M. Millon, E. Fournier-Charrière (Unité Douleur)
A. Rafowicz, T. Lambert (Centre de Traitement des Hémophiles)
J.J. Benichou, JP Dommergues (Hôpital de Jour Pédiatrique Polyvalent)
D.T. Nguyen (Service d’épidémiologie et de Santé Publique)
Hôpital Bicêtre, 94270 Le Kremlin Bicêtre

L’hémophilie sévère (facteur de coagulation VIII ou IX < 1%) est une maladie génétique récessive autosomique liée à l’X touchant le garçon dont le pronostic a été radicalement transformé par les thérapeutiques récentes dites de “substitution”, mais qui demeure invalidante et très contraignante de par les soins nécessaires. Le traitement “substitutif” consiste en l’injection intraveineuse du facteur manquant : soit de manière prophylactique : injection systématique – 2 à 3 fois par semaine – ; soit de manière curative : injection du facteur manquant dès les premiers signes d’un saignement. L’arrêt du saignement par l’injection du produit anti-hémophilique (“substitution”) fait en règle générale régresser la douleur.

L’HEMOPHILIE ET LA DOULEUR
L’enfant hémophile sévère ressent des douleurs dues à sa pathologie et à son traitement.
La douleur est le premier symptôme d’un hématome ou d’une hémarthrose. Elle traduit le saignement, source de tension articulaire ou musculaire, accompagné ou non de compression nerveuse ou vasculaire ; elle dure quelques heures à quelques jours. L’enfant hémophile est “éduqué” à reconnaître la douleur comme un symptôme indiquant la nécessité d’une injection de facteur anti-hémophilique mais il n’a pas “appris” à réclamer un antalgique.

La douleur est liée à la perfusion : Les traitements se font obligatoirement par voie intraveineuse et imposent donc une douleur répétée liée à l’effraction cutanée. Ce soin est réalisé par une infirmière ou par les parents chez le petit enfant : cela met les parents en position de soignant, il devient difficile pour eux de penser à la douleur infligée ; puis l’enfant lui-même apprend à “s’auto-perfuser” dès l’âge de 10 ans : négliger la douleur que l’on s’inflige soi-même devient peut-être alors une loi.
La douleur de l’arthropathie chronique : Historiquement, avant l’ère des traitements substitutifs, les hémophiles devenus adultes souffraient d’une dégradation importante de leurs articulations qui faisaient d’eux des infirmes loco-moteurs ; cette arthropathie très invalidante nécessitait une consommation d’antalgiques morphiniques parfois considérable, c’est peut-être pourquoi les pédiatres prenant en charge les enfants hémophiles ont jusqu’à une date récente freiné la consommation des antalgiques. Les traitements actuels ont considérablement réduit les séquelles articulaires ; néanmoins des douleurs chroniques s’installent dès l’adolescence dans certaines articulations.

ANALYSE DES BESOINS
De nombreux ouvrages ont été rédigés sur le thème de la douleur. On sait que l’insuffisance de traitement de la douleur chez l’enfant est un fait de société qui a été mis en évidence depuis une quinzaine d’années (1). La douleur au cours de l’hémophilie est un sujet très peu abordé dans la littérature internationale : de très rares recherches ou commentaires ont été publiés (2,3,4). Les articles sur ce thème mettent en avant principalement les difficultés à prendre en charge cette douleur .

L’équipe du centre de traitement des hémophiles de Bicêtre a déjà réalisé des recherches sur la douleur et sa prise en charge par kinésithérapie et psychomotricité : la répercussion des accidents hémorragiques douloureux sur le schéma corporel a été ainsi mise en évidence (5). Notre recherche s’inscrit ainsi dans la continuité de ces travaux.

