R. Lenclen, R. Carbajal, M. Jugie, V. Gajdos, A. Paupe
Unité de réanimation néonatale Poissy – Saint Germain Hospital 78300 Poissy

INTRODUCTION

Chaque nouveau-né admis en réanimation est soumis à de très nombreuses procédures de nature douloureuse. Barker et Rutter rapportent plus de 3000 procédures chez 54 nouveau-nés admis en réanimation ; 74 % étaient réalisées chez des prématurés de moins de 31 SA (1).

Les structures nécessaires à la perception de la douleur sont présentes à partir du 2ème trimestre de la grossesse, et de ce fait même les enfants prématurés perçoivent la douleur et manifestent une réponse comportementale. L’amélioration de la prise en charge de la douleur du nouveau-né reste une préoccupation quotidienne (2-7). La prise en compte des douleurs importantes de type chirurgicale parait claire, celle des procédures moins invasives comme les prélèvements sanguins ou les injections l’est moins. Des traitements pharmacologiques sont rarement utilisés dans ce type d’indication soit en raison de leur faible efficacité (Emla®) ou d’une inefficacité totale (paracétamol pour ponctions) (8), soit en raison de leurs effets secondaires (analgésiques centraux). C’est pourquoi, l’utilisation de thérapeutiques non pharmacologiques telle l’administration orale de solutions sucrées avec ou sans succion d’une tétine semble intéressante. Jusqu’à présent, le saccharose oral a été la thérapeutique antalgique la plus étudiée en néonatologie pour les procédures peu invasives (9-15). En revanche, à notre connaissance, l’effet analgésique de l’administration orale d’une solution de glucose chez le nouveau-né très prématuré n’a jamais été rapporté dans la littérature.

Les objectifs de cette étude étaient : (i) D’évaluer les effets antalgiques de l’administration orale de glucose 30%. (ii) De déterminer l’effet synergique du glucose 30% et de la succion d’une tétine durant une injection sous cutanée (d’érythropoïètine) chez des enfants prématurés en utilisant l’échelle DAN.

La DAN est une échelle de cotation de l’intensité de la douleur allant de 0 à 10 (maximale) pour des nouveau-nés à terme et prématurés (Tableau I). L’étude de validation de cette échelle a déjà été rapportée (16).

METHODES
Cette étude prospective et randomisée concernait des nouveau-nés prématurés pris en charge dans l’Unité de réanimation néonatale à l’Hôpital Poissy-Saint Germain, site Poissy. Les critères d’inclusion étaient : nouveau-né <32 SA, âgé de plus de 48 heures dont la dernière prise alimentaire était de plus de 30 minutes (ou dont l’alimentation était continue), avec un APGAR >3 à 5 minutes et sous réserve de la disponibilité de l’unique observateur (RL). Les critères d’exclusion étaient : Enfant instable, ayant eu une administration de naloxone pendant les dernières 24 heures, ayant reçu sédatifs ou analgésiques majeurs pendant les dernières 48 heures. L’évaluation de la douleur provoquée par l’injection d’érythropoïètine en sous cutané a été effectuée avec l’échelle de DAN.

Cet essai randomisé comportait deux études parallèles. La première comparait la prise orale de glucose 30 % (0,3 ml) versus placebo (0,3 ml d’eau stérile) ; la seconde celle de glucose 30 % (0,3 ml) versus glucose 30 % (0,3 ml) suivi de la succion d’une tétine. Chaque enfant a reçu, en alternance, les 2 traitements de la série à laquelle il avait été assigné lors de 2 injections consécutives d’érythropoïètine, réalisées en sous cutané à 48 heures d’intervalle. Ont été randomisés, le type de série ainsi que l’ordre d’administration des traitements. Après un calcul du nombre de patients nécessaires, il fut décidé d’inclure 25 enfants dans le premier groupe et 15 dans le second. Des ampoules commerciales d’eau stérile et de glucose 30% ont été utilisées, ainsi que des tétines de diamètre externe de 12 mm (International médical® réf 37089). Deux minutes avant l’injection, la solution tirée au sort était administrée pendant 30 secondes dans la bouche du nouveau-né prématuré à l’aide d’une seringue stérile. Une tétine pouvait également être maintenue doucement dans la bouche de l’enfant (série 2). L’évaluation de la douleur provoquée par l’injection sous cutanée d’érythropoïètine était ensuite réalisée pour la période comprise entre l’introduction à l’ablation de l’aiguille. Ni l’investigateur ni l’infirmière réalisant l’injection n’était avertis du type de solution ingérée. L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel statistique NCSS 2001®. Les médianes des 2 traitements de chaque série ont été comparées par le test non paramétrique de Wilcoxon .Une valeur de p< 0.05 a été considérée comme statistiquement significative.

