Un problème d’actualité en post-opératoire : la douleur persiste des semaines voire des mois. Quels sont les risques de développer une douleur chronique, par exemple après la chirurgie de scoliose ? Comment les repérer pour mieux prévenir cette chronicisation ?

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La douleur chronique postopératoire (DCPO) chez l’enfant ou l’adolescent reçoit une attention croissante. Les chirurgies les plus pourvoyeuses de douleur chronique chez l’enfant sont la chirurgie de scoliose et de pectus excavatus et la chirurgie thoracique principalement cardiaque. Les facteurs de risque ont été bien identifiés par plusieurs études : présence d’une douleur préopératoire, sévérité de la douleur postopératoire immédiate, anxiété, catastrophisme… et justifient une prévention ou au moins la systématisation d’une surveillance.

Une nouvelle étude américaine a inclus les 1744 jeunes d’une cohorte historique multicentrique incluant des enfants et adolescents de 10 à 18 ans présentant une scoliose idiopathique et ayant eu une intervention chirurgicale de correction avec un suivi minimum de 2 ans. Les données du registre, à 6 semaines, 6 mois, 12 mois et 24 mois de la chirurgie, ont été analysées, avec les résultats du score SRS (score de qualité de vie chez les patients présentant une scoliose, comprenant 5 items : activité/fonction ; douleur ; image de soi ; santé mentale ; satisfaction de la prise en charge). Parmi les 215 patients (12 % de la cohorte) présentant des rachialgies persistantes, 44 (2 %) ont eu un score SRS ≤ 3 (indiquant l’existence de douleurs chroniques importantes et invalidantes). Les variables statistiquement significatives associées à la persistance des douleurs comprenaient le score de douleur SRS préopératoire (p <0,001), le degré de cyphose jonctionnelle préopératoire (p = 0,003), le sexe féminin (p = 0,049), l’angulation T10-L2 (correspondant à la charnière dorso-lombaire) à 2 ans (p = 0,047) et la lordose lombaire à 2 ans (p = 0,017).

Preoperative SRS pain score is the primary predictor of postoperative pain after surgery for adolescent idiopathic scoliosis: an observational retrospective study of pain outcomes from a registry of 1744 patients with a mean follow-up of 3.4 years. Hwang SW, and al. Eur Spine J. 2020 Apr;29(4):754-760.

Commentaire Pédiadol 

On sait que la prévalence de la douleur chronique suivant une chirurgie 3 mois à 1 an plus tard atteint 11 à 53 % selon les situations, et concerne principalement la chirurgie orthopédique lourde (rachis, Nuss…) et la chirurgie thoracique ou cardiaque. Les facteurs de risque sont bien identifiés : présence d’une douleur préopératoire, sévérité de la douleur postopératoire immédiate, anxiété, catastrophisme… et justifient une prévention ou au moins la systématisation d’une surveillance de l’évolution de la douleur postopératoire les premières semaines, au cours du parcours de soin.

En préopératoire d’une chirurgie de scoliose, il est donc recommandé de détecter un risque élevé de persistance de la douleur après la chirurgie, par une évaluation préopératoire de facteurs somatiques et psychologiques, afin si nécessaire de mettre précocement en place une prise en charge globale selon le modèle bio-psycho-social comme il est proposé dans les centres de la douleur.

Conditions de survenue de douleur chronique postopératoire

Deux récentes études canadiennes identifient de façon très précise, prospective, les trajectoires des enfants opérés.

. Dans l’étude de Rosenbloom, les objectifs étaient d’identifier : (1) l’incidence de la DCPO à 6 et 12 mois après une chirurgie orthopédique ou générale lourde en pédiatrie ; (2) l’intensité de la douleur et les trajectoires des désagréments associés à la douleur avant et jusqu’à 12 mois après la chirurgie ; (3) les facteurs psychosociaux et démographiques préopératoires qui prédisent l’appartenance à un groupe de trajectoires de la douleur ; et (4) les facteurs prédictifs d’incapacité fonctionnelle à 12 mois après avoir contrôlé l’incapacité fonctionnelle préopératoire. Les auteurs ont relevé entre 2011 et 2015, les données des enfants opérés de chirurgie lourde (pour 50 % chirurgie de scoliose par arthrodèse) : données démographiques, de consommation d’antalgiques, d’intensité de la douleur, d’activité physique, du seuil de douleur à la pression (algométrie), et nombreux questionnaires d’anxiété, de catastrophisme, de dépression, d’incapacité fonctionnelle, de retentissement de la douleur à différents temps : en préopératoire, en postopératoire immédiat, à 6 mois et à 1 an de la chirurgie.

265 enfants ont été inclus (âge moyen 14 ans, 58 % de filles). 63 % avaient déjà eu une chirurgie et 61 % souffraient déjà de douleurs chroniques (douleurs modérées à sévères : 44 % sur le site opératoire avant la chirurgie), 23 % avaient déjà une incapacité fonctionnelle modérée à sévère en préopératoire, 8 % avaient déjà une consommation d’antalgiques.

