La douleur chez l’enfant et son expression. L’évaluation et le vécu des soignants. Quelle lecture à la lumière de la théorie de l’attachement ?
Dr. A.-S. Barbey-Mintz
Praticien Hospitalier.
Responsable du deuxième secteur de psychiatrie infanto-juvénile. Institut Mutualiste Montsouris. Paris

in Les 29èmes Journées Pédiadol, Session : LA RELATION AU COEUR DU SOIN

Dès 1915, S. Freud soulignait que la douleur est un phénomène psycho-corporel.

Après avoir longtemps été niée, déniée, négligée, la douleur chez l’enfant est prise en charge dans les soins pédiatriques depuis de nombreuses années.

Différents centres de soins multidisciplinaires se sont développés grâce à l’engagement de praticiens qui ont participé aux différents plans nationaux douleurs, intégrant les dimensions psycho-émotionnelles de la douleur dans les soins et particulièrement dans ceux des douleurs chroniques.

Pour rappel, on distingue classiquement quatre composantes de la douleur, qui ne peuvent être considérées indépendamment l’une de l’autre :
• La composante sensori-discriminative correspond aux mécanismes neurophysiologiques qui sous-tendent les douleurs par excès de nociception.
• La composante cognitive correspond à l’ensemble des processus modulant la perception de la douleur. La compréhension de la douleur par un enfant est bien sûr en lien avec son stade de développement cognitif et on peut s’appuyer sur les travaux de Piaget ou d’Olivier Houdé pour en appréhender l’évolution.
• La composante comportementale concerne l’ensemble des manifestations verbales et non verbales (plainte, gémissement, mimique, posture) mais aussi les modifications de comportements relevées dans certaines situations douloureuses (atonie psychomotrice du nourrisson par exemple).
• La composante affective confère à la sensation douloureuse sa tonalité́ désagréable, pénible, insupportable et peut se prolonger vers des états émotionnels plus différenciés comme l’anxiété́ ou la dépression, en particulier dans le cas de douleurs chroniques.

C’est le stimulus nociceptif lui-même qui met en jeu la composante affective par l’activation des structures limbiques, notamment du complexe amygdalien qui intervient dans les comportements affectifs et émotionnels.
De plus, les facteurs environnementaux dans lesquels survient la douleur jouent un rôle important. En effet, la douleur est modulée par la nature de la maladie à l’origine de celle-ci, l’incertitude sur son évolution, l’environnement social et familial.

Nous allons ici nous centrer sur la dimension affective de la douleur dans la perspective de la théorie de l’attachement élaborée par J. Bowlby.

En effet, le style d’attachement d’un sujet influence sa capacité à se représenter, à exprimer les émotions négatives suscitées par la douleur, ainsi que ses comportements et enfin connotent la dimension cognitive liée à ce vécu désagréable.

Toutes ces caractéristiques à la fois chez le patient mais aussi chez les soignants pourront avoir un impact sur la prise en charge de celle-ci.

1- Quelques éléments de compréhension de la théorie de l’attachement

Dans une synthèse de différentes approches théoriques et en même temps que d’autres chercheurs à la même époque, J. Bowlby, pédopsychiatre, psychanalyste anglais, né en 1907 et mort en 1990, a montré l’importance de la qualité de l’environnement sur le développement des enfants, et plus spécifiquement l’importance des réponses apportées par cet environnement lors des moments où l’enfant ne peut faire face seul à ce qui se passe pour lui ou à son, ses, besoins (faim, froid, maladie, peur, tristesse…). Il a alors besoin de l’intervention des adultes qui s’occupent habituellement de lui, ou de leur substitut, pour lui permettre de retrouver son homéostasie globale, y compris émotionnelle.

En appui sur l’éthologie, sur la cybernétique, sur la théorie de l’évolution, et à partir de l’observation des nouveaux nés puis des enfants, il a élaboré dans la seconde partie du XXe siècle la théorie de l’attachement.

L’attachement est un système motivationnel (Sroufe et Waters, 1977), c’est à dire un ensemble de comportements génétiquement programmés, qui s’active dès qu’un être humain est en situation d’alarme ou de détresse, et qui va lui permettre de manifester cette détresse pour obtenir, par la proximité physique donnée par des adultes, l’aide et/ou le réconfort dont il a besoin. Cette proximité physique assortie des soins donnés va lui permettre de retrouver un vécu interne de sécurité par le retour à son équilibre général, physiologique, émotionnel et affectif. Tout comportement qui permet la recherche de proximité en cas d’alarme ou de détresse est un comportement d’attachement.

