Céline Thépaut, Auxiliaire de Puériculture, Dominique Bohu, Pédopsychiatre, Sophie Legras, IDE cadre de soins et l’équipe pluridisciplinaire du CLUD du CRMTP, Centre de Rééducation Motrice pour Tout-Petits, Elisabeth de la Panouse Debré, Antony, Hauts de Seine
Présentation lors des 28es Journées Pédiadol, la douleur de l’enfant.

La BOBOBOX est un « outil maison », conçu pour la distraction lors des soins, afin de participer et d’améliorer la lutte contre la douleur chez l’enfant en tenant compte des besoins spécifiques de la population d’enfants hospitalisés dans l’établissement. L’idée, sa création, sa dynamique se sont inscrites dans l’évolution des connaissances des professionnels à ce sujet et dans l’histoire et les pratiques de l’établissement.
Notre présentation n’a pas pour objectif de démontrer l’intérêt de la distraction dans ce champ de la prise en charge de la douleur, champ déjà exploré par toutes les recherches connues et transmises par PEDIADOL.

Cette présentation a pour objet d’exposer comment cet outil, de sa conception à son utilisation dans ce lieu particulier de soins qu’est un SSR (Soins de Suite et de Réadapation) accueillant de très jeunes enfants, peut s’emparer du soignant pour faire évoluer ses pratiques à un moment donné de son histoire avec ses propres forces, en tenant compte de la nature de sa géographie institutionnelle (petite équipe dans laquelle tout le monde se connait, petit périmètre architectural, croisement potentiel possible rapide et facile des professionnels, y compris des professionnels administratifs, …).

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Le CRMTP est un établissement hospitalier pédiatrique de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR), pour des enfants âgés de 0 à 6 ans, spécialisé dans les affections de l’appareil locomoteur et du système nerveux. Il est associé à la prise en charge en cancérologie.
Les patients sont des enfants porteurs de Handicaps moteurs congénitaux ou acquis, isolés ou associés à une déficience organique, hospitalisés pendant une étape thérapeutique médicale ou chirurgicale. Les troubles neuro-moteurs peuvent être associés à des troubles neurodéveloppementaux. Certains enfants hospitalisés peuvent relever des services de la Protection de l’Enfance.

Les enfants sont admis pour une durée définie pour un programme de rééducation fonctionnelle. Ils peuvent bénéficier de rééducation et réadaptation au long cours et/ou de rééducation post opératoire. Les modes d’hospitalisation (agrément SSR pour 17 lits d’HC et 28 places d’HDJ) sont adaptés au cas par cas selon le projet thérapeutique.

Le CRMTP a une longue histoire, en lien avec celle de l’évolution de la grande histoire de la pédiatrie en France. L’établissement a été créé en 1960, à l’initiative du Pr. Robert Debré, pour la prise en charge rééducative de nourrissons atteints de poliomyélite. Il est rattaché depuis 2012 à la Fondation Ellen Poidatz.

A l’image de la configuration professionnelle du CRMTP, l’équipe du CLUD, créé en 2005, est pluridisciplinaire, incluant infirmières, auxiliaires de puériculture, rééducateurs, éducatrices, cadres, médecins (MPR et pédopsychiatre).
L’état des lieux quant à la prise en charge de la douleur est celui de nombreuses équipes de l’époque. Si l’équipe a toujours était très attentive au confort de l’enfant et sensible à la lutte contre la douleur, les moyens utilisés étaient désordonnés, pas toujours efficaces et pas évalués. Pour le même enfant, il n’y avait pas forcément trace de ce qui lui convenait.

Le soin technique était priorisé au nom de son urgence et de « sa noblesse » sur la nécessité de l’organisation des soins.

– Par exemple, l’ablation d’un plâtre pouvait être non-programmée, dans « l’urgence immédiate », selon l’emploi du temps du médecin. Au détour d’un couloir, le médecin demandait de le faire mais pas forcément en fonction de la disponibilité de l’équipe de rééducation ou infirmière, et surtout sans que l’enfant y soit préparé.
– La prise de sang régulière, était faite sans crème anesthésiante : « parce que cela a été toujours ainsi » (propos de la personne qui venait faire les prélèvements) « Madame, je pique très bien depuis 20 ans… d’ailleurs c’est d’autant mieux quand les parents ne sont pas là, par ce que vous savez bien … ». A l’issue du déplâtrage ou de la prise de sang, l’enfant était épuisé par les pleurs et la peur exprimée. Epuisés
par « l’obligation » d’une contention et le bruit, les soignants étaient surtout envahis par des sentiments d’insatisfaction, d’impuissance, et d’échec. A noter aussi que paradoxalement compte tenu de leur fonction, les infirmières refusaient « pour ne pas être les méchantes », de faire les prises de sang et « le labo » venait donc lui-même, à n’importe quelle heure, même quand les enfants dormaient ou mangeaient.

