Juin 1998
Selon les articles L. 710-3-1 et 710-3-2 de la Loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d’ordre social, les établissements de santé sont tenus de prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent. Ces moyens doivent être définis par le projet d’établissement visé à l’article L. 714-11.
Pour faciliter l’organisation de cette prise en charge, le CNMD incite ses membres à concourir à la création d’un COMITE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR (CLUD) dans tout établissement d’hospitalisation public ou privé, dès lors qu’il concourt au service public hospitalier.
Les modalités d’organisation des CLUD définies dans le présent document à l’issue des travaux d’une commission du CNMD et approuvées par le conseil d’administration du Collège* doivent être considérées comme des suggestions destinées à faciliter la mise en place des comités tout en garantissant une certaine homogénéité de leur composition et de leur fonctionnement.
1. DE L’UTILITE D’UN COMITE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR
L’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP) a adopté la définition suivante : « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles ou décrites en termes de telles lésions ».
La douleur aiguë et la douleur chronique :
La douleur aiguë a valeur de signal d’alarme, de symptôme aidant au diagnostic : généralement, elle décroît lorsqu’un traitement de sa cause est institué. Cette constatation ne dispense en aucune manière du traitement symptomatique de la douleur aiguë. Dès lors qu’elle a été perçue, son maintien, inutile voire néfaste pour le patient, facilite l’évolution vers la chronicité.
La durée d’évolution est l’élément prépondérant qui permet de distinguer une douleur aiguë « signal d’alarme » et une douleur chronique « douleur maladie ». Une douleur chronique est une douleur qui évolue depuis 3 à 6 mois. La douleur qui persiste et qui est rebelle aux antalgiques usuels va envahir le langage, retentir sur la vie quotidienne du patient et devenir invalidante. Elle est soit permanente, quotidienne (douleur cancéreuse, algie post-zostérienne, céphalées de tension chronique…), soit intermittente (névralgie faciale, migraine, algie vasculaire de la face, crise drépanocytaire…). Au stade de douleur chronique, elle représente pour le patient l’essentiel de sa maladie avec un fort retentissement psychologique et social.
Qualité de la prise en charge de la douleur.
L’évaluation de l’intensité et des conséquences de la douleur est une étape essentielle pour faciliter la prise en charge de la douleur. Cette étape est parfois malaisée, notamment aux âges extrêmes de la vie (enfant, sujet âgé) et lorsqu’il existe des difficultés de communication (patients handicapés).
Evitables et/ou maîtrisables dans un certain nombre de cas, mais toujours susceptibles d’être expliquées et accompagnées, les douleurs peuvent conduire à l’allongement du temps de séjour à l’hôpital et être génératrices de complications quand elles ne sont pas maîtrisées.
La qualité insuffisante de la prise en charge de la douleur peut avoir un impact négatif auprès d’un public de mieux en mieux informé et averti de ses droits, nuisant ainsi à la réputation de l’établissement.
Le comité de lutte contre la douleur ne saurait être considéré comme une instance consultative supplémentaire. Il s’agit d’un centre de réflexion et de proposition appelé à travailler en collaboration effective et permanente avec la direction de l’établissement et la CME (ou CCM) ainsi qu’avec les services cliniques, la pharmacie et les services administratifs et techniques. Les COMITES DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR n’ont pas pour mission d’assurer directement la prise en charge de la douleur qui relève des services cliniques et des structures spécialisées de traitement de la douleur.
2. LES MISSIONS ET RESPONSABILITES DU COMITE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR.
Il n’existe pas de système unique de prise en charge de la douleur applicable à l’ensemble des établissements de santé. Quelles que soient les modalités retenues, la prise en charge de la douleur incombe à tout service clinique avec l’aide, si besoin, des structures spécialisées (consultations, unités, centres d’évaluation et de traitement de la douleur) lorsque l’établissement en dispose.