A partir de la répétition de ces expériences, des réponses de l’environnement aux besoins d’attachement de l’enfant à tous ces moments particuliers, le lien d’attachement se construit au cours de la première année de vie d’un sujet (Ainsworth,1979).

Ce lien est unique, irremplaçable et a un impact sur développement ultérieur de l’enfant.

Le plus ou moins bon ajustement de l’environnement aux besoins d’attachement d’un enfant conditionne la construction des caractéristiques des patterns d’attachement identifiables à partir d’un an. L’observation de ces patterns permettra de caractériser l’attachement en sécure, insécure-évitant, insécure-ambivalent ou désorganisé grâce à l’analyse de la situation étrange (Ainsworth,1979).

Toutes ces expériences et leurs caractéristiques s’organisent dans les mémoires les plus précoces et vont être la base à partir de laquelle vont se construire des représentations mentales d’attachement.

Ces dernières sont à l’origine d’une partie de la confiance en les autres qu’un sujet va avoir quand il est en difficulté ou en situation de détresse, de la confiance en lui et de l’importance qu’il accorde aux relations interpersonnelles tout au long de sa vie.

Ces représentations forment ce qu’on appelle le Modèle Interne Opérant et font que « l’attachement va du berceau jusqu’à la tombe » (Bowlby, 1969).

En réponse à l’expression des besoins d’attachement, le système motivationnel de caregiving, expression parentale du système d’attachement (Bowlby, 1982), est activé chez les parents ou tout adulte qui s’occupe de l’enfant.

Ce système est un autre système motivationnel qui s’active chez tout être humain dès que l’on est face à quelqu’un en situation d’alarme ou de détresse ou en besoin de réconfort (Georges et Salomon, 1999).

Ce système renseigne sur les besoins des autres. Il est donc sollicité dans nos pratiques professionnelles de soignants.

Son expression est influencée par les réponses que l’on a eu enfant, lorsque notre propre système d’attachement était activé. Le caregiving est modulé par le style d’attachement qui influence la représentation interne des besoins des autres quand ils sont en situation de détresse.

On va en effet être plus ou moins sensible à la détresse des autres, car on va plus ou moins avoir la capacité à ressentir, supporter les manifestations des émotions négatives qui émergent face à quelqu’un en détresse, ce d’autant plus qu’il est vulnérable comme l’est un enfant. La sécurité de l’attachement permet un libre accès à ses ressentis émotionnels et des réponses plus congruentes aux besoins d’attachement des autres.

C’est par ce biais que notre style d’attachement peut distordre notre capacité cognitive à traiter les informations quand on a un attachement insécure. C’est aussi ainsi qu’on peut minimiser ou maximiser la lecture de la douleur chez un enfant.

2- Douleur de l’enfant et attachement

2-1 – Chez l’enfant

En effet, La douleur est une des situations qui active le système d’attachement de tout sujet, et particulièrement d’un enfant, d’autant plus qu’il est plus jeune et ne peut pas en comprendre ni l’origine ni la façon de s’en défendre.

Un enfant douloureux sécure va exprimer son ressenti de douleur et rechercher la proximité avec des adultes, et à partir de 9-12 mois, celle de ses figures d’attachement pour être réconforté et si cela est possible, soulagé.

Il va pleurer, crier, se rapprocher pour qu’on lui vienne en aide dans une proximité physique d’autant plus importante qu’il est très jeune.
Un enfant insécure-évitant pourra, si l’intensité de la douleur est supportable, ne pas se manifester, ou au moins ne pas chercher de réconfort auprès de ses figures d’attachement. Ces enfants sont ceux qui peuvent souffrir longtemps silencieusement
et dont on est en risque de « négliger » l’intensité de la douleur.

Les enfants insécure-ambivalents vont avoir une très forte expression émotionnelle face à la douleur et seront plus difficiles à réconforter. Alors que la douleur est maitrisée médicalement, ils peuvent rester longtemps très déstabilisés émotionnellement rendant la lecture de leur manifestations complexe.

Est-il encore douloureux ou pas ?

