Anne-Claire Etienney, Médecin pédiatre Hôpitaux de Saint-Maurice / Saint-Maurice

in Les 29èmes Journées Pédiadol, Session : AJUSTER SON REGARD AUX BESOINS DE CHAQUE ENFANT

Contexte
Le Pôle enfant du SSR des Hôpitaux de Saint-Maurice dans le Val de Marne est un service de rééducation divisé en trois filières (appareil locomoteur et pathologies du rachis, pathologies neuro-acquises, pathologies neuro-congénitales). Notre filière « appareil locomoteur et pathologies du rachis » est composée d’un hôpital de jour, d’un secteur d’hospitalisation complète et d’un secteur de consultations externes.


La filière accueille des enfants de la naissance à 18 ans, pour des prises en charge variées (rééducations, soins, éducation thérapeutique…) en parallèle de la scolarité. Les pathologies rencontrées fréquemment dans notre filière sont les maladies osseuses constitutionnelles, les pathologies rachidiennes (scolioses idiopathiques ou secondaires) et les malformations de membres.

Les enfants viennent dans le cadre de leur suivi chronique (séjour de rééducation au long cours, séjour de réadaptation) ou dans le cadre d’une rééducation sur des courts à moyens séjours (rééducation post fracture, rééducation post arthrodèse vertébrale, rééducation post amputation de membre, appareillage avec prothèse, rééducation dans le cadre des allongements de membres par fixateur externe ou clou centro-médullaire…).

La prise en charge de la douleur concerne tous les enfants du centre, à différents temps de leur suivi : douleur en post-opératoire, douleur lors des soins (pansements de cicatrice, allongements quotidiens, soins de fiches des fixateurs externes, traction par halo crânien…), fractures chez les enfants atteints d’une maladie osseuse constitutionnelle, transferts, séances de rééducation, douleur chronique…


Problématique

L’enfant est pris en charge dans le centre par plusieurs intervenants : les rééducateurs, les soignants, les médecins, les éducateurs, l’école, les psychologues… Ces prises en charge se font à plusieurs endroits : école, service d’hospitalisation, plateau technique de rééducation etc. Un même enfant peut donc être pris en charge dans la journée par une dizaine d’intervenants ou plus, sur 4 lieux distincts. Les intervenants se réunissent de façon hebdomadaire, mais ne se voient pas tous au quotidien. De ce fait, tracer, suivre et caractériser les différents épisodes douloureux du patient n’est pas toujours évident, avec une perte d’informations et un manque d’évaluation standardisée de la douleur.


Objectifs du travail

L’objectif du travail est l’amélioration de la prise en charge médicamenteuse et non médicamenteuse de la douleur, par la mise en place d’un support visuel, évolutif dans le temps, mis à jour par l’enfant lui-même au fur et à mesure du temps (rééducations, soins douloureux, repas, transferts, douche…).

Plusieurs objectifs du support visuel sont attendus : rendre systématique l’utilisation d’échelles d’évaluation de la douleur pour permettre un meilleur suivi, faciliter la mise en évidence des situations douloureuses spécifiques à chaque enfant, rappeler les moyens non médicamenteux disponibles que l’enfant a identifiés comme efficaces, diminuer la perte d’informations concernant la douleur et rendre facilement accessibles ces informations aux différents intervenants prenant en charge l’enfant, optimiser notre prise en charge de la douleur par les moyens médicamenteux et non médicamenteux.


Méthodologie

Le support visuel se présente sur une feuille format A4 plastifiée. Il est expliqué à l’enfant à son arrivée. Il présente plusieurs informations : un bandeau de trois couleurs (rouge / orange / vert) permettant à l’enfant de classer les situations douloureuses ou non, un cadre permettant de renseigner les méthodes non médicamenteuses considérées comme efficaces par l’enfant, un cadre notifiant l’échelle d’évaluation de la douleur à utiliser, et enfin, un cadre permettant de renseigner une « météo de la douleur » selon les semaines.

Le support peut être en partie confectionné par l’enfant à son arrivée avec l’aide de l’équipe d’éducatrices spécialisées et d’éducatrices de jeunes enfants, ainsi l’enfant peut s’approprier le support et le personnaliser s’il le souhaite.

Le médecin pédiatre indique sur le support visuel l’échelle standardisée d’évaluation de la douleur à utiliser et présente à l’enfant ce support visuel, ainsi que les pictogrammes associés. Le support visuel reste avec l’enfant tout au long du séjour, il est complété et modifié par l’enfant lui-même, avec l’aide des soignants si besoin, ou de façon autonome dès que cela est possible.

Des pictogrammes sont mis à la disposition de l’enfant, accrochés à l’arrière du support visuel par un système de velcros. L’enfant choisit les différents pictogrammes qu’il place sur le support visuel (pictogrammes des situations pouvant engendrer une douleur, pictogrammes des méthodes de distraction efficaces, pictogrammes de la météo de la douleur…).

