Groupe Infirmier Pédiadol :
N. AMAS – O. ANDRITSAKIS – F. BILLOT – N. FIEZ – E. GÖTZ
N. KEUTGEN – Y. LEDOUX – S. TYZIO
 






I – INTRODUCTION
Une enquête réalisée en 1998 par l’A.D.A.P. (Association pour le Développement de l’Analgésie Pédiatrique) et financée par la D.G.S. (Direction Générale de la Santé), sur la prise en charge de la douleur de l’enfant dans 91 services de pédiatrie, mettait en évidence l’hétérogénéité de la prise en charge notamment par rapport à l’utilisation des échelles d’éva-luation.
Le rapport mentionne que les scores comportementaux d’hétéro-évaluation sont encore peu répandus puisque seuls 15% des services les utilisent. Pour l’enfant de plus de 6 ans, l’E.V.A. (Echelle Visuelle Analogique) est facilement maniable. Or l’utilisation n’est effective que dans 40% des services.
A partir de ce constat, le Groupe Infirmier Pédiadol a souhaité étudier l’impact que l’utilisation d’échelles d’évaluation (depuis plus d’un an) pouvait avoir sur la qualité de la prise en charge de la douleur. Comment les outils sont utilisés ?, en quoi ont-ils modifié les soins, la collaboration avec les médecins, la relation avec l’enfant et ses parents ?

II. – METHODOLOGIE
Le choix s’est porté sur l’utilisation de l’échelle d’hétéro-évaluation E.D.I.N (Echelle de Douleur et d’Inconfort du Nouveau-né) et l’échelle d’auto-évaluation E.V.A. (Echelle Visuelle Analogique).
Dix services utilisant E.D.I.N. et dix services utilisant E.V.A. depuis plus d’un an ont été sélectionnés avec le concours des écoles de Puériculture.
Des entretiens par un binôme du Groupe Infirmier Pédiadol ont été réalisés dans chaque service auprès d’une infirmière ancienne ayant participé si possible à la mise en place du projet, d’une infirmière récente dans le service et d’un cadre. Notre objectif était de préciser une évolution de la mise en place et de dégager des pratiques de service.
Un questionnaire a été rempli par chaque personne concernée et a été complété par les entretiens, la consultation des dossiers de soins et la documentation existant dans le service (classeurs d’articles, protocoles, bilans…).

III. – RESULTATS
Population : 10 hôpitaux
18 services dont 11 utilisent E.V.A. et 7 utilisent E.D.I.N.
55 soignants répondants (dont 18 cadres).

65% des répondants utilisaient les échelles d’évaluation de la douleur depuis plus de 3 ans.

Mise en place de l’évaluation






































Ensemble des répondants Cadres Utilisateurs E.D.I.N. Utilisateurs E.V.A.
A partir d’un projet de service 67% 88% 76% 60%
A partir d’un projet d’établissement 31% 50% 16% 43%
A partir d’un projet médicale 33% 44% 28% 36%
A partir d’une formation 33% 33% 28% 36%

Le projet de service arrive en tête du démarrage de l’évaluation de manière générale. Point de vue renforcé pour les cadres et les utilisateurs de l’E.D.I.N. La référence au projet d’établissement est plus forte chez les cadres en raison de leur implication institutionnelle.

Pour quels enfants l’évaluation avec une échelle est décidée
Seuls 34% des répondants utilisent systématiquement une échelle pour évaluer la douleur : 50% des utilisateurs de l’E.D.I.N. contre 21% des utilisateurs de l’E.V.A.

En fonction de quels paramètres







































Ensemble des répondants Utilisateurs E.D.I.N. Utilisateurs E.V.A.
S’il semble avoir mal 67% 64% 80%
Pour vérifier l’efficacité du traitement 62% 52% 73%
En fonction de la pathologie 60% 48% 76%
A l’occasion de gestes quotidiens 53% 44% 70%
A l’occasion de gestes invasifs 33% 16% 47%

Les soignants décident encore de faire de l’évaluation sur des critères subjectifs ou en fonction de la pathologie.
Actuellement les experts recommandent une systématisation de l’évaluation afin de repérer tout enfant douloureux. La douleur fait partie de la surveillance comme les autres constantes : pression artérielle, pouls, température…

Le rythme de l’évaluation
Le rythme est relativement homogène pour les 48 premières heures postopératoires.
Dans les services de médecine et au-delà des 48 premières heures postopératoires, les rythmes sont très hétérogènes entre services voire même entre infirmières. Le plus souvent, il n’existe aucune règle, aucun protocole.
En revanche, 50% des répondants disent cesser l’évaluation à partir d’un score E.V.A. inférieur à 30/100 et un score E.D.I.N. inférieur à 5/15 vérifié plusieurs fois.