A l’heure actuelle, les enfants hémophiles “consomment” très peu d’antalgiques : pourtant les rares évaluations réalisées chez l’adulte hémophile (2,3) montrent que la douleur des saignements est très aiguë. On s’aperçoit que la crème anesthésiante EMLA® n’est pas connue ni employée par une grande majorité d’entre eux : pourtant la douleur liée à l’accès veineux, évaluée dans de nombreuses études (6,7), génère une détresse importante, surtout avant l’âge de sept ans.
Notre interrogation est donc : l’enfant hémophile est-il ou non un douloureux chronique méconnu ? Quelles propositions thérapeutiques pourraient être mises en œuvre pour améliorer le quotidien de ces enfants ? C’est une démarche tout à fait nouvelle dans la clinique des hémophiles.

OBJECTIFS
Les objectifs de cette recherche chez l’enfant hémophile sont donc :
è Evaluer la douleur liée à sa maladie et ses répercussions ;
è Evaluer la douleur liée au traitement et son impact ;
è Evaluer la prise en charge éventuelle en cas de douleur.
Trois questions en découlent :
è L’hémophilie est-elle une maladie douloureuse ?
è Son traitement est-il douloureux ?
è Lorsqu’une douleur est repérée, est-elle prise en charge ?

Dans cette optique nous avons recueilli l’opinion de l’enfant, de ses parents et de l’infirmière.

OUTILS, METHODOLOGIE
Nous avons donc constitué un guide d’entretien destiné :
è à l’enfant hémophile de plus de cinq ans ;
è aux parents de l’enfant hémophile ;
è à l’infirmière responsable des soins le jour du bilan.

Ces trois guides d’entretien permettent :
è de comparer la perception et l’évaluation de la douleur ressentie par l’enfant par l’enfant lui-même, par ses parents et par l’infirmière qui s’est chargée de ses soins.
è d’intégrer dans la recherche les enfants âgés de moins de cinq ans ne possédant pas de moyens d’expression suffisants pour participer à l’entretien, en interrogeant leur parent et leur infirmière.

Le guide d’entretien destiné à l’enfant âgé de plus de cinq ans et aux parents se divise en cinq thématiques et celui destiné aux infirmières en quatre thématiques.

Première thématique : la douleur, le jour du bilan médical
L’objectif est de savoir si l’enfant souffre le jour du bilan, si cette douleur est également reconnue par ses parents et son infirmière, si elle est traitée et d’en évaluer l’intensité par EVA.

Deuxième thématique : la douleur de l’hémophilie
L’objectif est d’évaluer la fréquence des événements douloureux liés à l’hémophilie en la comparant avec l’évaluation du parent, de savoir si cette douleur est signalée par l’enfant à ses parents et comment elle est traitée.

Troisième thématique : la douleur du traitement
L’objectif est de savoir si la perception de la douleur liée au soin évolue au cours du temps, de connaître la fréquence des piqûres et de savoir si cette douleur est prise en charge.

Quatrième thématique : la douleur des soins, le jour du bilan médical
Le jour du bilan, tous les enfants ont une perfusion. L’objectif est d’évaluer l’intensité de la douleur (EVA), de savoir si elle est prévenue et d’analyser le comportement de l’enfant pendant ce soin.

Cinquième thématique : perception globale de l’enfant hémophile
L’objectif est d’avoir un aperçu général de la douleur des hémophiles.

Etude de faisabilité
Afin d’élaborer ces guides d’entretien, nous avons rencontré l’équipe du centre de traitement des hémophiles, l’équipe douleur et un épidémiologiste de l’hôpital. Puis nous avons proposé le questionnaire à des enfants hémophiles, leurs parents et les infirmières de l’hôpital de jour. Cette recherche a été très bien accueillie. Ils ont été intéressés et soulagés d’aborder un sujet si peu discuté.

POPULATION
Le centre de traitement des hémophiles de l’hôpital Bicêtre est un centre de référence national et prend en charge 180 garçons de 0 à 18 ans, soit 10% de la population hémophile pédiatrique française. Sur ces 180 garçons présentant un trouble de la coagulation, 90 enfants présentent une hémophilie sévère, dont 83 souffrent d’hémophilie A et 7 d’hémophilie B.

