Utiliser les mots justes avec un enfant douloureux
Kutttner L. L’enfant et sa douleur, identifier, comprendre, soulager. Paris : Dunod ; 2011
Thibaut P. Douleur de l’enfant, utiliser les mots justes. Soins Péd Puér 2012 ; 266 : 33-5

Des conseils pour choisir les mots adéquats sont donnés dans le livre récent de Leora Kuttner et dans un article français : il est recommandé de garder une attitude calme, d’expliquer à l’enfant ce qui se passe en adaptant son vocabulaire au développement de l’enfant, de reconnaître l’existence de la douleur (et de ne pas la nier), de ne pas suggérer des pleurs mais de manifester son accord si l’enfant pleure, d’informer avant le soin sur les moyens de prévenir la douleur (au lieu d’annoncer uniquement la douleur en disant « je vais te piquer »), de ne pas s’excuser, d’expliquer le déroulé avec la distraction proposée, et de toujours laisser de l’espoir (ne pas dire « on n’y peut rien »).

Une phrase quotidienne peut blesser les patients : l’influence des mots négatifs sur la douleur lors des ponctions veineuses
Ott J, Aust S, Nouri K, Promberger R.
An everyday phrase may harm your patients : the influence of negative words on pain during venous blood sampling
Clin J Pain 2012 ; 28 (4) : 324-8

Étude réalisée chez l’adulte ; chez l’enfant, le poids des mots nous semble ne pouvoir être que plus important ! L’objectif était de comparer l’effet de l’annonce de deux phrases standardisées prononcées juste avant un prélèvement sanguin sur : les scores de douleur, la fréquence cardiaque et la pression artérielle. Les deux phrases visaient à attirer l’attention du patient sur le geste pour éviter un effet distraction et bien comparer le poids des mots : à un groupe de patients était énoncé : « ça va piquer » et à l’autre « attention, je vais commencer ». Si le prélèvement était un échec, le patient était exclu. La fréquence cardiaque et la pression artérielle étaient mesurées juste avant et juste après le geste. Les patients notaient leur douleur par une échelle numérique de 0 à 10 (la pire douleur imaginable).
Résultats : 100 patients de 19 à 35 ans (50 % de femmes) ont été inclus et 98 ont complété l’étude (2 échecs de prélèvements). La douleur moyenne rapportée a été de 2,7 ± 1,2 dans le groupe « pique » et de 1,6 ± 1,1 dans le groupe « attention », soit une réduction de 40,7 %. Dans le groupe « attention », 58 % ont noté un score < 1/10, pour seulement 4,2 % dans le groupe « pique ». Aucune différence significative n’a été montrée pour les variables cardiaques. Les auteurs concluent à l’importance des mots utilisés, même si les scores de douleur sont globalement bas dans les deux groupes.

Quand « Ne t’inquiète pas » communique de la peur : Les perceptions des enfants sur les comportements de réassurance et de distraction des parents au cours d’un soin douloureux
McMurtry CM, Chambers CT, McGrath PJ, Asp E.
When « don’t worry » communicates fear: Children’s perceptions of parental reassurance and distraction during a painful medical procedure
Pain 2010 ; 150 (1) : 52-8

L’étude des effets de la présence des parents lors des soins douloureux de leur enfant a montré que les stratégies de réassurance, comme le fait de lui dire que tout ira bien, pouvaient être associées à une augmentation de l’inquiétude de l’enfant et à une aggravation des signes de détresse. À l’inverse, la distraction entraînait une augmentation des comportements adaptés de l’enfant lors de ce soin. Ces observations sur la réassurance, sans que nous sachions en expliquer les causes, vont à l’encontre de ce que l’on pourrait naturellement penser. Une des raisons pourrait être que lorsque le parent utilise des paroles rassurantes cela serait en fait pour masquer sa propre peur. C’est ainsi, qu’au-delà des paroles qui se voudraient rassurantes, le parent communiquerait sa peur à l’enfant par l’intermédiaire de différents canaux de communication comme l’expression de son visage, le ton de sa voix et le contenu de son message.
L’objectif de cette étude a donc été de valider cette hypothèse en examinant la perception de l’émotion parentale par l’enfant lorsque ce parent avait une attitude de réassurance ou une attitude de distraction au cours de la ponction veineuse de son enfant.
Pour cette recherche, 100 patients (40 garçons, 60 filles) âgés de 5 à 10 ans ont été recrutés au sein d’un centre pédiatrique alors qu’ils attendaient pour une ponction veineuse. Un des parents accompagnant l’enfant participait à cette recherche (86 mères, 14 pères).
Plusieurs échelles ont été utilisées : une afin de mesurer les comportements du parent et de l’enfant lors de la ponction veineuse (CAMPIS-R), et une mesurant l’intensité de l’émotion du parent : niveau de peur ou joie du parent attribué par l’enfant sur une échelle à 4 niveaux.
La procédure se déroulait en deux temps :

