Dr Didier Cohen-Salmon – Président de l’association SPARADRAP

 

POURQUOI UN LIVRET SUR L’ENFANT ET LA MALADIE GRAVE
L’association SPARADRAP propose son nouveau livret « J’ai une maladie grave… On peut en parler !» Le but de ce document est avant tout d’aider les enfants gravement malades, mais aussi d’aider les parents à maintenir ou à reprendre le dialogue avec leur enfant dans cette situation. Enfin, plus largement nous espérons que ce document sera utile à tous les adultes qui sont amenés à entrer en contact avec les enfants dans le cours d’une maladie grave, et avant tout les professionnels de la santé et de l’enfance.

QU’APPELLE-T-ON MALADIE GRAVE ?
Ce document envisage des maladies graves de natures très différentes. Mais il est difficile de définir la maladie grave. Plusieurs points de vue sont possibles. Après discussion nous avons choisi une approche de type systémique, privilégiant le vécu de la maladie et son retentissement sur l’environnement humain de l’enfant, plutôt que la réalité pathologique de la maladie. Seule cette approche nous permettait d’évoquer, sans les nommer, des situations aussi diverses que les cancers et leucémies, les myopathies et autres maladies congénitales, des maladies aigues telles que les méningites bactériennes, ou des maladies chroniques comme le diabète de l’enfant… Nous qualifions donc de maladie grave toute maladie qui impose sa marque sur toute la vie de l’enfant et de ses proches, qui la modifie de façon radicale, et dont il est impossible de faire abstraction. La notion même de gravité implique un facteur d’inquiétude, de menace concernant le devenir de l’enfant.

L’EXPRESSION DES ÉMOTIONS DE L’ENFANT ET LA MALADIE
Le but de ce document n’est pas de donner des informations techniques sur les maladies et les soins, mais d’aider l’enfant et ses proches à exprimer leurs sentiments. Face à la maladie grave, l’enfant et ses parents éprouvent des sentiments nouveaux, douloureux et vivent des situations inconnues et difficiles. Mais dans la période qui suit le diagnostic de la maladie, l’enfant et son entourage sont pris dans une multiplicité de problèmes de tous ordres auxquels ils doivent faire face, souvent dans l’urgence.

Face aux exigences nouvelles de la maladie, des soins, des hospitalisations, la nécessité de parer au plus pressé fait en général passer au second plan la dimension de la parole. Les interrogations et les angoisses sur l’avenir, le choc des mauvaises nouvelles peuvent produire un état de sidération qui empêche de trouver les mots, d’écouter l’enfant, de percevoir qu’il a besoin aussi qu’on lui parle de sa situation. Les enfants ne sont pas dupes, ils pressentent les non-dits des adultes et en souffrent. Ils apprennent aussi, vers l’âge de cinq ans, que l’on peut cacher ses émotions, par exemple pour éviter des souffrances à autrui.

Inversement, dans le cours d’une maladie chronique, la lourdeur et l’omniprésence des soins peut conduire à un fonctionnement familial centré sur la maladie de l’enfant. Par la force des choses les parents deviennent des « parents-soignants », et c’est un obstacle de plus à l’expression des émotions.

Du fait que les maladies graves sont (heureusement) peu fréquentes dans notre pays, les familles confrontées à ces situations éprouvent un sentiment d’isolement. Ils ont du mal à trouver des références à ce qu’ils sont en train de vivre car rien dans leurs expériences antérieures ne les y a préparés. Ils peuvent s’imaginer être les seuls dans leur situation.

Enfin, il existe de grandes inégalités entre les enfants dans la possibilité d’exprimer leurs émotions et d’en parler avec d’autres personnes, et les mêmes inégalités se retrouvent chez les mères. Il semble que l’aptitude à échanger les états émotionnels est apprise dans le cadre familial. Certains enfants et certains parents sont désavantagés de ce point de vue et ont besoin de plus d’aide. Ils risquent plus que les autres de sombrer dans l’isolement.

UN SUPPORT D’IDENTIFICATION ET DE DIALOGUE
Pourtant la lecture d’expériences vécues montre toute l’importance de la mise en jeu d’un réseau relationnel riche et diversifié, à la fois familial et extra-familial autour de l’enfant malade. La qualité de ce soutien favorise la mise en jeu de défenses, l’adhésion aux soins et le succès des traitements.

C’est pourquoi, encore plus que dans les autres documents créés par SPARADRAP, la possibilité de s’identifier est un point clé. Nous voulons que les enfants et les parents retrouvent quelque chose de leur propre situation, se sentent par conséquent moins seuls, et soient incités à parler, à échanger, à chercher secours et soutien. L’enjeu est de donner la possibilité aux enfants et à ceux qui les entourent de vivre leurs émotions, de les exprimer et de les comprendre en les replaçant dans un contexte où l’avenir a sa place, dans des conditions de respect des personnes.

Dans le choix des situations évoquées il fallait donc partir du point de vue de l’enfant malade, se mettre à sa place et essayer de voir la situation par ses yeux. Ainsi il semble que l’image d’une mère qui pleure au moment d’une séparation difficile fait réagir fortement les enfants.

