Françoise Billot – Puéricultrice cadre clinicienne
Service d’onco-hématologie – Hôpital d’enfants – Nancy

La formation du personnel soignant comprend deux types d’approches que sont l’apport de connaissance, indispensable à une bonne compréhension du phénomène douleur, et la réflexion sur soi-même et sur sa pratique soignante. En dehors des aspects que je vais énoncer, la formation comporte aussi des connaissances plus techniques qui vont de la prise en charge médicamenteuse aux différents types de douleur, en passant par la législation et l’utilisation de grilles d’évaluation de la douleur. Mais cet apport de connaissances est loin de suffire et apporte peu de changement dans la prise en charge réelle au quotidien de la douleur si elle n’est pas couplée à toute une démarche de réflexion et d’appropriation des possibilités d’agir sur un plan individuel. 

1ère ETAPE : APPORT DE CONNAISSANCES
Il est utile dans un premier temps d’apporter des éléments d’explication sur la physiologie de la douleur, c’est à dire sur la transmission du message douloureux, les différents facteurs environnementaux ou internes qui vont moduler la perception du message et les réponses neuro-biologiques du système nerveux central pour atténuer cette perception. Toutes les recherches actuelles en neuro-psycho-immunologie montrent bien l’interaction permanente et indissociable du psychisme, des émotions et du corps. Dans les systèmes internes de réponse à la douleur, la théorie du Gate Control permet de mieux comprendre le rôle physiologique qu’ont certaines techniques comme le massage, l’utilisation de chaleur ou de fraîcheur, etc. 

2ème ETAPE : REFLEXION SUR SOI
Une fois ces connaissances données, la deuxième étape consiste à faire réfléchir les soignantes sur : qu’est-ce que sont pour elles la douleur et la souffrance ? Quelles sont les douleurs attendues et surtout les filtres perceptifs qui font qu’une pathologie ou même une intervention nous semble à nous soignant, plus douloureuse ou moins douloureuse alors que la réalité est tout autre ? Il en est de même pour l’image qu’on se fait d’un malade ou des soins eux-mêmes. Si par exemple pour nous, un malade est quelqu’un qui ne bouge pas et qui est alité, nous passerons à côté de positions antalgiques ou de douleurs chroniques intenses. Beaucoup de traitements ont été utilisés, et c’est une bonne chose, pour atténuer la douleur d’une ponction lombaire qui nous semble à nous très douloureuse, mais des soins comme les aspirations trachéales qui ne nous semblent pas être agressifs provoquent en fait beaucoup d’inconfort, d’angoisse et de douleur et ont peu attiré notre attention jusqu’à maintenant. De même, pendant très longtemps, les manifestations de mal être qu’exprimait l’enfant, ont longtemps été reliées à une absence des parents, une séparation, alors qu’elles s’avèrent être des signes incontestables de douleur. 

Ces étapes de réflexion permettent également de repérer les dénis, les craintes comme les peurs vis à vis de certains traitements, de leur utilisation, d’une dépendance possible ou les croyances telles que “les bébés ne mémorisent pas la douleur”, “on s’endurcit au contact de douleurs répétitives”…etc. Ces craintes et croyances freinent une prise en charge efficace de la douleur et parasitent sournoisement la mise en place du traitement et son application si elles ne sont pas dépistées, exprimées, dédramatisées. Ces réflexions vont nécessiter à certains moments des compléments d’information sur la mémorisation en place dès le plus jeune âge, sur les traitements, leur mode d’action ou sur les signes de douleur chronique majeure au travers de vidéos montrant des enfants calmes, ne pleurant pas mais très douloureux. En plus des à priori que les soignantes peuvent avoir vis à vis de certains traitements, il est important que celles-ci prennent conscience de leur manière de fonctionner vis à vis de la douleur. Par exemple : “attendent-elles que la douleur soit bien présente ou donnent-elles un antalgique dès les premiers signes ?”. Dans ces prises de conscience successives, il est souvent nécessaire de déculpabiliser vis à vis des dénis qui ont existé ou sur le fait d’être “passé à côté” jusque là, en expliquant que toute prise en charge de la douleur nécessite d’avoir été formé et d’avoir eu certains apports de connaissances pour réajuster certaines idées ou principes reçus culturellement dans l’enfance.