Notre recherche sur la douleur de l’enfant hémophile se limite aux enfants présentant une hémophilie sévère de type A ou B, âgés de 0 à 18 ans ;

Nous présentons ici les résultats concernant les 42 enfants qui ont été vus à ce jour

Population étudiée Nombres d’entretiens
Enfants de plus de 5 ans 29
Parents 40
Infirmières 42

L’âge moyen est de 9 ans 8 mois (2 ans – 17 ans).

DEROULEMENT DE LA RECHERCHE
Le déroulement de l’étude obéit aux règles d’une étude longitudinale de cohorte.

Afin de standardiser le cadre dans lequel nous rencontrons l’enfant, ses parents et l’infirmière chargé de ses soins, nous avons décidé de les interroger le jour du bilan médical trimestriel se déroulant à l’hôpital de jour de l’hôpital Bicêtre (ils ne sont ainsi pas convoqués spécialement, nombre d’entre eux viennent de province).

Nous rencontrons en premier l’enfant après sa perfusion, ensuite ses parents et enfin l’infirmière. Pour les enfants âgés de moins de cinq ans, nous avons décidé de leur présenter la recherche et de leur expliquer que nous allions nous entretenir avec leurs parents et leur infirmière sur sa douleur. Durant l’entretien, l’enfant est présent avec ses parents, et est sollicité à intervenir.

RESULTATS
Première thématique : la douleur, le jour du bilan médical
Peu d’enfants présentent une douleur le jour du bilan. Pour ceux qui ont mal, leur douleur est rarement reconnue par leurs parents et par l’infirmière. Même si elle est reconnue, elle n’entraîne aucune prise en charge.

oui non total
Enfants
Aujourd’hui, est-ce que tu as mal ?
8 21 29
Infirmières
Aujourd’hui, pensez-vous que cet enfant a mal quelque part ?
3 39 42
Parents
Aujourd’hui, pensez-vous que votre enfant a mal quelque part ?
7 33 40

Deuxième thématique : la douleur des saignements
A la question rétrospective sur la fréquence des douleurs, l’enfant hémophile dit ressentir fréquemment des douleurs (1,8 fois par semaine en moyenne). Il a de la difficulté à comptabiliser le nombre d’événements douloureux. Ces douleurs dépendent de leur activité.

Fréquence moyenne D’après l’enfant D’après les Parents
Par semaine 1,8 fois 1,4 fois
Par mois 8,03 fois 5,6 fois

Certains enfants se plaignent d’avoir mal “par périodes” : des phases libres de symptômes succèdent à des phases de douleurs répétées.
La majorité des enfants informent rapidement leur entourage et principalement leur mère dès qu’ils ont mal. Ces enfants ont intégré le message médical : plus tôt ils le disent, plus rapidement ils ont leur traitement substitutif et plus vite leur douleur doit est soulagée : la consommation d’antalgique est faible. Mais en fait, d’après les enfants, la douleur ne semble pas s’arrêter immédiatement après le traitement de substitution.

Troisième thématique : la douleur du traitement
Les enfants ont en moyenne 2 à 3 piqûres par semaine.
Les prélèvements ou les traitements substitutifs sont-ils douloureux ? réponse des enfants :

La majorité d’entre eux considèrent cet acte comme “non douloureux”. Ils l’expliquent par l’habitude, la qualité des soins et qu’en “grandissant ils ont moins mal”. Seuls les plus jeunes déclarent l’acte douloureux. Le comportement de l’enfant pendant les piqûres évolue au cours du traitement. En grandissant, ils expriment de moins en moins leur douleur.
Il n’existe aucune prise en charge de la douleur liée à la piqûre.

