Ch. Berlemont, J. Nivoix, S. Laurensou
Service de néonatologie du Centre Hospitalier de Meaux
En néonatologie, outre le souci immédiat d’éviter ou de soulager la douleur, se pose la question des conséquences à long terme des évènements douloureux et du stress subis durant une période clé du développement. Prévenir ou traiter la douleur et réduire le stress dans les unités de néonatologie sont deux notions étroitement liées. Parallèlement les équipes de néonatologie s’intéressent de plus en plus au développement de soins personnalisés et à l’apport de stimulations positives visant à améliorer l’évolution des prématurés à court, moyen et long terme. Le peau à peau s’intègre dans cette démarche globale : il procure à l’enfant des périodes de calme, d’apaisement, il produit des stimulations sensorielles notamment tactiles positives, il développe les interactions mère-enfant.
Sensibilisés à l’intérêt du peau à peau depuis plusieurs années (depuis 1995 à Meaux), nous avons voulu faire le point sur l’implication de l’équipe, les bienfaits observés chez les enfants, le ressenti des parents mais aussi sur les difficultés rencontrées afin d’améliorer notre pratique du peau à peau et, modestement, faire bénéficier d’autres équipes de notre expérience.
Le service de néonatologie de l’hôpital de Meaux est un service de niveau IIb accueillant des nouveau-nés prématurés ou à terme en provenance de maternité ou de réanimation et ne nécessitant pas de ventilation artificielle de plus de 24h. Depuis 6 ans, nous proposons aux parents de prendre leur enfant en “kangourou ”. Nous nous sommes inspirés de la méthode de portage utilisée en Colombie et développée par Nathalie Charpak. Cette méthode consiste à placer l’enfant nu contre la poitrine de la mère ou d’un proche, de façon ininterrompue en position orthostatique. Le parent remplace la chaleur de l’incubateur et cela permet la mise au sein précoce du bébé grâce à l’expression manuelle. Mais, si à Bogota la méthode “kangourou ”permet la survie des prématurés, dans nos pays industrialisés la technicité assure la viabilité des plus petits. Par contre, les parents bouleversés par la naissance prématurée de leur enfant se culpabilisent et se sentent dépossédés de leur bébé pris rapidement en charge par l’équipe de soins.
En 1999, nous avons débuté une étude après plusieurs années de pratique de la méthode peau à peau. Cette étude a débuté par un état des lieux auprès des soignants afin de recueillir leur avis sur cette méthode. Les résultats ont montré un personnel motivé pour appliquer et étendre la fréquence ainsi que la durée du peau à peau ; le personnel est unanime pour dire que cette méthode améliore les relations parents-enfant ainsi que l’état de l’enfant et qu’elle offre une chance supplémentaire au bébé de séduire ses parents sans la barrière de l’incubateur.
Dans notre service, si l’équipe soignante considère que les mises en “kangourou” peuvent devenir une charge de travail supplémentaire, c’est qu’elle les considère comme un soin au même titre qu’une toilette. Une majorité des soignants pensent que leurs relations avec les parents sont améliorées grâce aux mises en peau à peau. En effet, nous leur consacrons un réel temps d’écoute et de présence. Ce moment permet aux parents, isolément ou à deux, de parler, d’exprimer leurs craintes, leurs angoisses, leurs peurs quant à l’avenir et parfois d’évacuer ce qu’ils ont pu vivre pendant la grossesse et à l’arrivée de leur enfant un peu trop tôt.
Catherine Druon décrit cette période ainsi :
La grossesse brutalement interrompue, ce bébé éloigné de la maternité par des soins nécessaires à sa survie, font que ce n’est pas la “préoccupation maternelle primaire” qui s’installe, mais une “préoccupation médicale primaire”.
Deuil de la grossesse, deuil d’une naissance normale avec ses tensions puis sa joie, deuil d’un nouveau-né rose et joufflu dans son berceau, peur, inquiétude pour cet enfant parfois trop petit, trop fragile, devant déjà se battre pour vivre, aidé par toute une technique et un personnel qui serait compétent alors que les parents, eux, n’auraient pas su “terminer ” leur propre bébé, jalousie par rapport à ce personnel qui s’occupe de leur enfant, obstacle de l’incubateur et des différents “fils ” reliant le bébé à des machines… La charge émotionnelle portée par les parents lors de la découverte de leur bébé et des jours qui suivent est énorme. Les premiers instants sont primordiaux. La force des premiers investissements affectifs détermine pour longtemps la qualité des liens parentaux envers leur enfant hospitalisé.