Bien évidemment, des aménagements se faisaient au cas par cas, selon la bonne et grande volonté de chacun mais rien n’était satisfaisant, car non anticipé. Si l’arme ultime de l’Evènement Indésirable était brandi, voire rédigé, et dûment noté et traité, des conflits parfois violents éclataient entre professionnels considérés comme « maltraitants » et professionnels considérés comme « poètes utopistes ». Et l’Enfant continuait à hurler la fois suivante ….

La prémédication avant les actes douloureux et/ou potentiellement douloureux était systématique, pas toujours efficace mais cependant renouvelée.

A noter aussi que la plupart des soins du quotidien se font sans les parents, même si ils en sont prévenus systématiquement et invités à y participer. Le CRMTP est un lieu de soins et de vie.

La priorité du CLUD a été d’abord de protocoliser la reconnaissance de la douleur avec une utilisation systématique d’échelle, les différentes modalités de prise en charge médicamenteuses, l’utilisation du MEOPA.

Tout au long de cette construction qui touche aux changements de pratique, les enjeux ont été de répondre aux besoins réels de l’enfant par les observations réalisées et partagées, et non pas d’appliquer à l’aveugle des recommandations générales sans les éprouver à l’aune de la singularité de chacun. Nos pratiques ont du être remises en question et réfléchies pour remettre l’enfant au centre du soin,
et non plus privilégier notre organisation aux dépens de la qualité du soin donné, en toute bonne foi.

Il fallait tenir compte aussi des mécanismes humains de défense, de projections inhérentes à tout groupe humain, y compris celui des professionnels de santé, même quand ils sont particulièrement attentifs au bien-être de l’enfant, ce qui est le cas dans l’histoire et l’âme du CRMTP.

Compte tenu de leur âge et des troubles que certains enfants présentent, l’expression de la douleur est surtout comportementale. Même si les indications de l’échelle EVENDOL ne sont pas rigoureusement celles préconisées, compte tenu de nos pratiques et de la population d’enfants accueillis, nous avons choisi d’en faire l’échelle d’évaluation de référence la plus utilisée au CRMTP. La FLACC Modifiée, EDIN ou
SAN SALVADOUR peuvent être aussi utilisées, moins fréquemment. A noter que si les parents sont peu présents lors des soins courants, ils en sont avertis et ils ont la possibilité de venir. D’autre part il est privilégié que ce soit un professionnel connu de l’enfant qui l’accompagne dans le soin qui doit lui être fait.

Chaque membre du CLUD a un engagement volontaire, contractualisé de « référent douleurs » au CRMTP. Dans cette perspective, le plan de formation a prévu que chaque année, un nombre important de ses membres, voire d’autres professionnels, puissent participer aux ateliers de PEDIADOL. Au retour de cette formation annuelle, un thème est choisi par le groupe, pour l‘année suivante, pour améliorer prioritairement une de nos pratiques au regard de ce qui a été entendu.

C’est ainsi qu’en 2017, l’équipe du CLUD a transmis à l’ensemble des professionnels, ses connaissances sur l’Hypnoanalgésie et a souhaité créer un « outil maison de distraction », adapté à la population des enfants du CRMTP. Nous ne reviendrons pas ici sur les différentes données scientifiques qui ont prouvé l’intérêt de la distraction dans la prévention de la douleur liée aux soins.

ET c’est ainsi que l’idée de LA BOBOBOX est venue, Sa conception a germé de l’imagination collective et interdisciplinaire, en incluant toutes les compétences professionnelles. Elle a fait son « apparition protocolisée », en 2018.

La BOBOBOX a deux grands OBJECTIFS :
• Distraire l’enfant afin de réduire la douleur et son anxiété
• Potentialiser l’effet des médicaments.

Ses INDICATIONS : pour un premier acte ou des gestes répétitifs
• Tout acte de soins prévu
• Tout acte pouvant générer de l’anxiété (qu’il soit potentiellement douloureux, ou pas)
• Apparition d’une douleur aiguë ou chronique.