Connais-tu la pommade Emla® ? l’enfant les parents
Oui 23 34
Non 6 29
Total 29 40

 

L’as-tu déjà utilisée ? l’enfant les parents
Oui 17 28
Non 12 12
Total 29 40

 

Tu l’utilises ? l’enfant les parents
Chaque fois 1 7
Quelques fois 5 7
Jamais 11 14
Total 17 28

La crème Emla® n’est pas connue de tous et est rarement utilisée. Elle n’est régulièrement utilisée que chez les très jeunes enfants. Les enfants expliquent qu’en grandissant ils n’en ont plus besoin, ils ont l’habitude de la piqûre, ils n’ont pas le temps et oublient de la poser.

Quatrième thématique : la douleur des soins, le jour du bilan
A l’hôpital de jour, la crème Emla® n’est utilisée que pour certains très jeunes enfants.

As-tu eu de la crème Emla® avant ton prélèvement ? Par l’enfant Par les parents Par l’infirmaière
Oui 0 5 5
Non 29 35 37
Total 29 40 42

L’évaluation de la douleur du prélèvement : elle est différente selon les enfants (EVA moyenne : 1.96), leurs parents (EVA moyenne : 2.59) et l’infirmière (EVA moyenne : 1.74) : les parents font en moyenne une évaluation de la douleur supérieure à celle des enfants et des infirmières (évaluation de la douleur de l’enfant : parents > enfant > infirmière). L’infirmière se fie principalement au comportement de l’enfant pour évaluer sa douleur. Quand l’enfant exprime sa douleur (cri, pleur, agitation…) durant le prélèvement, l’infirmière a tendance à évaluer plus fortement sa douleur. On ne constate aucun lien entre la description que nous fait l’enfant de son comportement et son évaluation. L’enfant ne semble pas exprimer sa perception douloureuse par son comportement.

Beaucoup enfants n’ont aucun comportement particulier pendant le prélèvement (18 sur 42 d’après l’observation infirmière), seuls les plus jeunes expriment leur douleur par des cris, des pleurs et de l’agitation. L’enfant, les parents et l’infirmière décrivent différemment le comportement de l’enfant pendant le prélèvement du jour: Sur les 42 enfants, l’âge moyen de ceux qui ont bougé, ou pleuré ou crié pendant le prélèvement est de 6 ans 2 mois.

Cinquième thématique : la douleur dans l’hémophilie
L’hémophilie est-elle une maladie douloureuse ?

La moitié des enfants considère que l’hémophilie n’est pas une maladie douloureuse, mais elle les différencie toutefois des autres enfants, elle les limite dans le sport et entraîne un traitement très lourd.

La majorité des parents pense que l’hémophilie est une maladie douloureuse. Ils expriment leur difficulté à vivre avec un enfant hémophile.

Les infirmières pensent que pour plus de la moitié des enfants, l’hémophilie est une maladie douloureuse. Elles mettent aussi en avant l’importance d’un soutien psychologique

DISCUSSION
En interrogeant l’enfant hémophile, ses parents et l’infirmière chargée de ses soins sur un même thème – la douleur ressentie par l’enfant – on remarque que leurs réponses sont très différentes. La douleur est une expérience subjective, chacun l’interprète différemment. L’enfant hémophile est celui à qui appartient la douleur. Il en fait ce qu’il veut : la nier, l’exagérer, l’exprimer ou la taireº Les parents sont spectateurs de la douleur de leur enfant. Ils l’expriment à travers leur affectivité et leur souffrance à avoir un fils hémophile. L’infirmière a un regard extérieur sur la douleur de l’enfant hémophile. Sa situation lui permet d’observer l’évolution de son comportement au cours de sa maladie. Elle exprime la douleur de l’enfant à travers son rôle de soignante.

L’enfant, les parents et l’infirmière ont chacun une vision très différente de la douleur, la reconnaissance de la douleur de l’enfant est possible dans un climat de dialogue et d’écoute.