  • un premier temps où l’enfant a dû reconnaître, à partir de l’enregistrement vidéo du soin qu’il avait subi, si son parent était dans une attitude de réassurance ou dans une attitude de distraction. On demandait également à l’enfant s’il pensait que le parent était plutôt heureux ou effrayé, et l’intensité de cette émotion ;
  • un second temps dédié au visionnage de séquences vidéo créées artificiellement, où l’acteur jouant un parent pendant la ponction veineuse disait des paroles soit de réassurance avec information (« c’est fait, c’est presque fini »), soit de réassurance (« tout va bien, ça va bien aller »), soit de distraction (« regarde, regarde le poisson sur le mur »), en contrôlant trois variables : l’expression faciale, le ton de la voix (montant ou descendant) et le contenu verbal (12 vignettes) ; les enfants devaient alors aussi coter le niveau de peur ou de joie du parent.

Les résultats confirment seulement partiellement cette hypothèse que l’enfant percevrait son parent comme plus anxieux lorsqu’il tente de le rassurer plutôt que lorsqu’il essaie de le distraire. Les résultats ne sont pas significatifs, mais la tendance est effectivement que les enfants attribuent des niveaux de peur plus élevés (et des niveaux de joie plus bas) aux parents qui font de la réassurance comparés à ceux qui les distraient, dans les deux situations étudiées. Pour les trois variables comportementales testées, les résultats ne fournissent que des indications partielles. Comme attendu, l’expression faciale de peur était corrélée à une évaluation plus élevée du niveau de peur attribuée au parent, de même pour la joie. Aucune différence n’a été retrouvée sur le niveau de peur du parent selon que le contenu de son message était informatif ou non informatif. Il existe en revanche des influences réciproques entre le ton de la voix, l’expression du visage et le contenu de l’énoncé ; l’expression du visage semble avoir un impact plus important que le ton de la voix.
Les auteurs concluent qu’ils ont travaillé sur des variables proximales et que d’autres variables comme le contexte du soin, l’histoire de l’enfant et la façon dont on perçoit l’enfant influencent ces comportements de réassurance ou de distraction et doivent être prises en compte.

Commentaire Pédiadol :
Cette étude confirme que les paroles de réassurance, même positives, peuvent donner à l’enfant l’idée que son parent a peur, mais d’autres études sont nécessaires pour le corroborer.

La qualité de vie d’enfants porteurs de maladies chroniques est perçue différemment par les parents et les pédiatres
Janse AJ, Uiterwaal CS, Gemke RJ, et al.
A difference in perception of quality of life in chronically ill children was
found between parents and pediatricians
J Clin Epidemiol 2005 ; 58 (5) : 495-502

Quatre centres ont participé à
cette étude entre juillet 1999 et janvier 2002. Les pathologies suivantes
ont été retenues : leucémie aiguë lymphoblastique
(LAA) nouvellement diagnostiquée, arthrite juvénile idiopathique
idiopathique, asthme (pour ces deux pathologies les enfants étaient inclus
lors de la consultation de diagnostic), mucoviscidose. L’âge d’inclusion
était de 1 à 1  ans sauf pour l’asthme où l’âge
minimal demandé était de 4 ans.
La qualité de vie a été évaluée par le questionnaire
HUI3 (Health Utility Index), un questionnaire de 42 questions rempli
par le pédiatre après la consultation, et par l’un des parents
lors d’une interview réalisée par un investigateur. Ce questionnaire
comporte 8 variables principales (des variables objectives : la vision, l’audition,
le langage, la mobilité, la dextérité, et des variables
subjectives : l’émotion, la cognition, les douleurs), notées
de « normale » à « sévèrement atteinte »,
d’après le comportement de l’enfant les 4 semaines précédentes.
Les différences de réponse entre les parents et les soignants
ont été analysées. Le groupe mucoviscidose était
considéré comme le groupe de référence parce qu’il
existe a priori moins de plaintes aiguës chez ces patients et
que les pédiatres les connaissent bien.
Résultats :