Les responsabilités du CLUD sont :
- de proposer, pour améliorer la prise en charge de la douleur, les orientations les mieux adaptées à la situation locale et qui doivent figurer dans le projet d’établissement (article L. 710-3-1 du code de la santé publique),
- de coordonner au niveau de l’ensemble des services de l’établissement toute action visant à mieux organiser la prise en charge de la douleur, quels qu’en soient le type, aigu ou chronique, l’origine, maligne ou non, et le contexte (âges extrêmes de la vie, handicap, maladies mentales, situation de grande précarité, phase terminale de la vie, urgences, douleurs provoquées par les gestes invasifs…),
- d’aider au développement de la formation continue des personnels médicaux et paramédicaux de l’établissement,
- de susciter le développement de plans d’amélioration de la qualité pour l’évaluation et le traitement de la douleur.
Afin de coordonner, selon des méthodes propres à chaque établissement, l’action des différentes parties prenantes, les CLUD feront preuve dans la réalisation de cette mission, délicate, de toute la vigilance, la discrétion et du savoir faire nécessaires. Grâce à un recueil soigneux des informations cliniques et des besoins de l’établissement, ils pourront proposer une stratégie cohérente et adaptée devant aboutir à la prise en compte effective de toutes les douleurs, aiguës ou chroniques.
Ils susciteront et animeront au sein et à l’extérieur des établissements une véritable « culture douleur ». Ils pourront y parvenir en mettant en oeuvre un ou plusieurs projets d’action, en se fondant sur des standards reconnus (protocoles, recommandations, outils d’évaluation…), de façon à ce que la prise en charge de la douleur devienne une attitude systématique. Ils s’assureront de la qualité de l’évaluation de la douleur en organisant l’acquisition et la généralisation de l’utilisation des instruments de mesure de l’intensité de la douleur, la formation des personnels à leur utilisation et la mention des résultats de l’évaluation dans les dossiers de soins et/ou sur les pancartes.
Ils veilleront à la diffusion et à la mise en application locale des travaux validés par l’ANAES en ce domaine.
Ils s’attacheront à proposer des protocoles adaptés à la prévention des douleurs liées aux actes diagnostiques et thérapeutiques potentiellement douloureux.
Ils animeront la réflexion en faveur d’une meilleure prise en charge de la douleur en fonction des pathologies traitées par l’établissement de santé. En outre, le comité veillera à une utilisation rationnelle des moyens thérapeutiques médicamenteux et non médicamenteux au sein de l’établissement. Enfin les CLUD peuvent également proposer toute recommandation ou exprimer des avis à la demande de la Direction de l’Etablissement sur les acquisitions d’équipements ou de matériels susceptibles d’avoir une répercussion sur la prévention et la prise en charge des douleurs.
Ils participeront à l’information des patients en diffusant les brochures mentionnant les modalités de prise en charge de la douleur chronique dans l’établissement, en favorisant des enquêtes sur la satisfaction des patients en matière de douleur notamment aux urgences, en période postopératoire, dans les services d’onco-cancérologie et de prise en charge du sida, dans les services de pédiatrie et de gériatrie.
Ils réuniront la documentation disponible sur les Programmes d’Assurance Qualité en matière de douleur et en assureront la promotion et la mise en route au sein de l’établissement.
En d’autres termes, ils auront un rôle d’observatoire de la prise en charge de la douleur dans l’établissement.
3. LA COMPOSITION DU COMITE :
1. LES ETABLISSEMENTS HOSPITALIERS PUBLICS
Pour qu’un groupe de travail soit efficace, il paraît souhaitable que le nombre de ses membres reste limité. Le CLUD d’un établissement hospitalier public de taille moyenne pourrait rassembler 12 personnes.
Le président (ou le vice-président) de la Commission Médicale (ou du Comité Consultatif Médical, CCM) de l’Etablissement (CME) appartient d’office au comité.
a) les membres désignés :
C’est au président de la CME (ou de la CCM) qu’est confiée la charge de choisir les autres membres du CLUD qu’il désigne après concertation avec le directeur de l’établissement en veillant à assurer la pluridisciplinarité du Comité qui doit refléter la spécificité de l’établissement.