Quant au bébé, il quitte un nid douillet, un contenant rassurant aux sons filtrés et lumières tamisées (le ventre maternel) pour un environnement bruyant, lumineux ; parfois sans cocon pour les contenir ; sans la voix de ses parents et le contact de leurs mains, la chaleur de leur présence. Détresse intense de ces nouveau-nés à qui il faut absolument faire des soins douloureux : on les étend, les prélève, les perfuse, on les morcelle dans leur petit corps avant même qu’ils n’aient conscience de leur intégrité. Le bébé, éponge émotionnelle, ne rencontre que le stress de cette équipe qui s’active autour de lui.
Aider les parents à aller à la rencontre de leur enfant, à s’investir ; aider cette famille à se créer, lutter contre cette douleur physique et psychique ; aider à développer un lien de plus en plus grand, voilà quelques objectifs de la mise en kangourou.
Au sein de notre service, nous avons effectué une étude d’une durée de 10 mois, portant sur 49 enfants et permettant de recueillir 193 grilles d’évaluation, portant sur les conditions d’installation et une observation de l’enfant avant, pendant et après la séance de peau à peau. Cette étude avait pour but de s’assurer de “l’innocuité”, voire des bienfaits du peau à peau sur les enfants installés et leurs parents.
Les bébés mis en “kangourou ” avaient entre 1 et 60 jours avec un terme compris entre 29 SA + 2 jrs et 40 SA +5 jrs. Leur poids allant de 1040 gr à 2660 g. La majorité d’entre eux avait un gavage gastrique continu, un quart était porteur d’un cathétérisme central et seulement 3% d’un abord veineux périphérique. 4% étaient sous oxygénothérapie (lunettes, ppc).
Comme les précédentes études faites, il apparaît que la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire, la saturation en oxygène et la température sont augmentées ou égales après la séance de peau à peau dans plus de la moitié des cas observés et les résidus gastriques sont diminués ou identiques. Une majorité des enfants a pris du poids le lendemain de la séance (une moyenne de 30 gr par jour). Concernant les pressions des cathétérismes centraux, les pressions étaient en majorité diminuées.
Sur le plan comportemental, les enfants sont en majorité calmes avant et pendant la séance de “kangourou”. Par contre, la plupart exprime leur mécontentement de quitter leur parent après cette séance relationnelle privilégiée. Les pleurs et une agitation transitoire après leur réinstallation dans l’incubateur sont les deux comportements fréquemment observés.
Parallèlement à notre observation de l’enfant, nous avons recueilli le ressenti des parents qui ont pratiqué cette méthode. Nous avons eu 50 questionnaires remplis durant les 10 mois de l’étude. La majorité des parents ne connaissait pas cette méthode relationnelle. La première installation en “kangourou” est attendue avec impatience et curiosité (“que vont-ils ressentir ?”). Après avoir goûté aux séances de peau à peau, 70% pensent que cette méthode a une répercussion positive sur l’état de santé de leur enfant, leur bébé étant plus calme. Ils instaurent une relation privilégiée physique (par l’odeur, les battements de cœur, la chaleur) et psychologique. Le peau à peau, d’après leurs dires, permettrait une “communication plus riche entre la mère et son enfant”.
De plus, seuls les parents mettent leur enfant en “kangourou” :c’est une relation qui n’appartient qu’à eux, un contact que les soignants ne peuvent avoir ; une participation active des parents auprès de cet enfant. C’est aussi une façon de terminer la grossesse pour certaines mamans. Grâce au peau à peau, les parents ne sont plus simplement spectateurs des soins donnés à leur enfant mais deviennent acteurs dans la survie, dans l’éveil à la vie de leur bébé dans un climat de confiance parents/soignants.
Bien sûr, le “kangourou” est formidable, toute l’équipe est persuadée de son intérêt mais, malgré notre expérience de 6 années, nous rencontrons encore des difficultés.
Difficultés d’installation par rapport au matériel employé
Actuellement, nous demandons aux parents d’enfiler un jersey tubulaire sur le torse nu (les mères choisissant de garder ou non leur soutien-gorge) à la manière d’un bustier avant de remettre par-dessus leur blouse de service. Nous les installons le plus confortablement possible dans un fauteuil et glissons leur bébé en couche culotte dans le jersey. L’enfant y est ainsi maintenu en position orthostatique contre le thorax de son parent. Malheureusement le jersey employé se détend et le risque est que l’enfant “glisse” et se retrouve lové en boule sur le ventre du parent qui n’ose pas toujours attraper son enfant pour le réinstaller.