  • 279
    enfants ont été inclus, d’un âge moyen de 8 ans
    et demi (134 garçons et 145 filles), avec 47 LAA, 50 asthmes, 140 mucoviscidoses,
    43 arthrites idiopathiques juvéniles ;
  • 37
    pédiatres remplissaient le questionnaire HUI3 pour leurs patients ;
  • globalement,
    dans 66 % des cas, une différence a été retrouvée
    entre les réponses du pédiatre et celle du parent. Cette différence
    apparaissait dépendante de la maladie, avec plus de différences
    notes dans le LAA, l’asthme et l’arthrite idiopathique que dans
    la mucoviscidose ;
  • les variables subjectives ont fait l’objet de beaucoup plus de réponses
    différentes que les variables objectives. Pour l’audition, la
    vision et la dextérité, 94 à 99 % des réponses
    étaient identiques, alors que pour la mobilité, le langage et
    la cognition, le taux était à 78 % et diminuait à
    55 % pour l’humeur et 27 % pour la douleur ;
  • les
    différences étaient 8 fois plus importantes pour les enfants
    de 1 à 5 ans que pour ceux de 6 à 17 ans ;
  • plus
    les parents notaient une atteinte sévère, plus les différences
    étaient importantes entre leur réponse et celle du pédiatre,
    et ce phénomène se retrouvait sur l’item douleur ;
  • dans
    64 % des cas (178 fois) les pédiatres ont évalué
    la douleur moins élevée que les parents, ils l’ont évaluée
    comme les parents dans 75 cas (27 %) et plus forte dans 26 cas (9 %) ;
  • les
    pédiatres ont noté plus de troubles de l’humeur que les
    parents.

Commentaire des auteurs : Des
différences étaient bien sûr attendues, particulièrement
dans le domaine des variables subjectives ; mais dans d’autres études
préalables, les différences observées étaient moindres.
Dans cette étude, les différences étaient particulièrement
élevées pour l’humeur et la douleur. Une des explications
est peut-être que cette étude était réalisée
alors que le diagnostic venait d’être posé, sauf pour les
enfants atteints de mucoviscidose, les pédiatres connaissent alors peu
leurs patients.


Y a-t-il un consensus entre pédiatres au sujet de la douleur chronique inexpliquée chez l’enfant ?
Konijnenberg AY, De Graeff-Meeder ER, Kimpen JLL et al. ; the Pain of Unknown Origin in Children Study Group
Children With Unexplained Chronic Pain: Do Pediatricians Agree Regarding the Diagnostic Approach and Presumed Primary Cause?
Pediatrics 2004 ; 114 : 1220-6

Devant la douleur chronique inexpliquée d’un enfant, il y a un risque d’approches diagnostiques arbitraires. Des attitudes inappropriées et/ou appliquées au mauvais moment peuvent prolonger le handicap, causer des effets iatrogènes, favoriser une fixation sur les symptômes somatiques, et induire une surconsommation médicale. Les médecins comme les patients se sentent frustrés.
Aussi cette équipe de pédiatrie et de pédopsychiatrie de l’hôpital universitaire d’Utrecht (Pays-Bas) a étudié la démarche diagnostique de 17 pédiatres devant des cas cliniques réels de douleur chronique inexpliquée. Le but de ce travail était d’étudier l’opinion des pédiatres sur ces cas, en leur demandant de préciser la cause présumée de la douleur et l’approche diagnostique optimale.
Méthodes : Aux Pays-Bas les pédiatres travaillent exclusivement à l’hôpital. Les enfants référés pour la première fois dans l’hôpital pour douleur chronique inexpliquée durant depuis plus de 3 mois ont été recrutés de façon consécutive. Après la première visite, les enfants et leurs parents remplissaient des questionnaires standardisés connus sur : le handicap fonctionnel, la somatisation, l’évaluation de la douleur, les caractéristiques de la personnalité de l’enfant, les symptômes psychopathologiques des parents ; l’enseignant de l’enfant remplissait aussi un questionnaire sur le comportement de l’enfant à l’école. Un pédopsychiatre expérimenté avait un entretien semi-structuré avec l’enfant et avec les parents ; ainsi un diagnostic était établi selon la classification DSM-IV (classification des maladies mentales). Sur 196 enfants éligibles, 134 ont accepté d’entrer dans l’étude, les autres refusant principalement à cause de l’évaluation psychologique détaillée proposée.
Les dossiers comportant l’histoire médicale, les résultats de l’examen clinique et des examens complémentaires, les courriers et les comptes rendus ainsi que le résumé et les conclusions de l’évaluation psychologique ont été transmis à des pédiatres connus pour s’intéresser aux problèmes psychosomatiques (17 participants répartis en 3 groupes, chaque groupe recevant environ 1/3 des dossiers).
Les questions posées étaient les suivantes :
  • Rétrospectivement, quelle est d’après vous la cause première de la douleur : la classification proposée est celle du IASP (Association Internationale pour l’étude de la douleur) :
    • génétique ou congénitale
    • traumatique ou postopératoire ou après brûlure
    • infectieuse
    • inflammatoire
    • cancéreuse
    • métabolique ou toxique
    • dégénérative mécanique
    • fonctionnelle (incluant un dysfonctionnement psychophysiologique)
    • inconnue
    • psychologique (pas de mécanisme physiopathologique)
  • Rétrospectivement, si vous aviez à décider quelle est l’approche diagnostique optimale pour cet enfant, ce serait :
    • une approche diagnostique exclusivement somatique
    • une approche diagnostique combinée
    • une approche diagnostique exclusivement psychologique
    • pas d’approche diagnostique