Expression de la douleur
L’enfant a eu de la difficulté à exprimer sa douleur. Il utilise des termes médicaux. Les entretiens sont courts, l’enfant semble même opposé à parler de sa douleur. Ces difficultés peuvent s’expliquer de deux manières, soit les questions abordées durant l’entretien étaient trop incisives et l’enfant a refusé de s’exprimer, soit l’enfant ne souhaite pas s’exprimer sur sa douleur pour ne pas en prendre conscience. Les parents se sont largement exprimés durant l’entretien. Le thème de la douleur les intéressaient et ils semblaient contents que l’on aborde ce sujet qu’ils vivent fréquemment. Les infirmières ont simplement répondu aux questions. L’entretien se résumait à un questionnaire.

Douleur et intégration de la maladie
➦ L’enfant : les résultats de cette recherche montrent que c’est principalement les plus jeunes enfants qui expriment leur douleur, soit verbalement, soit comportementalement. En grandissant l’enfant met en place des mécanismes pour se défendre des émotions et de l’anxiété générées par la douleur. Les mécanismes de défense utilisés sont :

  • le déni de la douleur liée à l’hémophilie : 51,7 % des enfants interrogés pensent que l’hémophilie n’est pas une maladie douloureuse. Et le déni de la douleur du soin : 69 % des enfants interrogés déclarent que le traitement n’est pas douloureux.
  • le refoulement des événements douloureux. L’enfant a eu de la difficulté à comptabiliser le nombre d’événements douloureux sur une période d’une semaine. On sait que la mémorisation des évènements douloureux n’est pas fiable.
  • la banalisation de la douleur liée au traitement s’illustre par des réponses comme “j’ai l’habitude des piqûres, j’en ai depuis que je suis tout petit”.
  • l’isolation se traduit par l’apparente absence d’émotions dans le discours de l’enfant. Durant l’entretien, l’enfant hémophile utilisait un vocabulaire médical lui permettant de dissocier la représentation de sa douleur et les affects qui y sont liés. Cela entraîne un discours froid et distant.
  • la dénégation, l’enfant et les parents évitent de prendre conscience totalement de la douleur, car elle est signe de sa maladie. Ils essaient de tout faire pour ne pas laisser émerger cette évidence dans leur champ de conscience. Ce mécanisme de défense est présent dans la prise en charge de la douleur liée au soin. Au cours des entretiens, nous avons ressenti que l’enfant ne souhaitait pas trop en dire sur sa douleur, afin de ne pas la faire émerger dans son champ de conscience.

En proposant aux enfants une prise en charge de leur douleur liée au soin, on s’affronte à leur mécanisme de défense : les enfants ne sont pas demandeurs immédiatement d’une prise en charge de leur douleur.

è Les parents sont très sollicités dans la prise en charge de la maladie de leur fils. On leur demande d’être capables de diagnostiquer les signes de saignement et d’accomplir le traitement quand ils sont formés. Les parents d’enfants hémophiles doivent intégrer de nombreuses informations sur l’hémophilie et son traitement. Il est donc demandé aux parents d’assumer le rôle de soignant. Certains parents ont exprimé la difficulté qu’ils ont à assumer ce rôle.
è Les infirmières ont souligné l’importance d’un soutien psychologique auprès des enfants et de leurs parents.

Le courant d’autonomisation et de responsabilisation du malade est bien illustré dans l’hémophilie. L’enfant hémophile et sa famille doivent prendre en charge le diagnostic et le traitement. A l’adolescence l’enfant est formé à faire lui-même son traitement. Cet autonomisation ne doit pas isoler l’enfant et sa famille par défaut d’interlocuteur.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
Vérification des hypothèses de recherche
L’hypothèse de recherche proposée par l’équipe de la douleur : La douleur est très gênante dans la vie de l’hémophile et celle proposée par l’équipe responsable du centre de traitement des hémophiles : La douleur n’est pas le phénomène le plus gênant dans cette maladie semblent s’opposer. Les résultats de notre recherche illustrent bien cette contradiction. Les résultats des entretiens avec les enfants montrent qu’ils ne considèrent pas la douleur liée à l’hémophilie et à son traitement comme gênante. Selon eux, la douleur diminue en grandissant. Ils ont plutôt exprimé leur difficulté à vivre leur hémophile : les restrictions dans le sport, la différence, la piqûre. Les résultats des entretiens avec les parents montrent qu’ils considèrent la douleur liée à l’hémophilie comme gênante. Ils ont exprimé leur souffrance à avoir un fils hémophile. Les résultats des entretiens avec les infirmières montrent qu’elles considèrent la douleur liée à l’hémophilie comme gênante. Elles ont mis en évidence l’intérêt d’un soutien psychologique.

