La douleur constitue le problème le plus redouté des enfants atteints de cancer (un enfant sur 600 avant l’âge de 15 ans [1]) et mérite donc une attention particulière. Sachant les effets physiologiques et psychologiques négatifs engendrés par la douleur, sa prise en charge joue un rôle important dans le traitement des patients atteints d’une maladie oncologique [2]. Le parcours d’un enfant atteint de cancer est caractérisé par une succession de phases pénibles, ayant chacune sa dimension douloureuse et altérant sa qualité de vie [3].
Bien que les essais cliniques en oncologie pédiatrique se soient habituellement plutôt concentrés sur la survie ou la toxicité, un intérêt émerge vers la mesure de résultats traduisant l’impact des traitements sur les patients et les familles. Cet intérêt est dû à la fois à la progression de survie des enfants atteints de cancer, et au consensus visant à améliorer la qualité de vie [4].
Les premières études épidémiologiques en oncologie/hématologie sur la douleur de l’enfant datent des années 1980 [5] et les plus récentes reposent sur de faibles effectifs.

Origines de la douleur


La douleur est de loin le 1er motif de découverte d’une tumeur osseuse et représente le motif de 1re consultation dans 70 % des cas. Lors de la prise en charge d’un cancer pédiatrique, 60 % des enfants ont déjà connu une douleur et 50 % d’entre eux ont été alités à cause de cette douleur [3].
La douleur des enfants atteints de cancer est due [2] :

  • au traitement (effets secondaires des chimio et radiothérapies) ;
  • aux gestes (ponctions, injections, perfusions, prélèvements, douleurs postopératoires) ;
  • au cancer lui-même (infiltration d’une tumeur dans divers organes ou tissus). La douleur liée à une tumeur osseuse maligne n’est pas corrélée au type de tumeur, à la localisation, au nombre ou à la taille des lésions et elle est souvent disproportionnée par rapport au degré d’envahissement [3].

 

Les deux premières causes prédominent face à la dernière [2, 3, 5, 6] : la douleur des enfants cancéreux est donc principalement iatrogène. Le traitement et les soins sont en effet incriminés dans 65 à 80 % des cas selon les études [3, 6], il est probable que la souffrance psychique globale dans laquelle se trouvent les enfants traités pour cancer tend à surestimer ces chiffres [3].
Parmi les douleurs engendrées par le traitement, les trois plus fréquemment citées sont les mucites (génératrices de douleur sévère à maximale par 88 % des patients qui en étaient affectés dans l’étude de Zernikow et al. [5]), les douleurs neuropathiques dans les jambes et les douleurs abdominales [2].
Les traitements anticancéreux sont aussi responsables de douleurs à distance [3] :

  • ces douleurs séquellaires peuvent être de nature neuropathique (polyneuropathies périphériques), survenant de façon retardée par rapport à la chimiothérapie et liées aux doses cumulées ;
  • la radiothérapie peut aussi entraîner des séquelles algogènes telles que des ostéoradionécroses, des plexites radiques ou des douleurs neuropathiques secondaires aux radiodermites ;
  • la chirurgie est elle aussi en cause. Le membre fantôme (perception du membre amputé) serait plus fréquent chez l’enfant que chez l’adulte.

 

Une étude prospective menée sur 12 mois (1995-1996) auprès de 160 enfants âgés de 10 à 18 ans suivis au service pédiatrique du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (New York) sur la prévalence des symptômes a montré que la douleur se situait en 2e position (49,1 % globalement, 80,8 % modérée à sévère et 35,9 % beaucoup à presque toujours) pour l’ensemble de la population étudiée, après l’absence d’énergie (49,7 %), et se répartissait ainsi [4] :

  • symptôme prédominant chez les enfants hospitalisés (84,4 %) et évaluée modérée à sévère par 86,6% ;
  • ressentie par 35,1 % des enfants suivis en ambulatoire, dont 75 % l’évaluaient modérée à sévère.

 

Sur 131 enfants avec tumeur, la prévalence de la douleur variait selon le type de cancer :

  • 43,8 % chez les 33 enfants atteints de leucémie ;
  • 26,9 % chez les 26 enfants atteints de lymphome ;
  • 63 % chez les 54 enfants atteints de tumeur solide ;
  • 50 % chez les 18 enfants atteints d’une tumeur du système nerveux central.