Population : les 134 enfants avaient entre 8 et 18 ans (âge moyen 11 ans) ; 72 % étaient des filles. Cinquante-neuf enfants (44 %) souffraient de douleurs musculo-squelettiques, 40 (30 %) de douleurs abdominales, 31 (23 %) de céphalées, et 4 (3 %) d’autres douleurs. D’après l’évaluation réalisée, un diagnostic psychiatrique a été établi pour 60 % d’entre eux.
Résultats : Le consensus entre les médecins était retenu si au moins 4 des 5 médecins du groupe étaient d’accord. L’absence de consensus était retenue si 3 ou moins des 5 médecins étaient d’accord.
Concernant la cause de la douleur, le consensus entre les médecins était obtenu dans 43 % des cas. Parmi ces 58 enfants, la cause première citée était : fonctionnelle pour 72 % ; psychologique pour 17 % ; somatique (une des 6 premières causes de la liste) dans 10 % des cas. Il n’y avait pas de consensus sur la cause pour les autres enfants, c’est-à-dire plus de la moitié.
Concernant la démarche diagnostique, le consensus était atteint pour 63 % des enfants (84 enfants). Dans la majorité de ces cas (54 %, soit 72 enfants), les médecins choisissaient une approche dite combinée. L’approche somatique pure faisait consensus dans 9 % des cas (aucun cas de céphalée, 17 % des douleurs abdominales et 19 % des douleurs musculo-squelettiques). L’approche psychologique pure ne faisait jamais consensus, même dans les cas où la cause retenue était psychologique. Mais plus d’un tiers des enfants n’obtenaient pas de consensus quant à la démarche diagnostique optimale.
Discussion : On sait que lorsque les critères diagnostiques et thérapeutiques ne sont pas bien établis, le désaccord entre cliniciens augmente (ici plus de la moitié de désaccord sur la cause et plus d’un tiers de désaccord sur la conduite à tenir).
Le choix préférentiel d’une approche diagnostique combinée (à la fois somatique et psychologique) reflète probablement l’incertitude diagnostique et le souhait de ne pas mettre l’accent sur les causes somatiques, compte tenu de la certitude qu’il y a peu de chances d’en trouver. Pourtant les enfants et leurs parents adressés à l’hôpital s’attendent d’abord à une expertise dans le domaine des maladies somatiques. Mais le meilleur moment pour aborder l’investigation psychologique est probablement la première consultation avec le pédiatre. Si cette opportunité est manquée, cela peut pousser les patients qui redoutent l’évaluation psychologique à continuer la quête d’une cause organique.
Si ces patients ont une « consommation » médicale élevée, c’est peut-être parce que les pédiatres ne sont pas d’accord entre eux quant à la démarche diagnostique.

Commentaire Pédiadol :
Voilà une étude originale et passionnante. Effectivement les enfants qui nous sont adressés en consultation « douleur » ont souvent un long passé de « shopping » médical ; chaque médecin consulté a cherché à éliminer tel ou tel diagnostic de sa spécialité avant d’envisager (en désespoir de cause) d’envoyer l’enfant au « psy ». Dans ces conditions la prise en charge a peu de chance d’aboutir.
Au contraire il est recommandé dans ces situations où d’emblée on sait qu’un diagnostic somatique est improbable, de mener l’investigation psychologique et somatique dès la première consultation. En expliquant que dans ces situations, « nous ne savons pas tout », que nous suivons toutes les pistes, que le retentissement de la douleur en termes d’anxiété, de dépression et de désocialisation est important à rechercher et à prendre en charge, en abandonnant le débat sur la cause pour mettre l’accent sur le « vivre avec » les symptômes. Patrick Mac Grath, spécialiste canadien de la douleur de l’enfant, avait déjà mis l’accent en 1986 sur ces aspects prioritaires de la prise en charge.