3ème ETAPE : PLACE DE L’ENVIRONNEMENT
Pour bien appréhender l’importance des différents facteurs intervenant sur la perception de la douleur quelle que soit la cause, quelle que soit la lésion, il est nécessaire de bien les rapporter à ce qui se passe physiologiquement dans le corps et de les citer de la façon la plus complète possible. Ces facteurs comprennent aussi bien l’histoire familiale, des événements antérieurs, la culture religieuse, que l’environnement matériel, l’installation dans le lit, le confort, si le malade est attaché ou non. Les plus importants sont l’environnement humain comme la présence des parents, l’attitude des soignants, leurs réponses aux différents besoins, les projets de vie à court ou long terme et surtout l’état de stress du patient, son sentiment de solitude, ses angoisses, ses peurs, son sentiment de culpabilité, que la cause soit réelle ou non, tous ces éléments augmentent considérablement le vécu douloureux.

Pour aborder la prise en charge de la douleur, il est donc nécessaire de prendre en compte ces différents facteurs et d’y travailler pour atténuer la perception douloureuse. Dès les premiers soins, dès le premier contact, la probabilité d’un vécu douloureux doit être prise en compte et nécessite qu’on anticipe par un moyen médicamenteux ou autre, pour minimiser le vécu de ces premiers impacts, car la mémorisation existe dès le plus jeune âge de l’enfant et les différents vécus douloureux s’ajoutent les uns aux autres, intensifiant les suivants.

4ème ETAPE : ROLE DU SOIGNANT
Tout à l’heure, j’ai parlé de l’importance de l’attitude du soignant dans le vécu douloureux, il est indispensable de l’évoquer et d’expliquer ce qu’est l’effet placebo d’un traitement, d’un soin mais surtout de celui dû au soignant lui-même, s’il prend en compte la douleur ou s’il la nie, s’il est rassurant ou non, s’il répond correctement aux besoins de la personne tels que le besoin de sécurité, de reconnaissance, de compréhension, d’écoute.

Toutes les expériences de ces dernières années tendent à démontrer que l’effet placebo est en grande partie induit par le soignant directement ou indirectement selon les réponses qu’il offre face à un phénomène de stress selon ses convictions, son optimisme, son pouvoir de suggestion, la qualité de sa relation avec la personne soignée et la confiance qui en émane. Cette mise en confiance est extrêmement importante pour le ressenti lors des soins et les hospitalisations suivantes. C’est au travers de l’écoute active que la soignante permet à l’enfant d’exprimer ou d’extérioriser ses émotions, son ressenti sur un mode verbal ou autre comme l’écriture ou le dessin. Il est important que les soignantes comprennent que toute sensation, toute émotion est atténuée dès l’instant où elle est exprimée. Cela peut passer par exemple par permettre à l’enfant de crier ou d’évoquer certaines peurs, certaines colères. Ce dialogue permet aussi d’ajuster, d’adapter les informations qui lui sont nécessaires. Souvent la personne a plus besoin d’être écoutée que d’avoir un nombre important d’informations. Dans le cadre de cette relation verbale, la soignante est amenée à prendre conscience du peu de répercussion de ses propos lorsqu’elle tente de minimiser l’impact de ses gestes, des soins qui sont réalisés, qui en fait la rassure elle, mais pas l’enfant. (par exemple, lorsqu’elle dit que c’est une petite piqûre ou qu’il s’agit d’une petite intervention.) La soignante sera plus efficace en aidant l’enfant à trouver des stratégies lui permettant de garder un certain contrôle sur les situations, de rester acteur, de se sentir des compétences pour agir par lui-même sur la douleur par conséquent d’atténuer l’intensité de la douleur.