Difficultés d’installation par rapport au temps passé en “kangourou”
De 1 à 3 heures ou plus : le personnel présente encore malheureusement le temps du “kangourou” de façon inhomogène et personnelle à chaque soignante. Il existe les partisanes du “autant que vous voulez”, celles du “une heure minimum pour que l’enfant profite de cette séance” et celles du “deux ou trois heures minimum sinon ce n’est pas la peine”. Et certains parents renoncent parfois faute de temps.
Difficultés d’installation par rapport au moment idéal pour le “kangourou”
Les parents doivent être disponibles mais également les soignants. Et nous restons à la merci d’une entrée ou d’une urgence. Certains parents préfèreraient faire du peau à peau le matin : là aussi il y a souci d’organisation entre les différents acteurs (la toilette, la visite du pédiatre, parfois le kinésithérapeute et les parents).
Difficultés d’installation par rapport à la structure du service
Notre service entièrement vitré et non muni de stores peut devenir une gêne pour certains parents. Nous avons mis en place un système de draps pour isoler le parent du regard des autres.
Difficultés par rapport aux bébés pouvant être mis en “kangourou”
Nous hésitons très fréquemment à mettre en “kangourou” des enfants ayant une perfusion périphérique précieuse (épicrânienne ou enfant très difficile à perfuser). Nous avons aussi vécu le cas d’une escarre suite à une séance avec un abord périphérique. Les enfants sous oxygénothérapie nous font aussi de temps en temps hésiter car ils demandent un temps d’installation assez long et une surveillance accrue avec monitoring.
Difficultés par rapport au matériel nécessaire à l’enfant
Monitorage, saturation en oxygène sont-ils nécessaires aux enfants ne présentant pas ou rarement d’apnées, de bradycardies ou de désaturations, la stimulation cardio-respiratoire “naturelle ” du peau à peau étant bien démontrée. Est-ce à la puéricultrice ou à l’infirmière qu’incombe le choix de laisser ou non un monitorage ou est-ce une prescription médicale après consensus de l’équipe ? La majorité des soignants est pour un arrêt du scope pendant la mise en peau à peau (si l’enfant est stable depuis longtemps) parce que le scope peut inquiéter le parent qui surveille le tracé plutôt que d’être tout à son enfant. De même, faut-il fixer un poids en dessous duquel une couverture serait mise systématiquement en plus du jersey ?
Quelle autonomie pouvons-nous laisser aux parents ?
A partir de quel moment pouvons-nous et devons nous laisser les parents seuls pour installer leur enfant en “kangourou” ? Il n’est pas facile de ne pas tirer la sonde gastrique, les divers fils, faire attention à une perfusion… ; d’un autre côté cela permet aux parents de développer leur autonomie.
Les mises en peau à peau sont aussi un moment d’échanges privilégiés entre le soignant et les parents qui, plus détendus, s’expriment parfois plus facilement. Laisser le parent gérer le “kangourou” pourrait réduire cette relation avec l’équipe soignante.
Difficultés provenant des enfants
Durant cette étude, nous avons été obligés d’arrêter les mises en peau à peau pour 2 enfants. Ceux-ci, malgré le grand désir des parents de continuer et notre vigilance lors de leur installation, se détendaient et s’endormaient si profondément qu’ils désaturaient de façon importante et prolongée avec des apnées nécessitant de fréquentes et vigoureuses stimulations de notre part, ce qui nous amène à nous montrer plus vigilants lors des premières installations car nous ignorons quels enfants sont “inaptes” au “kangourou”.
Pour conclure, nous ajouterons que cette méthode de portage associée à une prise en charge globale de la douleur et du confort avec différents moyens (l’administration de sucre, la crème Emla, le cocon…) nous permet d’offrir aux nouveau-nés et à ses parents des soins de meilleure qualité. Nous avons ainsi pu développer une écoute plus juste des parents, de leurs attentes et angoisses tout en restant vigilants afin de ne pas rendre obligatoire ce mode de relation. Le choix de la mise en “ kangourou” appartient aux parents et à leur bébé.
BIBLIOGRAPHIE
1) | K.J.S. Anand F.M.Scalzo : Can adverse neonatal experiences alter brain development and subsequent behavior ? , Biol Neonate 2000 ;77 :69-82. |
2) | Catherine Druon «A l’écoute du bébé prématuré», Ed. Aubier, 1996. |