1/ Les solutions sucrées modifient-elles la glycémie ?
Les solutions sucrées sont un des moyens antalgiques non pharmacologiques les plus utilisés chez le nouveau-né. Leur efficacité est certaine pour des gestes provoquant une douleur légère à modérée. Leurs effets secondaires sont généralement mineurs et rapidement résolutifs. Elles sont utilisées le plus souvent pour une ponction capillaire ou veineuse, gestes douloureux très fréquents en médecine néonatale, notamment pour la mesure de la glycémie capillaire. Il est admis que l’administration de ces solutions sucrées ne modifie pas le résultat de la glycémie. Cela reste néanmoins une question fréquemment posée.
Il n’y a pas eu d’étude avec cette question en objectif principal ni secondaire. Une seule synthèse de la littérature a eu pour objectif de répondre cette question (1), dont les principaux points à retenir sont :
- Dans aucune étude, l’administration unique ou répétée de petites quantités d’une solution sucrée à visée antalgique ne modifiait la glycémie.
- Les doses utilisées en pratique sont extrêmement faibles, représentant 1/100e à 1/50e des apports en sucre quotidien chez les enfants. De plus, le délai le plus souvent court entre l’administration orale et la réalisation du prélèvement ne permet probablement pas de modifier la glycémie.
- Enfin, l’absorption de glucose à travers la muqueuse orale est négligeable.
Toutes ces études renforcent l’idée que les solutions sucrées à visée antalgique chez le nouveau-né doivent être administrées dans la bouche, de préférence sur la pointe de la langue où se situent les récepteurs gustatifs au goût sucré, et sans l’intermédiaire d’une sonde gastrique.
En conclusion :
- Les solutions sucrées doivent être utilisées avant une effraction cutanée chez le nouveau-né, y compris avant la réalisation d’un dextro.
- Elles doivent être données 2 minutes avant le geste et associées à la succion non nutritive qui doit être maintenue pendant toute la durée du geste.
- La dose minimale efficace doit être donnée à l’enfant (cf tableau des posologies recommandées).
- Laisser l’enfant téter lui-même la quantité de sucre proposée (sans appuyer sur le piston de la seringue) permet aussi d’éviter le risque de fausses routes et les désaturations.
2/ Les solutions sucrées sont-elles vraiment antalgiques ?
Une étude ancienne publiée en 2010 a remis en cause l’efficacité antalgique des solutions sucrées (2). Dans cette étude randomisée contrôlée incluant 59 enfants répartis en 2 groupes (29 enfants recevaient du saccharose 24% et 30 de l’eau stérile avant une ponction au talon), les objectifs étaient l’analyse de potentiels évoqués cérébraux spécifiques de la douleur, l’analyse du réflexe médullaire de retrait lors de la ponction et le score de douleur mesuré par la PIPP. Seuls 20 et 24 enfants ont finalement eu les analyses. Il n’y avait pas de différence neurophysiologique entre les 2 groupes : l’amplitude des potentiels évoqués cérébraux de la douleur était la même, ainsi que le réflexe médullaire de retrait (amplitude et latence). En revanche les enfants recevant du saccharose avaient un score de douleur significativement plus bas que ceux recevant le placebo (aucun enfant du groupe saccharose ne manifestaient de signe de douleur tandis que 13 enfants du groupe placebo avaient une PIPP élevée).
Les auteurs ont conclu que, comme il n’y avait aucun changement neurophysiologique après une administration de sucre, celui-ci n’était pas antalgique.
Plusieurs critiques peuvent être faites sur ces conclusions :
- Le nombre de patients inclus est très bas et cette étude n’a pas été reconduite à plus grande échelle. Les validités externe et interne sont discutables.
- Les critères retenus pour l’analyse neurophysiologique sont plus que discutables : les variations de 2 potentiels évoqués cérébraux ont été analysés. Ces derniers sont dits spécifiques de la douleur mais seules des variations minimes ont été analysées (millisecondes). Le critère de jugement principal n’est pas fiable.
- Ce qui est remarquable en revanche est l’efficacité clinique du saccharose puisqu’aucun enfant en ayant reçu n’a manifesté de signe de douleur.