5ème ETAPE : MODIFICATIONS DANS LA DEMARCHE SOIGNANTE
La dernière étape consiste à faire réfléchir les soignants sur les soins eux-mêmes. Les antalgiques n’ont pas le pouvoir magique d’atténuer toutes les douleurs. Ils sont efficaces dans les douleurs de fond liées à la pathologie ou à l’intervention mais leur action est très relative sur les douleurs dites de mobilisation, c’est à dire celles liées aux matériaux utilisés (sondes, perfusions…) et aux gestes soignants(kinésithérapie, aspiration trachéale, toilette, ponction lombaire, pansement…). Quelle que soit la douleur, il est toujours intéressant d’associer les thérapeutiques médicamenteuses aux thérapeutiques non médicamenteuses comme le massage, la relaxation, la relation d’aide, mais aussi d’étudier la pratique soignante et d’accepter qu’elle puisse provoquer des douleurs. Dans un premier temps, cela nécessite de travailler sur l’image idéale de l’infirmière : “est-ce celle qui fait de beaux et grands pansements” ou “est-ce celle qui prend le temps et qui est attentive à faire le moins mal possible ?” Toute la démarche soignante va être recentrée sur les besoins du patient, sur ses possibilités, sur son vécu, sur ce qui est le mieux pour lui et le moins douloureux et non sur les habitudes, l’organisation des soignantes ou des médecins. L’amélioration de la prise en charge de la douleur, va donc nécessiter de repenser tous les gestes soignants, les matériaux utilisés, les habitudes de service. Chaque soin est étudié, remis en cause dans son utilité, son opportunité et son côté systématique. Pour conduire les soignants à se mobiliser au quotidien dans leur service, il est intéressant de les faire travailler avec l’aide d’une méthodologie sur un projet individuel concret d’amélioration de prise en charge de la douleur avant de rejoindre et d’intégrer un projet plus collectif de service. Il est important que chacun se sente des compétences à réduire l’impact douloureux d’un soin et à parfois faire preuve de créativité pour trouver des solutions.

Les soignants doivent progressivement apprendre à associer des thérapeutiques ou techniques nouvelles à d’autres approches. Suivant la situation, il s’agira de l’amélioration du confort et de l’environnement, de réflexions d’équipe sur les modifications à apporter dans la façon de soigner, la disparition des moyens de contention, mais aussi l’utilisation de techniques respiratoires, de massages ou l’utilisation de jeux pour centrer l’attention de l’enfant sur un objectif particulier après l’avoir prévenu de ce qui lui sera fait comme soin (il ne s’agit pas de le prendre en traître). Par exemple on peut lui proposer de regarder ou de manipuler des jouets spécialement attrayants et inhabituels, de souffler des bulles de savon, de lui lire une histoire, de chanter une chanson, de regarder un dessin animé.

La démarche ne consiste pas à plaquer des thérapeutiques ou une approche particulière, chaque enfant étant différent et ayant un environnement et des antécédents différents, il est souvent nécessaire de rediscuter ce qui peut être apporté pour être efficace. Ce que dit l’enfant ou sa famille est très important ; ils savent mieux que nous ce qui est bon pour eux et ce qui leur est adapté. Il suffit de les écouter et de les croire. Il n’y a pas une technique ou un traitement infaillible mais souvent l’association de plusieurs techniques médicales ou autres qui conviennent mieux à l’un ou à l’autre. Pour ne prendre qu’un exemple, dans le cas de ponction lombaire ou de myélogramme, il est proposé Emla® et Meopa® ou Emla® et Hypnovel® ou Emla®, Nubain® et de la relaxation.

EN CONCLUSION
Les modifications à apporter à la pratique soignante nécessitent de passer par des projets individuels à petite échelle pour s’intégrer ensuite dans des projets d’équipes, à l’aide d’une démarche méthodologique partant de la réalité avec ses freins matériels et humains et ses ressources, pour aboutir à des objectifs très concrets et précis en terme d’actions à développer et de moyens. La douleur étant un phénomène complexe, la prise en charge de celle-ci n’est complète que si les traitements médicamenteux sont associés à d’autres démarches adaptées à la spécificité de chaque enfant et à la situation. La mise en place de ce type de démarche permet souvent d’avoir un autre regard sur l’enfant et sur ce qu’il vit et enclenche souvent chez le soignant une prise de conscience de sa place, de son rôle possible dans cette prise en charge.

BIBLIOGRAPHIE

Association ATDE/PEDIADOL : cd-rom “La douleur de l’enfant, la reconnaître, l’évaluer, la traiter”, Paris 2000.