Zoom sur la kétamine

in Les 31èmes Journées Pédiadol, mars 2025
Dr Benoît BRETHON, Pédiatre, Hôpital Robert-Debré, AP-HP, Paris
Emilie-Marie RUDENT, Infirmière référente en soins, service d’Immuno-Hématologie, Hôpital Robert Debré, AP-HP, Paris

En septembre 2014, dans le cadre de notre démarche d’amélioration continue de la prise en soins de la douleur, nous avons pu mettre en place l’utilisation de la kétamine lors de gestes invasifs. Cette dernière émane d’un travail réalisé en amont entre les équipes pédiatriques d’hématologie, d’anesthésie et l’équipe douleur au sein de l’hôpital Robert Debré / Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP). Ce groupe de travail avait vu le jour suite à des gestes invasifs mal vécus par certains enfants et des échecs répétés pour d’autres, ayant nécessité de les réaliser au bloc opératoire sous anesthésie générale. L’équipe douleur s’est inspirée des prises en charge réalisées sous kétamine dans d’autres hôpitaux : l’hôpital Armand Trousseau / APHP, le CHU de Toulouse et le CHU de Bordeaux, afin de construire un protocole dans notre hôpital. Ce protocole comprend plusieurs feuillets : l’administration du traitement avec les surveillances associées, les checklists pré-administration et la feuille de transmissions / surveillance.
La kétamine est un antagoniste puissant du récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA). Ce récepteur est connu pour jouer un rôle important dans les phénomènes de sensibilisation centrale. C’est un récepteur inotrope activé dans des conditions physiologiques par le glutamate et la glycine qui sont essentiels à la mémoire et à la plasticité synaptique. La kétamine bloque les récepteurs NMDA du glutamate au niveau du cerveau, ce qui produit des effets anesthésiques et analgésiques.
A faible dose, la kétamine a un effet anti-hyper algésique puissant. Elle est utilisée en péri-opératoire pour diminuer la douleur et la consommation d’opioïdes postopératoires et prévenir la chronicisation des douleurs. Son utilisation s’est étendue progressivement dans la prise en charge des douleurs aux urgences, les douleurs neuropathiques rebelles et le traitement des dépressions résistantes. L’état anesthésique induit par la kétamine est caractérisé par une analgésie profonde et prolongée, une perte de conscience qui se traduit plus par une déconnexion du patient que par un sommeil véritable. Sur le plan pharmacologique, après l’injection, la 1/2 vie de distribution est d’environ 10 minutes, par conséquent l’effet est immédiat puis décroit rapidement. La 1/2 vie d’élimination est d’environ 2
heures et augmente en cas d’altération du métabolisme hépatique. Ce médicament peut s’accumuler en cas d’injections répétées ou d’administration continue. Le métabolisme passe par la voie des cytochromes P450.
L’administration de kétamine en bolus est conditionnée à des contraintes et des mesures de sécurité. Le patient doit être à jeun plusieurs heures avant. L’utilisation doit se faire avec prudence en cas d’hypertension intracrânienne. La co-administration d’autres prémédications doit être mûrement réfléchie. Un surdosage ou une interaction médicamenteuse peut retarder le réveil et se manifester par une dépression respiratoire modérée. Malgré tout, la marge de sécurité est importante. Les effets indésirables les plus fréquents sont des mouvements arythmiques involontaires des yeux, une hypertension artérielle, une tachycardie, des hallucinations, des cauchemars et une désorientation. Un peu moins fréquemment : raidissement musculaire, nausées / vomissements, salivation excessive, anxiété. Exceptionnellement : spasme laryngé.
La mise en place dans le service d’hématologie a été rendue possible grâce à l’organisation d’une formation destinée à l’équipe soignante. Dans un premier temps, l’équipe douleur se rendait disponible à chaque administration, afin de former tout le groupe et d’assurer une administration optimale et sécurisée. Par la suite, les soignants formés ont pris en charge la formation de leurs collègues. En pratique, l’enfant et sa famille sont informés à l’avance du geste invasif. Le jour J, le soignant informe la famille de l’heure de l’examen (donc de l’heure de début de jeûne), pose la crème anesthésiante au niveau du site de prélèvement avant le geste invasif, et administre les co-analgésies prescrites. A l’heure de la réalisation du geste invasif, l’IDE prépare 2 ou 3 seringues de kétamine au poste de soins, selon la prescription médicale. Cette préparation est réalisée en double contrôle IDE-IDE. L’équipe se rend ensuite dans la chambre de l’enfant, qui a été évalué médicalement au préalable. Elle doit être composée à minima d’un médecin, une IDE et une personne formée à l’utilisation de la kétamine. En pratique, une auxiliaire de puériculture est également présente pour accompagner et rassurer l’enfant tout au long du soin. Lors de la procédure, il est essentiel de maintenir une ambiance calme afin de prévenir le risque de dysphorie. Le nombre d’injections de kétamine est ajusté en fonction de la réponse de l’enfant. Un délai minimum de cinq minutes doit être respecté entre chaque injection. Tout au long du geste, mais également durant les deux heures suivantes, l’enfant reste scopé afin de réaliser une surveillance hémodynamique rapprochée.

Nous avons mené une enquête au sein de notre service d’hématologie et immunologie pédiatrique de l’hôpital Robert Debré / APHP, en hospitalisation conventionnelle (HC) et en hôpital de jour (HDJ) de médecine, afin de pouvoir partager un retour d’expérience sur cette utilisation. Tous les personnels médicaux, séniors et juniors internes compris, et les soignants non médicaux, ont été sollicités par e-mail pour répondre de façon anonyme à un questionnaire entre le 13 et le 18 janvier 2025. Nous n’avions pas la possibilité de déterminer le nombre de gestes réalisés sous kétamine par an. Cependant, il ne se passe pas une semaine sans une telle procédure. 50 réponses ont été obtenues : 13 médecins, 5 internes, 22 infirmières / puéricultrices et 10 aides-soignantes / auxiliaires pédiatriques ont répondu au questionnaire.

(…) Suite de l’article

Télécharger l’article ICI