RESULTATS
De Juin 2000 à Août 2001, 55 nouveau-nés répondaient aux critères d’inclusion. Treize ont été exclus du fait de la non-disponibilité de l’investigateur et 2 du fait d’un refus parental. Comme prévu, 40 enfants ont été inclus : 25 dans le premier groupe (glucose versus placebo), et 15 dans le second (glucose seul versus glucose plus succion d’une tétine). Dans le premier groupe, un enfant est décédé d’entérocolite ulcéro-nécrosante après la première administration (eau stérile). L’analyse concerne donc 24 nouveau-nés. Les caractéristiques cliniques sont résumées dans le tableau II. Les moyennes et médianes des scores pour chaque injection sous cutanée sont montrés dans le Tableau III. Une désaturation (85 % – 88%) transitoire a été observée chez 7 nouveau-nés. Cinq pendant l’administration de glucose seul et 2 lors de l’administration de glucose plus une tétine. Aucun autre effet secondaire n’a été observé.

DISCUSSION
Deux études menées en parallèle ont été réalisées. La première a démontré qu’une faible dose (0,3 ml) de glucose 30% donnée per os a un effet antalgique chez le nouveau-né très prématuré lors d’injections sous cutanées. A notre connaissance, les propriétés analgésiques du glucose oral dans ce contexte n’ont pas encore était rapportées. Ceci est en accord avec des résultats récemment publiés dans la littérature faisant allusion à un effet antalgique du saccharose oral administré à faible dose. La seconde compare l’ effet antalgique d’une solution de Glucose 30% seule versus Glucose 30% plus succion d’une tétine dans les mêmes conditions. Malgré des scores discrètement inférieurs lors de l’administration de glucose plus tétine par rapport au glucose seul, cette seconde étude n’a pas permis de monter une différence statisquement significative entre les deux administrations. Stevens et al ont rapporté l’efficacité analgésique chez le nouveau-né prématuré d’une tétine avec de l’eau ainsi que d’une tétine avec du saccharose. Malgré une tendance à des scores de douleur plus bas lors de l’utilisation de la tétine avec du saccharose par rapport aux tétines seules, leur étude n’a pas montré non plus une différence statistiquement significative entre ces deux modalités (17). Il est important de signaler que cet effet analgésique synergique a été clairement montré chez le nouveau-né à terme (11, 17). Pour expliquer le manque de différence significative dans notre étude entre l’effet du Glucose 30% avec ou sans tétine, chez l’enfant prématuré : plusieurs hypothèses sont à envisager : Premièrement : il est plus difficile d’obtenir une succion efficace chez le grand prématuré que chez l’enfant à terme. Une étude a montré que la succion entraîne un effet antalgique chez l’enfant à terme qu’au-dessus de 32 succions/ min (17). Deuxièmement, la taille des tétines utilisées dans notre étude, était peut être un peu trop importante comparée au poids de l’enfant. Enfin, nous n’avons pas évalué la douleur pendant la période suivant l’ablation de l’aiguille, comme certains auteurs l’ont fait.

Le glucose a été administré 2 minutes avant l’injection conformément aux études qui montrent que l’effet du saccharose dans les mêmes conditions est maximal à ce moment là (18). La rapidité d’action suggère comme pour d’autres solutions sucrées que l’effet analgésique est obtenu par le contact buccal et non digestif (19). Notre étude comporte des limites; D’une part, il a été impossible de masquer l’adjonction d’une tétine à l’investigateur et d’autre part aucune étude n’a pas encore prouvé que l’échelle de douleur DAN permet de coter le degré exact de perception de la douleur. Ainsi nous avons considéré qu’un comportement douloureux reflétait d’une façon directement proportionnelle l’intensité douloureuse.

En conclusion, l’administration orale d’un faible quantité de glucose 30% est une méthode simple, non invasive et efficace chez l’enfant prématuré. Cette méthode nous paraît pouvoir être fortement recommandée pour les injections sous cutanées répétées en l’absence d’effets secondaires. Dans cette étude, et contrairement aux attentes, l’association de la succion d’une tétine et de l’administration de glucose oral en faible quantité n’a pas montre un effet analgésique statistiquement significatif. Cependant, d’autres études semblent nécessaires sur ce dernier sujet avant de conclure à l’absence d’effet synergique. 






 

BIBLIOGRAPHIE




























































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