Le rôle du psychologue
Le psychologue a un rôle d’écoute, de soutien et d’accompagnement auprès de l’enfant, de sa famille et des soignants. Il doit offrir à l’enfant un espace où il puisse exprimer librement ses difficultés et ses affects douloureux afin de se réapproprier le discours porté sur lui. Il lui permet ainsi d’exprimer son ressenti afin d’éviter qu’il s’enferme dans la répétition d’un discours médical et de verbaliser toute son ambivalence : réaction d’anxiété, d’opposition voire de rejet face au traitement qu’il subit, afin qu’il élabore un travail psychique lui permettant de développer des stratégies d’adaptation, de compensation et de sublimation. Le psychologue doit être présent aussi auprès des parents et des soignants pour leur permettre d’exprimer leurs difficultés.

Ouverture sur d’autres recherches

è Cette recherche ne nous a pas permis d’explorer le poids de la douleur au quotidien. L’enfant tente de refouler les moments désagréables. Il n’y a donc pas de mémoire de la douleur. Pour cela il faudrait proposer à l’enfant un agenda de la douleur pour inscrire chaque jour les évènements douloureux éventuels, leur durée, leur intensité et les répercussions sur la vie de tous les jours. Cet outil nous permettrait d’évaluer l’impact réel de la douleur. Pour cela il faudrait rencontrer l’enfant plusieurs fois afin de ne pas le laisser seul face à sa douleur mais d’explorer avec lui sa douleur et les répercussions.
è Cette étude n’a pas permis de préciser la durée de la douleur après le traitement substitutif. Il serait intéressant de connaître le point de vue du prescripteur et du consommateur quand à l’efficacité antalgique du traitement substitutif. Les a priori actuels peuvent-ils limiter la consommation d’antalgique et laisser l’enfant vivre des périodes douloureuses ?
è La douleur liée au traitement a été minimisée par l’enfant, ses parents et l’infirmière. L’enfant met en place des mécanismes de défense (déni, minimisation, rationalisation…) pour éviter de prendre conscience de la douleur liée au traitement. De plus, le traitement leur permet de vivre presque comme les autres. Ils ressentent peut-être l’interdiction de se plaindre. Les enfants élevés avec la crème Emla® seront-ils différents ?

 

REFERENCES

 

1) Gauvain-Piquard, A., et Meignier, M. (1993) La douleur chez l’enfant. Paris, Calman-Lévy, 265p.
2) Choinière, M., Melzack, R. (1987). Acute and chronic pain in hemophilia. Pain, 31 : 317-331.
3) Spitzer A. (1993). The significance of pain in children’s experiences of hemophilia. Clinical nursing research, 2, 5-18.
4) Varni, Ph., James, W. (1988). Chronic and recurrent pain associated with pediatric chronic deases. Comprehensive pediatric nursing, 11, 145-158.
5) Alba AE, Lambert T, Desmarres C, Eudier H, Laurian Y.(1987) Impact de l’hémophilie sur le développement psychomoteur de l’enfant. Arch Fr Pediatr, 44 : 267-270.
6) Fradet C, McGrath PJ, Kay J, Adams S, Luke B. (1990). A prospective survey of reactions to blood tests by children and adolescents. Pain, 40 : 53-60.
7) Humphrey GB, Boon CMJ, Van Linden Van den Heuvell G, Van de Wiel HBM. (1992). The occurrence of high level of acute behavioral distress in children and adolescents undergoing routine venipuncture. Pediatrics, 90 : 87-91.