Le mode d’action des solutions sucrées est mal connu mais fait probablement intervenir le système opioïdergique endogène. Même si quelques marqueurs neurophysiologiques, dont le choix et la valeur sont discutables, ne montrent pas de modifications lors de l’administration de solutions sucrées lors d’un geste douloureux, on ne peut pas en conclure de façon aussi affirmative que le sucre n’est pas antalgique chez le nouveau-né, car cliniquement, notamment l’activité faciale, la différence est notable.
Aussi, les solutions sucrées doivent toujours être utilisées avant un geste douloureux chez le nouveau-né et le nourrisson, associées à la succion non nutritive qui potentialise leur action, et ce pendant toute la durée du geste. Elles doivent être réservées aux gestes douloureux uniquement, à la dose minimale efficace, en respectant 2 minutes de délai entre l’administration et le geste. Le nombre de publications prouvant leur efficacité antalgique est bien supérieur à la seule étude, ancienne et de méthodologie discutable, remettant en cause cet effet (3).
3/ Les solutions sucrées sont-elles neurotoxiques ?
Une seule étude très ancienne a émis des doutes quant à l’effet potentiellement délétère des solutions sucrées à visée antalgique sur le cerveau en développement (4).
Dans cette étude randomisée, contrôlée en double aveugle, 107 prématurés de moins de 31 SA étaient inclus dans les 48h premières heures de vie. Avant chaque procédure douloureuse et durant 7 jours, les enfants recevaient 0.1 ml de saccharose 24% ou d’eau stérile, maximum 3 doses à 2 minutes d’intervalle. Le développement moteur, la vitalité, l’éveil et l’orientation étaient mesurés à 32,36 et 40 semaines d’âge corrigé. Le score SNAP (Neonatal Acute Physiology) était mesuré le dernier jour de l’intervention. Le score NBRS (Neuro-Biological Risk Score) était mesuré à 2 semaines de vie et à la sortie.
Le score SNAP est un score prédicteur de mortalité et morbidité en réanimation néonatale et comprend 34 items physiologiques (cliniques et biologiques) (5).
Le score NBRS est un score à 13 items prédictifs d’anomalies du neuro-développement (plus le score est élevé, plus le risque est grand (6).
Les seules différences observées entre les groupes étaient :
- Dans le groupe saccharose : de moins bons scores SNAP à 36 et 40 SA et un score NBRS plus élevé à 2 semaines de vie chez les enfants ayant reçu le plus de saccharose.
- Dans le groupe eau stérile : un plus grand nombre de gestes invasifs était corrélé à un score NBRS plus élevé à 2 semaines de vie et à la sortie du service.
Les gestes douloureux non soulagés sont délétères pour le cerveau en développement et la prévention de la douleur provoquée est une priorité pour des raisons éthiques mais aussi neurodéveloppementales.
Cet effet potentiellement délétère du saccharose est très précoce (36 et 40 SA) et n’a pas été confirmé par d’autres études. Les enfants ayant des scores moins bons sont ceux ayant eu le plus de saccharose et donc aussi le plus de gestes douloureux car malades. On ne sait pas quelle était le score de douleur au moment du geste et donc si le saccharose était efficace.
Conclusion : il n’y a pas de preuve formelle d’une neurotoxicité du saccharose qui doit être utilisé avant un geste douloureux uniquement. Cependant, son usage ne doit pas être banalisé, toujours à la dose minimale efficace et toujours associé à d’autres moyens non pharmacologiques (succion non nutritive, peau-à-peau, enveloppement etc) afin de potentialiser son effet. Il n’y a pas nombre maximum recommandé mais il semble raisonnable de ne pas dépasser 6 à 8 administrations/jour, en particulier chez les enfants les plus prématurés.
4/ Un nouveau-né allaité associe-t-il douleur et allaitement ?
De nombreuses études ont montré que l’allaitement maternel est un moyen antalgique non pharmacologique très efficace avant un geste provoquant une douleur légère à modérée. Cette efficacité est égale voire supérieure à l’association succion non nutritive-solution sucrée (7).
