Dr. D. COHEN-SALMON
Dept. d’Anesthésie, Hôpital d’enfants Armand Trousseau – 26, avenue du Docteur. A. Netter, 75571 Paris cedex 12.

L’amygdalectomie chez l’enfant est le type même de l’intervention chirurgicale fréquente, souvent banalisée mais très douloureuse. Elle touche le carrefour aéro-digestif, lieu stratégique où se croisent la respiration, la parole et l’alimentation et où se structurent les principaux échanges de l’enfant avec son entourage, base de son développement. Il s’y attache encore les mauvais souvenirs d’enfance des adultes opérés sans anesthésie ou avec une anesthésie trop légère avec réveils per-opératoires (1). En dépit de la quantité des travaux publiés, le déni de cette douleur reste massif. Les exemples abondent : « Les infirmières du service, très proches des enfants, me signalent qu’ils ont réellement mal. Mais lors de la visite chirurgicale, ils sont intimidés (ainsi que leurs parents), l’ORL les regarde droit dans les yeux et dit fermement “tu n’as pas mal”, et personne n’ose plus rien dire! » (témoignage d’une anesthésiste). « Les infirmières et le docteur ont été très gentils mais en me réveillant j’avais très mal à la gorge surtout on m’a dit que c’était normal » (lettre d’un enfant opéré). Une enquête réalisée en 1989 dans 138 centres pratiquant des amygdalectomies chez l’enfant montrait que, pour la moitié d’entre eux, aucun analgésique n’était prescrit (2).

La prise en charge de la douleur commence, dès avant l’opération, par une information sur la douleur. En effet le caractère prévisible de la douleur implique que l’enfant et ses parents doivent en être avertis dès la consultation du chirurgien et surtout lors de la consultation préanesthésique, et qu’ils doivent avoir toute liberté d’en parler, d’exprimer inquiétudes et interrogations à ce sujet. Le médecin-anesthésiste peut alors informer les parents sur la douleur postopératoire, détailler la prise en charge antalgique prévue, montrer le maniement de l’échelle visuelle analogue à l’enfant de plus de 5 ans, remettre un document de préparation à l’opération et à l’anesthésie.

La douleur est présente dès le réveil de l’anesthésie. A la phase immédiate elle est directement liée à la plaie opératoire. Les fibres musculaires des piliers amygdaliens sont fréquemment lésées. Des adhérences inflammatoires peuvent rendre difficile le clivage de l’amygdale. A la 24ème heure la réaction inflammatoire est au premier plan. La plaie opératoire est recouverte d’un exsudat pseudo-membraneux avec oedème des piliers amygdaliens et de la luette et empâtement cervical douloureux. A cette phase la douleur est essentiellement liée au spasme des muscles pharyngés et des piliers amygdaliens. Au fond douloureux permanent se surajoutent des paroxysmes provoqués par la phonation et la déglutition, expliquant le mutisme et les difficultés d’alimentation de l’enfant mal analgésié. L’otalgie est particulièrement fréquente. La durée de ces phénomènes est en moyenne de dix jours, avec un maximum d’intensité durant les 3-4 premiers jours. Selon Jebeles (3) la douleur spontanée est maximale (EVA=7,4) le deuxième jour postopératoire, la douleur à la déglutition est cotée à 7,7 à la 4ème heure postopératoire et persiste à 1,4 au dixième jour. Pour Warnock (4) la douleur dure plus de 7 jours, elle est cotée à 65 à J1 et 27 à J7.

Le choix de la technique opératoire et anesthésique fait partie intégrante de la prise en charge de la douleur. La méthode « au Sluder » sans intubation et souvent sans accès veineux suppose une anesthésie légère. Elle est toujours largement pratiquée dans notre pays (et dans d’autres), surtout dans des structures de soins privées : dans l’enquête SFAR de 1996, 56% des enfants de plus de 5 ans et 38% des enfants plus jeunes bénéficiaient d’une intubation trachéale (5). Pourtant cette technique est difficilement compatible avec une bonne analgésie per et postopératoire car la nécessaire légèreté de l’anesthésie exclut tout produit analgésique. La douleur sous anesthésie se traduit par une hypertension artérielle, une tachycardie et des troubles du rythme cardiaque. Le réveil de l’enfant douloureux se caractérise par une agitation en salle de réveil ou par une attitude de repli. Pour ces raisons, seule la technique par dissection avec protection des voies aériennes par une sonde d’intubation (ou éventuellement un masque laryngé armé) permet une anesthésie suffisamment profonde et une analgésie adéquate. La technique anesthésique devrait faire appel à un morphinomimétique : sufentanil (0,2 à 0,3 µg/kg), fentanil (2 à 3 µg/kg) ou encore alfentanil (10 à 20 µg/kg) avec dans ce dernier cas un relais rapide par de la morphine intraveineuse. Ceux-ci restent peu utilisés : 19% chez les enfants de 1-4 ans et 37% de 5-14 ans (5).