Conséquences de l’évaluation sur la pratique infirmière
Les réponses globales, pour E.D.I.N. et pour E.V.A. sont sensiblement identiques. 














q Le premier bénéficiaire de l’utilisation des échelles est l’enfant, grâce à une observation plus rigoureuse et une recherche du bien-être, cités par 90% des répondants, et une limitation des gestes douloureux, citée à 56%.
q La deuxième conséquence est l’amélioration du dialogue avec les prescripteurs. L’attention portée par ceux-ci à l’information donnée par l’infirmière est constatée par 67% d’entre elles. La sollicitation d’antalgiques avant un soin douloureux est citée par 50% des personnes interviewées.
q La troisième conséquence apparaît sur l’exercice professionnel proprement dit et particulièrement sur la réadaptation des techniques (56%) et la valorisation du rôle infirmier (47%).

Selon les infirmières, la grille E.D.I.N. est un outil de négociation avec les médecins sur l’utilité des gestes invasifs et les traitements antalgiques.
Les utilisateurs de l’E.V.A. affirment que l’utilisation de l’échelle leur a permis d’objectiver la douleur.
Pour les cadres, les échelles les ont rendus sensibles au choix du matériel (aiguilles, non-tissés, sondes…)
Les soignants pensent que l’évaluation a renforcé le rôle propre de l’infirmière et la demande d’antalgique avant un soin douloureux.


Conséquences sur la prescription d’antalgiques





















Ensemble des répondants Utilisateurs E.D.I.N. Utilisateurs E.V.A.
Passage du « si besoin » au systématique 83% 100% 63%
Consultation des grilles 80% 80% 60%

Ce point semble être une préoccupation plus importante pour les utilisateurs de l’E.D.I.N., peut-être en raison de la préoccupation des acteurs de prendre en charge la douleur du nouveau-né.
Les commentaires des cadres renforcent la pratique du passage du “si besoin” au systématique.
L’argumentation de la consommation d’antalgiques a surtout été mentionnée par les cadres.

Conséquences sur la prise en charge de l’enfant



























Ensemble des répondants Utilisateurs E.D.I.N. Utilisateurs E.V.A.
Observation plus fine de la douleur 87% 90% 92%
Amélioration de la relation 80% 76% 86%
Croire en l’expression des manifestations douloureuses 80% 76% 86%

Les répondants expriment à plus de 80% mieux observer la douleur, avoir une meilleure relation avec l’enfant et croire dans l’expression des manifestations douloureuses.
Dans les commentaires relevés au cours de l’entretien, nous avons repéré quelques phrases significatives : 









l Pour E.D.I.N. : – “On ne passe plus à côté d’un enfant qui grimace” 
– “On aborde l’enfant de manière différente” 
– “On évite le déni de la douleur” 
– “L’échelle fait parler la douleur”.
l Pour E.D.I.N. : – Nécessité d’expliquer l’échelle et ses modalités d’utilisation.
  
Ce point est moins investi par les cadres (2/18) que les conséquences sur la pratique infirmière et la prescription d’antalgiques = 50%.

Conséquence sur la relation avec les parents



























Ensemble des répondants Utilisateurs E.D.I.N. Utilisateurs E.V.A.
Amélioration de la relation 80% 90% 76%
Prise en compte par l’infirmière du point de vue des parents 67% 56% 76%
Prise en compte par les parents de l’existence de la douleur 54% 76% 76%

Les utilisateurs de l’E.D.I.N. ont des avis très différents quant à la verbalisation par les parents de la douleur de leur enfant.
Les soignants sont aussi très partagés sur l’attitude à adopter : faut-il parler de la douleur aux parents d’emblée ou attendre les questions. Que dire ?
Ce constat nous amène aux hypothèses suivantes (pour EDIN) :
En ce qui concerne les parents :


  • Le pronostic vital les empêche-t-il d’évoquer la douleur ?

  • N’osent-ils pas encore investir leur enfant ?