La BOBOBOX, est postée en évidence, dans la pièce qui sert de bureau médical et de soins infirmiers au RDC (niveau Hospitalisation Complète), avec le matériel technique :
chariot de soins, échographe pour les Bilans Uro Dynamiques (BUD), etc…
Elle est sur roulette, ce qui permet de pouvoir la déplacer facilement, au lit du patient ou autre lieu de soin.
Colonne verticale, où il est affiché : BOBOBOX, Boite à disposition pour les soins qui peuvent être douloureux et/ou angoissants pour l’enfant.

LE PROTOCOLE de 2018 à 2021 a été le suivant :
Avant chaque utilisation :
Renseigner la fiche d’organisation avant le soin : nom de l’enfant, heure du soin, type de soins, lieu, professionnel dédié au soin, professionnel dédié à la distraction. L’idée étant de pouvoir programmer le soin à deux pour une prise en charge optimale : une « technicienne » et une personne centrée sur l’enfant pour le distraire et le soutenir.

Après chaque utilisation :
* Renseigner la fiche de traçabilité de l’utilisation de la BOBOBOX : date, nom utilisateur, nom de l’enfant, type de soins, traitement antalgique associé ou pas, score Evendol avant, pendant, après le soin
* Décrire succinctement et tracer sur le dossier Patient le déroulement du soin et l’intérêt ou non porté aux jeux proposés. Écrire tout élément utile pour l’organisation et le déroulement du soin suivant pour cet enfant.

L’analyse de ces fiches montre une utilisation systématique de la BOBOBOX pour les prises de sang, les pansements, les changements de sonde à demeure. Elle est utilisée fréquemment pour les injections de toxines. Une utilisation ponctuelle est proposée pour les BUD et les ablations de plâtres. Lorsque le soin nécessite du Meopa ( cf protocole spécifique) la BOBOBOX est utilisée systématiquement.

L’analyse de la fiche d’organisation a été peu renseignée alors que l’observation des pratiques nous montre bien que les soins à deux sont devenus la règle. Ce paradoxe nous a interrogés : le message a-t-il suffit ? la volonté associée de l’ensemble de l’équipe à exiger systématiquement son organisation a-t-elle levé les résistances ? la sensibilisation et les échanges entre équipe médicale et le reste des professionnels dans cette période ont -ils levé les résistances aux changements ? et surtout créé un esprit ouvert à l’écoute du bien-être de l’enfant ? ou est-ce le tout associé : quand la temporalité de chacun et de tous s’aligne en même temps…

Nous sommes en train d’élaborer une nouvelle fiche d’utilisation, qui regroupera les deux aspects. Nous n’abandonnons surtout pas de tracer la notion de SOIN à 2 en cette période de changement de professionnels et de pénurie chronique de personnel.

L’utilisation de la BOBOBOX est à la portée de tous. Elle joue un rôle primordial dans la prise en charge de la douleur.

La protocolisation de l’utilisation de la BOBOBOX a permis d’intégrer à la pratique du soin la vigilance quant à la prévention de la douleur et de l’anxiété associée.

Le soin à 2 est devenu un incontournable de la pratique.

La protocolisation de l’utilisation de la BOBOBOX a permis de définir l’urgent de ce qui ne l’était pas, d’introduire la notion d’une programmation incontournable du soin, a priori non urgent dans un lieu où le soin vital est exceptionnel.

Elle a permis d’intégrer le soin dans un continuum de la vie de l’enfant, et non pas comme un moment à part, détaché du quotidien, alors que ces enfants pour la plupart auront des soins répétitifs et nécessaires à vie. Les kinés par exemple, utilisent souvent pour l’appareillage un objet choisi par l’enfant pour aller de l’unité de vie vers la salle de soins : doudou ou autre que le rééducateur utilisera pour le distraire. L’utilisation de la BOBOBOX pendant le soin viendra compléter les possibilités de distraction pendant le soin. La tablette ou le téléphone peuvent être souvent pris (ou proposés) en première intention pour certains plus grands, mais posent la question de la déconnexion relationnelle, qui est un sujet actuellement activement débattu institutionnellement…

L’utilisation de la BOBOBOX est aussi un bénéfice pour le soignant, lui permettant de ne pas dissocier pour un même soin, technicité et habileté relationnelle. Ceci remet au cœur du soin une attention bienveillante et une sollicitude personnalisée.

La construction de cet outil a permis une mise en commun des compétences professionnelles pour une réalisation transdisciplinaire, mettant en lumière une volonté commune de réflexion concrète sur les valeurs du soin et de sa pratique, en particulier éthique.