LE JOUR OPERATOIRE
Le protocole d’analgésie choisi doit être mis en œuvre chez tous les enfants dès la phase initiale du réveil sans attendre l’apparition de fortes douleurs, puis évalué de façon régulière pour chaque enfant. Ce protocole doit être simple, efficace et de surveillance aisée. Il ne doit pas faire courir de risque d’obstruction des voies aériennes, ni modifier le cours normal des suites opératoires. La douleur et l’effet des antalgiques doivent être suivis systématiquement au moyen de l’échelle visuelle analogique ou d’un score comportemental. Dans les premières heures la salle de réveil permet cette prise en charge dans les meilleures conditions d’efficacité et de sécurité (6).

MORPHINIQUES
Les morphiniques sont actuellement sous-utilisés dans cette indication comme dans d’autres, alors qu’ils peuvent être prescrits en toute sécurité sous réserve d’une surveillance pendant six heures au moins. Les besoins individuels étant variables, la titration par voie veineuse est préférable à l’administration d’une dose prédéterminée. On injecte habituellement une dose de 100 µg/kg par voie veineuse, suivie de doses de 25-50 µg/kg jusqu’à obtention de l’analgésie. La nalbuphine possède un effet-plafond limitant son efficacité et un important effet sédatif, ce qui la rend moins adaptée à la situation (7). En pratique les inconvénients des morphinomimétiques résident plus dans leur effet émétisant que dans leur risque respiratoire. Mais il est vrai que les vomissements sont de toute façon courants après amygdalectomie chez l’enfant. L’irritation locale, l’œdème de la luette, la présence de sang dans l’estomac et aussi la douleur et l’anxiété en sont les principaux facteurs déclenchants. Les nausées et vomissements postopératoires augmentent l’inconfort et la douleur. Les antagonistes de la sérotonine (ondansétron 0,10 mg/kg) sont les antiémétiques les plus efficaces, il est utile de les associer aux morphinomimétiques (5).

PARACETAMOL
Le paracétamol est dans beaucoup de cas le seul antalgique prescrit. Tous les travaux publiés montrent que s’il est utilisé seul, même à haute dose (90 mg/kg/jour), sa puissance analgésique est insuffisante pour les trois premiers jours postopératoires (8). De plus sa résorption par voie rectale est longue et aléatoire et les taux thérapeutiques ne sont pas toujours atteints. Le propacétamol par voie veineuse (40-50 mg/kg en dose de charge puis 30 mg/kg toutes les 6 heures) permet de réduire les doses, et donc les effets secondaires des morphinomimétiques.

AINS ET CORTICOÏDES
Du fait de la composante inflammatoire de la douleur les AINS pourraient trouver dans l’amygdalectomie une indication logique. Leurs avantages sont l’obtention d’un réveil calme sans sédation ni retentissement respiratoire et l’absence d’effet émétisant, autorisant une sortie plus rapide en hospitalisation de jour. Dans la plupart des études utilisant les AINS il y a moins de nausées et de vomissements qu’après morphine ou péthidine (6). Leurs inconvénients sont : une puissance analgésique limitée et des effets controversés sur l’hémostase. Mais aucun AINS injectable ne possède en France l’AMM avant 15 ans, et le ketorolac a été retiré du marché français. L’acide acétyl-salicylique est contre-indiqué car il perturbe l’hémostase primaire de façon prolongée. Rappelons que la prise d’aspirine dans les jours précédant la date opératoire est une contre-indication à l’amygdalectomie. Les données concernant les effets de l’utilisation d’AINS injectables sur l’hémostase sont contradictoires et ne permettent pas de conclusion définitive. Elles concernent principalement le diclofénac et le kétorolac. Le kétoprofène est disponible en France sous forme injectable (2-3 mg/kg/jour). Certaines études ont montré une augmentation du saignement per et postopératoire après AINS (9) alors que d’autres travaux ne retrouvent pas cette association (10).

Les corticoïdes injectables ont été moins étudiés. Ils allient à leur action antalgique et anti-inflammatoire un effet anti-émétique qui les rend intéressants dans cette indication (11). Ils n’interfèrent pas avec les mécanismes de l’hémostase.

Enfin les techniques d’infiltration de la loge amygdalienne par des anesthésiques locaux ont donné des résultats inconstants et contradictoires et peuvent être cause d’accidents. Ils ne sont donc pas actuellement recommandés (5).