  • Ignorent-ils que les “petits” puissent souffrir ?

  • Ne connaissent-ils pas encore leur propre enfant ?

  • Existe-t-il un déni de la douleur ?
En ce qui concerne les soignants :

  • Les soignants souhaitent-ils préserver les parents ?

  • Craignent-ils une atteinte de leur image idéale de soignants ?
Une réflexion paraît nécessaire quant à la place des parents dans l’information et la participation à la prise en charge de la douleur.
Pour les utilisateurs de l’E.V.A. les commentaires sont plus positifs et l’échelle a permis d’instaurer un partenariat sur l’évaluation avec les parents. Les parents sont sollicités pour donner leur point de vue sur la cotation.

Difficultés rencontrées lors de l’utilisation de l’outil
En général les échelles n’ont pas été modifiées mais les infirmières constatent l’inadéquation de l’outil à certaines situations : par exemple, grand prématuré pour E.D.I.N.
Le but, les principes d’utilisation et l’intérêt de l’outil ne sont pas toujours connus ce qui entraîne une variabilité des résultats.

IV. – OBSERVATION DES ENQUETEURS
Dans la majorité des cas, nous avons été très bien accueillis. Notre venue était préparée, les interviewés ont manifesté un intérêt pour l’étude et les documents des services ont été mis à notre disposition et expliqués.
Dans les services ou l’utilisation des grilles est supérieure à 3 ans, nous avons retrouvé certaines constantes :


  • La mise en place de l’évaluation à partir d’un projet de service ou d’établissement

  • Un pilotage du projet par le cadre ou le chef de service

  • Une appropriation de l’outil par l’ensemble de l’équipe

  • Un partenariat entre l’équipe médicale et l’équipe soignante.
Nous avons rencontré des services connus pour une mise en place ancienne de la prise en charge de la douleur mais où le départ d’un “pilier” médical ou soignant du projet ou bien un renouvellement important de l’équipe ont entraîné un abandon du projet et rapidement une perte de savoir-faire. Nous avons pu constater que là où la pratique de l’évaluation de la douleur est effective, elle se situe dans un contexte global de prise en charge de l’enfant (confort, accueil et information des familles). Elle induit aussi une réflexion sur la réanimation, sa durée, les gestes indispensables et ceux qui peuvent attendre, la possibilité de laisser l’enfant se reposer. La consultation des documents nous a démontré la recherche effectuée pour rendre l’information disponible à un maximum d’acteurs. Nous avons pu constater la réactivité entre score d’évaluation et prescription.
Les services possèdent une documentation très variée sur la prise en charge de la douleur : articles, études, compte-rendus de cours et conférences.
La principale carence que nous avons constatée est l’absence de règles écrites et de protocoles.

V. – DIFFICULTES RENCONTREES LORS DE LA REALISATION DE L’ENQUETE
L’enquête a été réalisée par 8 interviewers et bien que la démarche d’entretien ait été formalisée, des différences d’approche ont été constatées.
Le manque de disponibilité de certains interviewés n’a pas toujours permis de reconsidérer ensemble la cohérence d’une manière de procéder dans le service.

VI. – CONCLUSION
Cette enquête nous a permis d’esquisser le tableau de l’impact de l’utilisation d’échelles d’évaluation de la douleur sur l’exercice infirmier.
Nous avons constaté que, bien que la pratique de l’évaluation soit toujours initiée par une volonté collective (projet de service ou projet d’établissement), toutes les équipes ne disposent pas de règles d’utilisation, ou de protocoles ce qui retentit sur l’assurance d’une qualité de prise en charge continue pour tous les enfants concernés.
Les utilisateurs de l’E.D.I.N. paraissent assez à l’aise avec l’outil qui leur a permis d’améliorer le bien-être de l’enfant, la limitation des gestes douloureux et la collaboration avec les médecins.
Les utilisateurs de l’E.V.A. expriment davantage de doutes quant à la valeur des réponses, ce qui renvoie à l’attitude fréquente de scepticisme des soignants à l’égard de l’auto-évaluation ou à l’imprécision des consignes données à l’enfant pour qu’il côte la douleur et non autre chose (angoisse, qualité de prise en charge…).
La rencontre avec les différentes équipes nous permet d’affirmer que l’utilisation des échelles renforce l’objectivation de la douleur et la lisibilité des avancées obtenues mais aussi des étapes à retravailler.