
(462, strabisme, 5 ans).

Certaines attitudes sont sévèrement jugées. Ainsi « … Le brancardier qui ne prend pas le temps de parler 5 mn avec l’enfant avant de l’emmener ou qui lui crie dessus au retour parce que l’enfant pleure ».
(691, opération, 4 ans).

De même l’ORL qui a fait deux paracentèses à un bébé de 6 mois est stigmatisé, non pour la douleur qu’il a infligée, et qui dans l’esprit des parents était peut-être inévitable, mais parce qu’il n’a pas adressé la parole à l’enfant, et parce qu’il a demandé aux parents de le « ceinturer ». (749).

Il s’ensuit un appel à une meilleure « formation pédagogique et psychologique de Messieurs les docteurs, chirurgiens, anesthésistes, si compétents en leur domaine… mais dont les explications restent purement techniques… ».
(532, opération kyste à l’œil, 5 ans).

… et à une meilleure organisation : « il devrait y avoir (…) un protocole (et non un courrier) écrit et signé par le service anti-douleur et le service qui prend en charge l’enfant (…) Il faudrait que ce soit le médecin du service anti-douleur qui s’occupe et qui prenne les décisions concernant les modifications du traitement pour la douleur ».
(750, intervention orthopédique, garçon 12 ans handicapé).

Le manque de cohérence, reflété dans la non-utilisation de la crème anesthésiante est relevée, dans un témoignage globalement positif, comme « la grosse déception ».
(399, amygdales-végétations, 5 ans).

Certains parents différencient très bien une prescription routinière et dont l’effet n’est pas évalué, d’une réelle prise en charge, dans laquelle leur rôle pourrait être précieux. Ne sont-ils pas les mieux placés, par leur connaissance intime de l’enfant, pour repérer précocement des changements qui n’ont pas encore alerté les médecins ? Leur partenariat pourrait être précieux : « …arrêt de la morphine et reprise de la douleur le jour mais surtout la nuit où là encore pas de prise en charge réelle de la douleur, suppos d’Efferalgan… On n’écoute pas nos remarques sur ce sujet. Les médecins supposent que c’est une douleur de l’opération, nous savons que c’est autre chose ».
(1073, mort d’une fillette de 2 ans).

« Je n’ai pas été entendue par deux pédiatres successifs que je consultais car mon fils pleurait très souvent avant que l’on découvre son kyste [arachnoïdien], ce qui me faisait penser qu’il avait mal. Confirmation m’en a été apportée par la suite par un neurologue ».
(751, kyste arachnoïdien, bébé de 5 mois).

Certains se sont trouvés dans la situation frustrante d’apprendre, mais trop tard, ce qu’il aurait été possible de faire pour éviter la douleur à leur enfant. Mais une fois informés, les parents auront-ils la capacité d’obtenir que les moyens analgésiques adaptés soient mis en œuvre ? C’est évidemment une question cruciale : « De quelle façon puis-je en reparler ou faire mieux connaître votre association à l’hôpital de B. ? Peut-on acheter soi-même une crème anesthésiante et comment demander que l’enfant ait du MEOPA ? », demande un parent.

Une autre nous écrit après avoir vécu, dans un grand centre hospitalo-universitaire, les suites très douloureuses d’une intervention orthopédique chez son fils. L’analgésie prescrite était très insuffisante et son effet n’a pas été évalué. En réponse à ses demandes, pour lesquelles elle s’est appuyée sur les documents de SPARADRAP, elle s’est entendue dire que la morphine était trop dangereuse. Elle s’inquiète et nous interroge : « D’ici deux ans il faudra de nouveau pratiquer une intervention pour retirer les agrafes et je ne sais comment faire pour trouver sur T. une équipe qui s’engage à évaluer la douleur et à la traiter ».
(intervention sur le genou, garçon 13 ans).

4. Quelques commentaires
Une des limites à l’interprétation de ces témoignages doit être soulignée dès l’abord : il s’agit de la quasi-absence des pères. Plus que jamais l’hospitalisation de l’enfant semble demeurer l’affaire des mères, au moins dans le récit qui en est fait. Cette situation des mères, face à un milieu médical fortement masculinisé, mériterait quelques commentaires. En tout état de cause ces témoignages ne permettent pas de savoir si les pères ont une vision propre de ces situations.

Nous ne connaissons pas non plus, sauf exception, le point de vue des soignants et des médecins concernés. Quelques confrontations nous ont montré que leur perception pouvait différer notablement de celle des parents.

Ce sont évidemment les parents et enfants les plus motivés à témoigner qui nous ont écrit. On se gardera donc d’extrapoler une vision générale à partir de ces témoignages. Il n’est pas étonnant d’y trouver une assez forte proportion de mécontents. Mais ceux qui protestent et dénoncent sont aussi ceux qui repèrent les manques et les problèmes. On peut aussi les juger trop exigeants voire, comme le disent certains, consuméristes. Mais ce sont eux qui font avancer.

C’est pourquoi ces écrits ne doivent être pris que pour ce qu’ils sont : l’expression du vécu d’enfants et de parents à l’hôpital à la fin des années 90.
Les motivations à témoigner peuvent être diverses :

  • Prendre acte des progrès réalisés, quand il s’agit de témoignages positifs.
  • Faire un bilan, prendre de la distance après-coup, à partir d’une situation qui sur le moment a pu être débordante.
  • Chercher une aide ou un porte-parole pour faire valoir certaines demandes.
  • S’affirmer « pas tout seuls », partager une expérience.
  • Faire savoir, laisser une trace.
  • Aider l’association en lui apportant des informations de première main.

Mais ces écrits prennent toute leur valeur quand on les confronte à d’autres sources d’information. Ainsi les descriptions des parents, confirmant d’autres données, dressent un tableau très contrasté de la prise en charge de la douleur à la fin des années 90. Le pire et le meilleur coexistent toujours.

Elles montrent aussi que le savoir accumulé par les spécialistes de la petite enfance diffuse lentement dans le grand public et aiguise les regards. On est maintenant plus sensible à la prise en compte de l’enfant en tant que personne dans l’organisation des soins. Qualité de l’analgésie et qualité relationnelle vont de pair, sont les deux faces de la même réalité.

Tout cela nourrit chez beaucoup le désir d’agir. Mais comment faire pour exprimer une demande et obtenir qu’elle soit prise en considération ? Quel est l’intermédiaire efficace et autorisé qui permettra de « fermer la boucle », de faire que ces témoignages constituent une source d’informations pertinentes pour ceux qui ont à charge d’observer la réalité des pratiques et, quand c’est nécessaire, de promouvoir des changements ?

Note : Les extraits cités sont indexés dans la base de données-témoignages disponible à SPARADRAP. Le numéro d’indexation permettra de les retrouver.