A 6 mois, 35,5 % des enfants présentaient une douleur modérée à sévère (³ 4/10), (dont 7,5 % sans douleur en préopératoire) ; 11,9 % des enfants qui avaient des douleurs préopératoires n’en n’avaient plus.

A 12 mois, 38,7 % avaient des douleurs modérées à sévères, (dont 9,2 % sans douleur en préopératoire). 9,2 % des enfants qui avaient des douleurs en préopératoire n’en n’avaient plus.

32,7 % et 29,3 % des enfants présentaient une incapacité fonctionnelle modérée à grave respectivement à 6 et 12 mois.

1,3 % des enfants utilisaient des antalgiques opioïdes avant la chirurgie ; à 6 mois, ils étaient 3,7 % et à 1 an 4 %. 2,5 % des enfants utilisaient du paracétamol ou des AINS avant la chirurgie ; à 6 mois postopératoire ils étaient 27 % et à 1 an 27 %.

 

Deux trajectoires d’intensité de la douleur et de l’aspect désagréable de la douleur ont été identifiées. La 1ère (n = 136 patients) était constituée d’enfants qui commençaient avec une douleur d’intensité légère, qui restait légère à l’hôpital, puis à 6 et 12 mois. La 2ème (n = 123) était constituée d’enfants qui ont commencé avec une douleur d’intensité modérée à sévère et qui ont continué à souffrir de douleurs modérées à sévères après la chirurgie. En analyse multivariée, les deux facteurs prédictifs d’appartenance à la 2ème trajectoire d’intensité de la douleur (douleur modérée à sévère qui persiste) étaient une incapacité fonctionnelle plus importante avant l’opération et la consommation cumulée d’opioïdes en milieu hospitalier pendant 5 jours. L’étude détaille les liens entre douleur, incapacité fonctionnelle et aspect désagréable de la douleur sur 12 mois.

 

. Dans l’étude prospective de Ocay à Montréal, 106 jeunes (âge moyen 15 ans) opérés de scoliose ont été suivis, en préopératoire (7 à 10 jours avant la chirurgie), en postopératoire immédiat (1 à 120 heures après la sortie du bloc, en moyenne 6 heures) et 6 mois après. Ont été relevés avec des questionnaires validés : le catastrophisme parental, l’intensité et le retentissement de la douleur à l’aide du questionnaire SRS-30[1], la douleur aiguë postopératoire (toutes les heures par échelle numérique). 25 % étaient considérés comme « catastrophistes ». Dans les 6 mois précédant la chirurgie, 9 % n’avaient pas de douleurs, 32 % avaient une douleur légère, 59 % avaient une douleur modérée à sévère. La modélisation a identifié 4 trajectoires de douleur, selon que la douleur postopératoire immédiate était faible ou modérée, restant constante pendant l’hospitalisation, ou augmentant. L’utilisation d’analgésiques en préopératoire et le statut de « catastrophiste » étaient des prédicteurs importants de l’appartenance à la trajectoire de douleur plus importante.

 

76/106 ont eu un suivi à 6 mois. Il est observé une association significative entre l’appartenance à une trajectoire de douleur postopératoire immédiate modérée et l’intensité de la douleur au cours des six derniers mois, l’intensité de la douleur au cours du dernier mois, la présence de douleurs dorsales au repos, l’usage d’antalgiques et le nombre de jours d’école ou de travail manqués en raison de douleurs dorsales au cours des trois derniers mois. En conclusion, le statut de « catastrophiste » et l’utilisation d’antalgiques en préopératoire prédisent une appartenance à une trajectoire de la douleur postopératoire aiguë plus péjorative, et une douleur d’intensité modérée à sévère pendant la période postopératoire aiguë prédit des résultats négatifs à long terme.

. Pediatric Chronic Postsurgical Pain And Functional Disability: A Prospective Study Of Risk Factors Up To One Year After Major Surgery. Rosenbloom BN, Pagé MG, Isaac L, Campbell F, Stinson JN, Wright JG, Katz J. J Pain Res. 2019 Nov 12;12:3079-3098.

. Predicting Acute Postoperative Pain Trajectories and Long-Term Outcomes of Adolescents after Spinal Fusion Surgery. Ocay DD, Li MMJ, Ingelmo P, Ouellet JA, Pagé MG, Ferland CE. Pain Res Manag. 2020 Feb 24;2020:9874739.

Commentaire Pédiadol 

Ces études très fouillées soulignent l’importance des interventions à réaliser en préopératoire, sur l’incapacité fonctionnelle et les facteurs psychologiques, afin d’identifier les patients à risque de DCPO et d’incapacité à long terme. Une attention particulière aux jeunes opérés qui ont une douleur importante est nécessaire.

 

[1] Scoliosis Research-Society-30, avec une évaluation spécifique de 6 questions : 1/ Douleur ressentie dans les 6 derniers mois, 2/ Douleur ressentie le dernier mois, 3/ Douleur ressentie au repos, 4/ Niveau actuel d’activité, 5/ Jours d’absences à l’école ou au travail en lien avec la douleur dorsale au cours des 3 derniers mois 6/ Usage d’antalgiques : aucun, non-opioïdes ou opioïdes.