La réponse à cette alarme, voire cette détresse dans laquelle la douleur met un enfant, va bien sûr solliciter le système de caregiving des parents.
L’intensité de la douleur, sa durée, l’âge de l’enfant, sont des facteurs qui vont influencer l’intensité de l’activation de son système d’attachement et donc les modes d’expression.

2-2 – Chez les parents

Le caregiving des parents va être activé.
Les parents sécures vont immédiatement pouvoir se représenter ce que leur enfant vit et vont mieux faire face aussi à toutes ses manifestations affectives négatives.

Ils vont tenter de le réconforter pour le soulager.

Ils vont ainsi être plus en capacité de l’accompagner dans cette épreuve, en supportant aussi leur propre ressenti émotionnel et en gardant leur aptitude de mentalisation (Fonagy, 2001). Cela leur permet de communiquer avec leur enfant sur ce qu’ils comprennent de ce qu’il vit.

Les parents insécures seront eux plus en difficulté, pouvant pour les insécures-évitants minimiser les manifestations de l’enfant jusqu’à nier la douleur, pouvant même laisser l’enfant seul avec les soignants.

Les parents insécures-ambivalents au contraire, vont être envahis par leurs émotions négatives et perdront leurs capacités de mentalisation. Ils peuvent se désorganiser face à leur enfant douloureux ne parvenant pas du tout à le réconforter.

Quel que soit le style d’attachement des parents, la douleur de leur enfant – s’ils ne peuvent pas la soulager – les met en échec dans leur fonction protectrice. Cela peut être insupportable pour certains et entrainer des réactions allant du déni de la souffrance de leur enfant à la fuite, voire à la colère et l’agressivité envers les soignants.

Quand cela est réalisable et adapté, il est important dans la mesure du possible de faciliter au maximum cette proximité physique parents-enfant dans toutes les situations où l’enfant ressent de la douleur. Les différents traitements en seront d’autant plus efficaces.

2-3 – Et chez les soignants ?

Le style d’attachement qui s’est construit dans l’enfance du soignant va donc influencer sa connexion à ses émotions négatives, la façon dont il va se représenter ce que vit un enfant douloureux et par ce biais sa fonction de caregiving. Cela va venir « colorer » sa capacité à utiliser ses connaissances académiques.

Ce caregiving est une des dimensions du fonctionnement psychique sollicitée par la profession de soignant, puisque tout soignant est face à des personnes, des enfants pour ceux du monde de la pédiatrie, en situation de vulnérabilité de part leur maladie et parfois douloureux. Là aussi, avoir un attachement sécure va permettre un accès plus simple à des représentations laissant accès à une capacité de mentalisation, donc de réflexion opérante.

Conclusion

La théorie de l’attachement apporte face à la douleur une grille de lecture de l’expression émotionnelle et comportementale des enfants et de la capacité de leurs parents à y répondre. Mais aussi de l’influence chez les soignants de leur style d’attachement sur leur cognition face à la douleur d’un patient. Ceci peut ouvrir des pistes de réflexion à la fois sur l’analyse de l’expression de la douleur, mais aussi de sa prise en charge.

Bibliographie :
• Ainsworth, M. (1979). Infant-Mother attachment. American Psychology, 34(10) :932-7
• Ainsworth, M. (1991). Attachment and other affectional bonds across the life cycle. In C. Parkes, J. Stevenson-Hinde, & P. Marris (Eds.), Attachment across the life cycle (pp. 33–51). New York: Routledge
• Bowlby, J. (1973). Attachment and Loss, T2. Separation. New York: Basic Books. (trad. français B. de Panafieu. La séparation. Angoisse et colère, Paris : PUF, 1978)
• Bowlby, J. (1969/1982). Attachment and loss, T1. Attachment. New York: Basic Books. (trad. franç J. Kalmanovitch, L’attachement. Paris: PUF, 1978)
• Fonagy P.: Attachment theory and psychoanalysis, Other Press, New York, 2001
• Freud S. (1915) : Pulsions et destin des pulsions. In Métapsychologie, Paris, Gallimard,1988
• George, C., & Solomon, J. (1999). Attachment and caregiving: The caregiving behavioral system. In J. Cassidy & P. R. Shaver (Eds.), Handbook of attachment: Theory, research, and clinical applications (pp. 649–670). The Guilford Press
• Sroufe, A., Waters, E.: « Attachment as an organizational construct », Child Development, 1977; 48: 1184-1199

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MÀJ mars 2023