Le CLUD est une instance pluridisciplinaire. Il comporte des praticiens hospitaliers (universitaires ou non) des services cliniques (médecine, chirurgie) et autres services spécialisés.
Il est souhaitable que le pharmacien responsable de la pharmacie de l’établissement ou à défaut le pharmacien gérant siègent au comité.
Au moins un tiers et au maximum la moitié des membres du CLUD sera formé par des représentants des personnels soignants. Ceux-ci sont proposés par le Directeur du SSI (ou son représentant) qui en est membre.
La présence d’un psychologue est souhaitable.
Lorsque l’établissement compte des structures de prise en charge de la douleur (consultation, unité, centre), identifiées selon les procédures dictées par la circulaire DGS/DH n°98/47 du 4 février 1998, et des structures de soins palliatifs, leur responsable sera membre du comité.
b) les membres associés :
Hormis les membres désignés ci-dessus siégeant avec voix délibérative, le directeur général (ou le directeur) de l’établissement est étroitement associé aux travaux du comité où il a voix consultative.
Il est responsable du secrétariat des travaux de la commission. Il peut se faire représenter ou assister par toute personne de son choix en fonction des questions traitées, notamment le chargé des affaires économiques lorsque sont en cause les clauses techniques des marchés d’équipements sanitaires ou de matériel médical et l’ingénieur biomédical ou sanitaire quand sont abordés les problèmes d’équipements et de matériels.
c) les cas particuliers :
- dans les établissements qui ne sont constitués que d’un seul service, et dans les hôpitaux locaux, c’est la commission médicale d’établissement, telle qu’elle est composée en application des dispositions des articles 7 et 11 du décret n°72-1079 du 6 décembre 1972 relatif à la commission médicale consultative, qui fait office de comité de lutte contre la douleur.
- dans les établissements qui sont distincts du siège, à défaut de mise en place d’un comité local, le CLUD du siège désignera au moins un correspondant chargé de le représenter sur place. Si les correspondants ne sont pas membres du CLUD du siège, ils participeront avec voix consultative aux réunions du dit comité.
2. LES ETABLISSEMENTS HOSPITALIERS PRIVES
Les établissements à but non lucratif, ainsi que les établissements concessionnaires visés aux articles 41 et 42 de la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière, ont toute latitude pour constituer leur comité de lutte contre la douleur. S’appuyant sur des structures conformes à leur statut, ils pourront s’inspirer utilement des recommandations proposées pour les établissements publics.
4. LE ROLE DU PRESIDENT DU COMITE
- Dans les établissements publics d’hospitalisation, lors de la première réunion qui suivra aussitôt sa constitution, le comité de lutte contre la douleur procédera à l’élection, à la majorité simple de ses membres désignés à titre permanent, de son président et de son vice-président, dont l’un au moins appartient au corps des praticiens hospitaliers.
La durée du mandat des membres désignés du CLUD est la même que celle du mandat des membres de la CME.
Le renouvellement des mandats au comité s’effectue à la même date que celui des mandats de la CME (ou du CCM). - Le président arrête la date des convocations et fixe l’ordre du jour des séances qui se tiennent au moins trois fois par an. A la demande du directeur de l’établissement et du président de la commission médicale d’établissement, le président doit pouvoir convoquer une séance extraordinaire. En cas de partage des voix lors d’une délibération du comité, celle du président est prépondérante.
- Le président est chargé de la mise en œuvre du recueil des informations relatives à la prise en charge de la douleur dont les modalités de saisie sont arrêtées en accord avec la direction de l’établissement. Il en contrôle la transmission et en assure l’explicitation. A ce titre, il est habilité à recueillir les informations détenues par les chefs de service et leurs collaborateurs praticiens des services cliniques et des services pharmaceutiques et les médecins du travail : ceux-ci ne peuvent pas lui refuser la communication de ces informations.