Cette démarche d’ailleurs nous a amené à construire d’autres outils, à améliorer l’environnement des salles de soins…. La BOBOBOX a fait des petits :

L’Hôpital des Poupées, ou comment l’enfant peut appréhender ses soins. Conçues en 2019, des boites mises à disposition dans les unités ont rassemblé tout le matériel utilisé pour les soins au CRMTP : diverses sondes, stéthoscopes, plâtres, bottes, corset, compresses, mini bombe MEOPA… des poupées sexuées. Ces boites peuvent être proposées pour un groupe d’enfants qui va jouer avec les poupées, ses pairs et les professionnelles, dans des jeux de découverte, d’imitation, etc… Il permet à l’enfant de s’exprimer sur son handicap au quotidien. L’approche des soins par le jeu permet de mieux appréhender l’accompagnement individualisé nécessaire à chaque enfant. Cet outil
permet aussi d’expliquer en individuel aux enfants, ainsi qu’aux parents, les soins qu’ils ont ou vont avoir. Une anticipation sur ce qui va arriver permet de diminuer l’anxiété face à l’inconnu. Il est prévu de l’utiliser dans certains programmes d’éducation thérapeutique.

Une affichette MALOUPAS destinée aux professionnels, est en cours de réalisation, pour rappeler les bonnes pratiques quant aux échelles. Une affichette MALOUPAS destinée aux parents est aussi en cours de réalisation pour inclure les parents dans cette information sur le statut douloureux de leur enfant.

La décoration de salle de plâtre, en cours, a été pensée avec des dessins permettant à chacun, enfant, parents et soignants d’inventer une histoire, support de distraction dans un univers enfantin. Le plafond au-dessus de la table d’examen est dessiné, permettant à l’enfant d’avoir son regard arrêté par une figuration gaie et propice à imaginer une histoire. Le thème choisi a été celui du cirque.

EN CONCLUSION : nous voyons bien que la BOBOBOX s’est conçue à partir d’une amélioration des connaissances par la formation au sujet de la lutte contre la douleur en tenant compte de l’état des lieux de l’établissement en la matière et de son état d’esprit en général.

Cet état des lieux s’est appuyé sur des fondamentaux préexistants dans l’établissement : la prise en compte globale du développement que ce soit physique et psychique, et une philosophie de soins basée sur le bien-être de l’enfant et son confort.

L’observation de l’enfant par l’utilisation des échelles a introduit une rigueur qui permet à l’enfant d’être le véritable acteur de ses soins, et aux soignants de proposer une réponse adaptée au vécu réel de l’enfant pendant ses soins.

La distraction pendant les soins, incarnée dans l’établissement par l’utilisation de la BOBOBOX s’est imposée à part entière dans le déroulement du soin, associant et incluant au soin technique, le soin relationnel. Elle a participé à organiser durablement le soin.

Mais la routine peut faire oublier la réflexion, en particulier l’éthique de la pratique du soin. Le cadre institutionnel doit veiller à proposer des repères qui seront des tuteurs de réflexions pour des valeurs à partager. Rien n’est définitivement acquis : persévérer dans nos vigilances et nos exigences est un souci du quotidien. Actualiser nos connaissances dans ce domaine permet de nourrir cette réflexion.

Si la lutte contre la douleur est une obligation légale (partie fondamentale de la certification HAS), la volonté et la préoccupation institutionnelle au CRMTP sont concrètes pour proposer un cadre sur lequel peuvent s’appuyer et se régénérer les valeurs du soin : Projet médical, plan de formation, reconnaissance de l’engagement des référents CLUD, distribution des échelles EVENDOL aux nouveaux, etc…

Les réalisations concrètes comme la BOBOBOX permettent d’induire et/ou de rappeler des fondamentaux dans la pratique quotidienne.

La dynamique de sa création et de sa réalisation s’inscrit dans une philosophie de soins qui participe à organiser de manière incontournable la vie institutionnelle. Elle soutient et alimente une philosophie de nos pratiques en la rendant concrète et vivante.

Dans la pratique quotidienne d’un soin individualisé, basé sur l’observation de l’enfant, la BOBOBOX participe à concrétiser :
• la volonté institutionnelle d’une démarche de prise en charge globale autour de l’enfant et de sa famille,
• associée à l’« ambiance humanisante» du quotidien collectif, où la haute technicité est fondamentale et essentielle,
• inscrivant le soin relationnel comme un corollaire incontournable, respectant les valeurs éthiques des pratiques professionnelles, et la promotion de la bientraitance pour l’enfant, sa famille et les soignants.

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MàJ Décembre 2021