LE RETOUR AU DOMICILE
L’hospitalisation étant de brève durée ce sont les parents qui auront à assumer l’essentiel de la douleur de l’enfant opéré. La morbidité au domicile est importante. La plupart des enfants présentent douleur et détresse, les autres symptômes rencontrés sont : fièvre, otalgie, halitose, nausées, changements de comportement, difficultés de réalimentation, hémorragie secondaire (12). L’appel au médecin traitant est fréquent, et on sait que les parents n’administrent qu’une partie des doses d’analgésiques prescrites (4). Une étude a montré qu’une meilleure formation à la douleur de l’équipe médicale et soignante améliorait la prise en charge de la douleur même à domicile (13).

L’éducation des parents est à améliorer car la qualité des suites opératoires se décide pendant le séjour à l’hôpital. Dans deux études, l’accompagnement et le soutien fourni à la mère pendant l’hospitalisation ont amélioré globalement la qualité des suites opératoires de l’enfant, y compris la douleur (14-15). Il est très important de fournir aux familles des prescriptions adaptées, à horaire fixe et non à la demande, des informations claires sur les suites opératoires prévisibles et sur les signes de douleur, et des ressources accessibles en cas de problème. Quand les parents constatent l’inefficacité ou la mauvaise tolérance des médicaments prescrits ou ont à faire face à un effet inattendu des médicaments, ils les abandonnent mais ne réclament pas pour autant une autre prescription. Mais après apprentissage ils sont en mesure de se servir d’une échelle simple d’évaluation de la douleur. Ils utilisent spontanément les mêmes indices que les soignants pour reconnaître la douleur et ont recours à des actions non médicamenteuses : paroles de réconfort, installation de l’enfant, jeux… (14).

Le paracétamol prescrit par voie orale (60 mg/kg/jour) ou rectale (90 mg/kg/jour) est insuffisant pendant les 4-5 premiers jours. On peut l’associer au sirop de phosphate de codéine (5-6 mg/kg en 4 à 6 prises) chez le jeune enfant, la forme effervescente de paracétamol-codéine étant utilisable à partir de 3 ans. Les AINS par voie orale ou rectale ont prouvé leur efficacité : diclofénac 2,5 mg/kg/jour, acide niflumique 40 mg/kg/jour, ibuprofène 30 mg/kg/jour (5). La réalimentation précoce, traditionnellement mixée, froide puis tiède favorise la cicatrisation. La régularité des prises alimentaires semble plus importante que le régime choisi. Une mesure aussi simple que la prescription de chewing-gum semble améliorer l’état local (17). Mais à son tour la réalimentation dépend de la qualité de l’analgésie.

Au total, et en dépit d’une prise de conscience, la situation actuelle de la prise en charge de la douleur après amygdalectomie chez l’enfant reste susceptible de larges améliorations. Les travaux d’évaluation de protocoles associant plusieurs médicaments de classes différentes font encore défaut. Eux seuls permettront la mise en place de protocoles plus efficaces. Mais il faut également promouvoir une approche plus globale : accueil, information, écoute et soutien de l’enfant et de ses parents ; formation des équipes soignantes à l’évaluation de la douleur ; éducation des parents et du grand public ; réflexion sur les techniques opératoires et anesthésiques et leurs implications pour la douleur de l’enfant.

BIBLIOGRAPHIE

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2) Crinquette V., Caron C., Darras J.A., Erb C., Louguet F., Seeuws J., Solanet C., Vilette B.- Anesthésie pour amygdalectomie chez l’enfant de moins de 30 Kg. Communication au Club d’Anesthésie-Réanimation en oto-rhino-laryngologie. 3ème journée francophone, Lille, 6 Octobre 1989.
3) Jebeles JA., Reilly JS., Gutierrez JF., Bradley EL., Kissin I.- The effect of pre-incisional infiltration of tonsils with bupivacaine on the pain following tonsillectomy under general anesthesia. Pain, 1991, 47, 305-308.
4) Warnock FF, Lander J. Pain progression, intensity and outcomes following tonsillectomy, Pain, 1998, 75, 37-45.
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6) Cohen-Salmon D. L’amygdalectomie chez l’enfant. In : Bourgain JL, Cathelin M. Anesthésie-Réanimation en chirurgie de la tête et du cou. Tome 1 Anesthésie-réanimation en chirurgie oto-rhino-laryngologique et maxillo-faciale. Arnette Paris 1997, p. 213-228.
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9) Rusy LM., Houck CS., Sullivan LJ., Ohlms LA., Jones DT., McGill TJ., Berde CB. A double-blind evaluation of ketorolac tromethamine versus acetaminophen in pediatric tonsillectomy: analgesia and bleeding. Anesthesia Analgesia, 1995, 80, 226-229.
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