 

Intensité et durée de la douleur


Une étude menée auprès de 409 enfants souffrant de cancer dans des centres d’oncologie pédiatrique allemands [5] a rapporté une douleur dans 15, 28, 50 et 58 % des cas au moment de l’enquête, durant les 24 h, 7 jours ou 4 semaines précédents respectivement. La proportion de douleur sévère à maximale augmentait significativement. Les analyses multivariées ont détecté une relation positive significative entre un état général affecté sévèrement ou modérément, le fait d’être hospitalisé, la présence d’une comorbidité et une douleur sévère à maximale dans les 4 semaines précédant l’enquête. Une diminution sévère de l’état général et l’hospitalisation étaient également des facteurs de risque significatifs pour une douleur sévère à maximale au moment de l’interview et dans les 24 h et 7 jours la précédant. 40 % des patients ressentant de la douleur à T-28 jours se plaignaient de douleur pendant plus d’une semaine ; 6 % se plaignaient quotidiennement. La durée de douleur médiane pendant les dernières 24 h était de 2 h. Quand un épisode douloureux se produisait, sa durée médiane était de 10 min. La moitié des patients douloureux se plaignait de pics de douleur, d’épisodes de douleur irréguliers et de douleur à la mobilisation.

Évaluation de la douleur


D’après Ljungman et al. [2], la douleur des enfants est évaluée dans moins d’un cas sur deux et les parents pensent qu’ils sont mieux placés pour juger de la douleur de leur enfant que les infirmières ou les médecins, cette tendance s’accentue avec le délai qui sépare le diagnostic.
Dans l’étude de Zernikow et al. qui portait sur 409 enfants souffrant de cancer dans des centres d’oncologie pédiatrique allemands [5], seulement 5 % des patients subissant une douleur sévère à maximale durant les 4 dernières semaines ont été formellement évalués. Pour 2 %, cette évaluation était irrégulière. Même les patients très douloureux durant les dernières 24 heures étaient rarement évalués. Les échelles de visages étaient inconnues de 70 % des patients hospitalisés pour thérapie anti-néoplasique et qui souffraient de douleur sévère à maximale durant les dernières 24 heures et de leurs parents.

Prise en charge de la douleur


Le traitement de la douleur n’est hélas pas toujours optimal, et parmi les raisons en cause peuvent être isolés notamment l’anxiété des enfants, les nausées et le fait qu’ils s’attendent à avoir mal. Ces éléments tendent à être maximums au début du traitement, ce qui laisse penser que les enfants s’adaptent progressivement à leur situation. Néanmoins, une analgésie inadaptée au départ aura tendance à réduire l’efficacité d’une analgésie adaptée ultérieure [2].
D’après Ljungman et al., la moitié environ des enfants et des parents considère que la douleur ne peut être prévenue dans le cancer et certains n’osent pas demander de l’aide parce qu’ils pensent que dans leur pathologie la douleur est naturelle ou inévitable [2].
Les données épidémiologiques disponibles à l’heure actuelle concernent exclusivement la prévention de la douleur liée aux soins. Dans l’étude de Ljungman et al. [2], une crème anesthésiante était presque systématiquement utilisée avant les injections IV, IM et SC. L’anesthésie générale était pratiquée avant ponction lombaire de façon très hétérogène (dans 24 à 70 % des cas), et presque toujours avant ponction/biopsie de moelle osseuse.

Références


[1] Auvrignon-Decubber A. L’enfant et le cancer à l’approche de l’an 2000. Soins Pédiatrie Puériculture Juillet/août 1999 ; 189 : 4-6.
[2] Ljungman G et al. Pain variation during cancer in children : a descriptive survey. Pediatr Hematol Oncol 2000 ; 17 : 211-21.
[3] Marec-Bérard P et al. Douleurs et tumeurs osseuses malignes de l’enfant et de l’adolescent. Arch Pédiatr 2005 ; 12 : 191-8.
[4] Collins JJ et al. The Measurement of Symptoms in Children with Cancer. J Pain Symptom Manage 2000 ; 19 : 363-73.
[5] Zernikow B et al. Pain in pediatric oncology. Eur J Pain 2005 ; 9 : 395-406.
[6] Ljungman G et al. Pain in paediatric oncology : interviews with children, adolescents and their parents. Acta Paediatr 1999 ; 88 : 623-30.