L’efficacité antalgique de l’allaitement maternel est multifactorielle : contact maternel rapproché, voire peau-à-peau, enveloppement par les bras maternels, odeur de la mère, endorphines synthétisées par la mère lors de la tétée et qui procurent un bien-être maternel et néonatal, succion qui a en soi un effet apaisant chez le nouveau-né.
L’allaitement à visée antalgique ne se conçoit que chez un enfant qui sait téter et a des tétées efficaces. Il est donc plutôt à privilégier en maternité, ou en néonatologie chez un nouveau-né à terme ou proche du terme qui répond aux critères ci-dessus. Il peut aussi être proposé à un nourrisson plus grand, pour une vaccination ou un prélèvement veineux, associé à d’autres moyens antalgiques comme une crème anesthésiante.
Certains soignants refusent de l’utiliser arguant que le nouveau-né associera par la suite douleur et allaitement.
Cet argument peut être réfuté pour plusieurs raisons :
- L’allaitement étant antalgique, le nouveau-né n’aura pas mal lors du prélèvement.
Cela n’est valable que si un délai de 2 à 3 minutes est respecté entre le début de la tétée et le prélèvement, que l’enfant est bien installé et tête efficacement. Lorsqu’on lui prend la main, il est détendu. Un léger mouvement de retrait peut être observé lors de la ponction, mais si le délai est respecté et la succion efficace, le score de douleur restera bas. Pour augmenter cette efficacité, l’enfant peut être mis en peau-à-peau contre sa mère.
- Lors de la ponction, le nouveau-né accélère souvent sa cadence de succion, « auto-gérant » lui-même son antalgie.
- La fréquence des tétées en maternité est bien supérieure (parfois jusqu’à 10 à 12 tétées/jour) à celle du nombre de gestes douloureux réalisé (1 chez un enfant à terme bien portant).
La seule non-indication est la réalisation d’un dextro. En effet, l’allaitement étant nutritif, la glycémie peut se modifier rapidement après le début de la tétée. Aussi, en cas de surveillance des glycémies capillaires, l’association succion non nutritive-solution sucrée est préférable.
Il est important que le trinôme mère-enfant-soignant soit bien installé pour le prélèvement, que la mère soit d’accord et que le bébé soit disponible.
- Walter-Nicolet E, Chary-Tardy AC, Tourniaire B, le groupe P. [Do analgesic sweet solutions in neonates influence glycemia? A literature review]. Arch Pediatr. 2017;24(12):1281-6.
- Slater R, Cornelissen L, Fabrizi L, Patten D, Yoxen J, Worley A, et al. Oral sucrose as an analgesic drug for procedural pain in newborn infants: a randomised controlled trial. Lancet. 2010;376(9748):1225-32.
- Harrison D, Larocque C, Bueno M, Stokes Y, Turner L, Hutton B, et al. Sweet Solutions to Reduce Procedural Pain in Neonates: A Meta-analysis. Pediatrics. 2017;139(1).
- Johnston CC, Filion F, Snider L, Majnemer A, Limperopoulos C, Walker CD, et al. Routine sucrose analgesia during the first week of life in neonates younger than 31 weeks’ postconceptional age. Pediatrics. 2002;110(3):523-8.
- Harsha SS, Archana BR. SNAPPE-II (Score for Neonatal Acute Physiology with Perinatal Extension-II) in Predicting Mortality and Morbidity in NICU. J Clin Diagn Res. 2015;9(10):Sc10-2.
- Brazy JE, Eckerman CO, Oehler JM, Goldstein RF, O’Rand AM. Nursery Neurobiologic Risk Score: important factor in predicting outcome in very low birth weight infants. J Pediatr. 1991;118(5):783-92.
- Carbajal R, Chauvet X, Couderc S, Olivier-Martin M. Randomised trial of analgesic effects of sucrose, glucose, and pacifiers in term neonates. BMJ. 1999;319(7222):1393-7.
MàJ, 15/04/2022
Elizabeth Walter-Nicolet
Pédiatre-Service de néonatologie-maternité
Groupe Hospitalier Paris Saint Joseph