Au nom du comité, le président peut également demander à la structure de prise en charge de la douleur identifiée selon la circulaire DGS/DH n°98/47 du 4 février 1998, ou au service de soins infirmiers, les examens, études, contrôles ou vérifications qu’il jugera nécessaires. - Le président propose les modalités de la coordination des actions entreprises dans l’établissement pour lutter contre la douleur. Cette coordination est mené en concertation avec le directeur de l’établissement, notamment pour harmoniser les actions de prévention ou les investigations conduites en vue d’améliorer la prise en charge de toutes les douleurs et d’introduire une véritable “ culture de lutte contre la douleur ” au sein de l’établissement. Dans certains cas, la coordination implique l’association du médecin du travail et des médecins conseils des régimes d’assurance maladie aux travaux du comité de lutte.
- Le président peut entendre à sa demande, soit personnellement, soit devant le comité, en accord avec le directeur de l’établissement, tout membre du personnel soignant ou appartenant aux services administratifs et techniques. Dans les mêmes conditions, il peut faire appel, s’il le juge utile, à des consultants extérieurs issus d’autres établissements hospitaliers, susceptibles d’apporter leur concours à la lutte contre la douleur.
C’est en ce sens qu’une coopération doit s’organiser par l’intermédiaire des syndicats interhospitaliers. Elle doit permettre les échanges d’informations et d’expériences, éventuellement la prise en charge commune des dépenses de formation trop lourdes pour les établissements de dimension réduite. A cet égard, les médecins inspecteurs départementaux et régionaux de la santé qui peuvent être entendus par le comité, sur leur demande, ont un rôle d’informateurs entre les établissements, afin de permettre une meilleure lutte contre la douleur. - Un rapport d’activité transmis chaque année au Directeur de l’établissement et à la Commission Médicale d’Etablissement sera l’occasion de fournir un bilan des actions entreprises, une évaluation des résultats obtenus dans la lutte contre la douleur et l’amélioration de la qualité des soins, ainsi que le programme des actions de prévention à poursuivre ou à développer ou des actions correctives à entreprendre l’année suivante. Ce programme comportera tout particulièrement des mesures destinées à l’information et à la formation des personnels. Le rapport type devra mentionner le relevé des consommations : équipement, médicaments, et des dépenses. Du fait des dépenses que ce programme est susceptible d’entraîner, il appartiendra à la Direction de l’établissement de les incorporer dans les propositions budgétaires soumises à délibération, dans la limite des dotations budgétaires imparties. A ce bilan et à ce programme est joint l’avis de la CME (ou du CCM). Seules les informations contenues dans les rapports et les programmes annuels d’activité ayant reçu l’aval de l’assemblée délibérante pourront être rendues publiques et communiquées à des tiers. D’une manière générale, toutes les personnes participant, à un titre ou à un autre, aux travaux du comité sont soumises au secret professionnel. Le rapport annuel sera transmis aux Agences Régionales d’Hospitalisation qui en feront une synthèse.
5. MISE EN ŒUVRE ET PERSPECTIVES
Après la mise en place effective des comités de lutte contre la douleur, se tiendra un forum des Présidents de ces comités, organisé par le Collège National des Médecins de la Douleur, si possible avant la fin de l’année 1998.
A cette occasion, un premier bilan de l’activité des CLUD pourra être dressé et, le cas échéant, des ajustements proposés en particulier en ce qui concerne les modalités de recueil des informations et leur nature.
D’ores et déjà, les modalités de suivi des actions menées doivent être définies par le comité à partir d’objectifs clairement exposés par lui et qui comportent :
- l’identification des problèmes au sein de l’hôpital et la détermination des priorités d’action ;
- la mise en place des moyens permettant l’évaluation de l’intensité des douleurs et de leurs conséquences ;
- la mise en place de protocoles permettant de lutter contre toutes les douleurs ;
- l’évaluation d’actions de prévention.