Le livret donne l’occasion d’aborder des questions délicates, complexes ou douloureuses : la difficulté de vivre comme avant, le changement du regard des autres, la lourdeur des traitements et les contraintes qu’ils engendrent, la douleur, l’évolution imprévisible (ou au contraire inexorable) de la maladie, l’espoir de guérir, le découragement, la peur de la mort. Il offre aussi en parallèle des pistes de réponses. Il accompagne l’enfant dans le déroulement de la maladie dont la durée peut être très variable (de quelques semaines à toute la vie). Le livret ne sera pas perçu de la même façon aux différents stades de la maladie, et les familles pourront s’y référer plusieurs fois.

Dans ce dialogue à maintenir ou à rétablir avec l’enfant malade, la place des parents est essentielle. Nous avons voulu matérialiser cette place dans la structure même du livret : le document destiné à l’enfant est inclus dans un autre qui s’adresse spécifiquement aux parents. A ceux-ci reviendra le choix du moment, et des mots avec lesquels ils s’adresseront à leur enfant. Même si ce n’est pas toujours facile, l’enfant saura au moins que ses parents sont ouverts au dialogue et ce premier pas est essentiel.

Bien que ce document ne soit pas spécifiquement destiné aux soignants, son utilisation par les équipes soignantes peut rendre les soignants plus disponibles à la dimension de la parole dans les situations de soins. Cette démarche relevant du soin relationnel peut faire beaucoup pour modifier les conditions de prise en charge des enfants.

PARLER DE LA MORT ?
Les difficultés du dialogue avec l’enfant sont les plus évidentes quand la guérison n’est pas assurée ou est hors de portée. Avions-nous le droit de parler des maladies dont on risque de ne pas guérir ? L’expérience des professionnels des soins palliatifs pédiatriques nous a appris qu’à un certain moment de leur maladie les enfants peuvent avoir besoin d’aborder l’éventualité de leur mort. Mais ils ne pourront le faire que s’ils sentent en face d’eux des adultes prêts à recevoir. « Il a su formuler avec ses mots d’enfant mais très clairement qu’il allait mourir. Il le sentait dans son corps. Il n’a exprimé cela que lorsque j’ai été prête à entendre ce qu’il avait à dire », écrit un parent.

Il nous a semblé que rien ne pourrait empêcher cette interrogation, qu’elle soit muette ou verbalisée. De toute façon les enfants et les parents se poseront cette question, avec ou sans livret. Ils chercheront partout un signe, dans les silences, les non-dits et les contradictions des soignants, ils iront sur l’internet… C’est pourquoi le livret aborde clairement l’éventualité de la mort (peur de mourir, mort d’un autre enfant…). Le côté conversationnel qu’encourage le livret peut aider les enfants qui en ont besoin à accéder lentement à ces questions existentielles, et de trouver dans le questionnement partagé, sinon dans les réponses, la sérénité dont ils ont fondamentalement besoin.

UNE MÉTHODE DE TRAVAIL
Ce document est le fruit de la mise en commun de nombreuses compétences. SPARADRAP n’aurait pas pu le réaliser sans l’aide d’un groupe de travail composé de personnes de terrain, motivées par ce projet et venant de divers horizons (psychologues, infirmières, parents, médecins, membres d’associations). Nous avons également sollicité l’avis de relecteurs concernés pour nous assurer de sa pertinence et de sa qualité. Deux ans de travail et de nombreuses réunions ont été nécessaires pour mettre au point le projet, définir à qui il devait s’adresser, trouver le ton et les mots justes pour aborder ce sujet difficile et complexe.

Les premières réactions émanant de parents sont positives : « Dans chacune des situations que vous mentionnez je reconnais celles que j’ai vécues », écrit un parent. Elles sont aussi volontiers rétrospectives. Des parents regrettent de ne pas avoir disposé de ce document au moment où leur enfant était gravement malade : « J’ai reconnu pour les avoir vécu, beaucoup de situations décrites et je pense que chaque enfant peut s’y retrouver un peu »

Ce livret va-t-il vraiment aider les enfants et les parents ? Va-t-il permettre de parler plus « sereinement » de la mort avec un enfant gravement malade ? Quand et à qui vaut-il mieux le
donner ? Comment l’utiliser ? Ce sont vos remarques, critiques, témoignages sur l’utilisation de ce livret qui pourront nous le dire. N’hésitez surtout pas, nous avons besoin de votre expérience.

COMMENT SE PROCURER LE LIVRET ?
Le livret est disponible auprès de l’association SPARADRAP, 48 rue de la Plaine 75020 Paris -Tél. : 0143481180 -Fax : 0143481150 ou sur  le site sparadrap ici
Livret de 20 pages illustré en couleurs pour les enfants format, 15 x 21 cm.
Livret-mode d’emploi de 12 pages pour les parents comprenant un questionnaire d’évaluation.
Ce document a pu être réalisé grâce à l’engagement de la Fondation de France dans le cadre de son programme pour le développement des soins palliatifs pédiatriques. Il a également reçu le soutien de la Fondation Groupama et de la Fondation Jacques Delagrange. En juin 2003, 35 000 exemplaires du livret ont été envoyés gracieusement dans les services de pédiatrie, les associations de malades et les réseaux de soins palliatifs.