Les modifications peuvent se faire à tout moment, le support visuel évolue donc au fur et à mesure de l’évolution de la douleur de l’enfant dans sa journée. Un pictogramme drapeau rouge est également disponible si l’enfant souhaite mettre en évidence une situation particulièrement importante, situation qui sera ensuite reprise avec le médecin et l’équipe soignante.

Le médecin s’assure de la bonne compréhension du support et du bon déroulé de l’utilisation de ce support par l’enfant en passant régulièrement lors des premiers jours. Selon les besoins de l’enfant, différents pictogrammes peuvent être ajoutés ou retirés au fur et à mesure du séjour.


Résultats

La présentation du support visuel de la douleur a été faite au personnel soignant avant sa mise en route (personnel médical, paramédical, rééducateurs…).

Dans un premier temps, la mise en place du support visuel a été testée dans le service sur trois enfants. Cette première étape a permis au personnel soignant et aux enfants de faire des retours sur les modifications à apporter. Le support a été simplifié en supprimant les informations sur les douleurs antérieures (antécédents de gestes douloureux etc.), dans le but d’une lecture plus rapide du support. En revanche, le support a permis de sensibiliser les soignants sur ce point, et les transmissions entre soignants comportent davantage d’informations sur le vécu des soins avant l’arrivée en centre de rééducation.

Dans un second temps, le support a été mis en place pour tout enfant nécessitant un suivi rapproché de la douleur et désirant l’utiliser.

Les enfants hospitalisés dans notre filière ne présentent pas de troubles cognitifs empêchant l’utilisation de ce support. Ils se sont facilement approprié le support visuel et sont autonomes pour la mise à jour de ce support au quotidien. Le support visuel est davantage mis à jour en cas de douleur aigüe, et est peu à peu moins utilisé au cours du séjour lorsque les douleurs deviennent moins importantes. L’ensemble des
enfants qui souhaitent utiliser le support peuvent le faire de façon autonome, y compris les enfants dont la force musculaire au niveau des membres supérieurs est diminuée. Le système de velcros nécessite en effet peu de force pour être utilisé.

Les enfants proposent tous sur leur support des techniques non médicamenteuses qu’ils considèrent comme efficaces. Le personnel soignant propose davantage les méthodes non médicamenteuses lors des soins et une attention toute particulière est portée pour les gestes que l’enfant classe dans les zones orange et rouge. Des prémédications sont également prescrites et données selon l’intensité de la douleur engendrée par le soin, en se basant sur le classement effectué par l’enfant. Les ajustements thérapeutiques médicamenteux du quotidien sont facilités par le support qui retrace les situations douloureuses pour l’enfant.

Les soignants utilisent l’échelle d’évaluation de la douleur proposée sur le support visuel, ce qui permet un meilleur suivi de la douleur dans le temps.

 

Discussion et perspectives futures

Ce travail autour de la douleur permet de rappeler l’importance de la prise en charge de celle-ci aux équipes, la nécessité d’utiliser des échelles d’évaluation de la douleur standardisées, l’importance de la communication avec le patient sur ses douleurs, l’importance d’utiliser des prémédications et apporte une distraction adaptée lors d’un geste douloureux ou d’une rééducation engendrant une douleur.

Le support visuel permet d’identifier les situations douloureuses ou à risque de douleur pour l’enfant au fur et à mesure de sa journée et permet à chaque intervenant d’en prendre connaissance.

Le support visuel rend l’enfant acteur dans la prise en charge de sa douleur. Il se sent écouté sur le plan de la douleur et semble plus à l’aise pour parler de celle-ci en utilisant son support. Il était convenu avec les équipes que l’enfant, avant un soin douloureux, discuterait avec l’équipe de la distraction efficace à mettre en place pour le soin. L’enfant semble se sentir plus à l’aise de demander la mise en place d’une distraction en se servant de son support, en particulier pour les gestes qui reviennent très régulièrement dans la journée, mais qui sont parfois source de douleur pour lui (les transferts, la remise en appui etc.).

Le fait de demander à l’enfant d’actualiser son support visuel de manière autonome permet une utilisation du support dans la durée. Les différents soignants sont souvent en manque de temps, la mise à jour du support par un soignant n’aurait probablement pas fonctionné dans la durée.

Le support visuel permet à chaque personne s’occupant de l’enfant d’avoir un rappel des gestes qui sont particulièrement douloureux pour l’enfant, et de voir la progression de la douleur de l’enfant selon les semaines qui passent.

Des pictogrammes représentant les émotions pourraient être ajoutés à l’ensemble des pictogrammes déjà présents.

Si l’enfant le souhaite, ce support pourrait le suivre lors de ses permissions de weekend à la maison.

L’utilisation de ce support visuel a également permis de mettre en évidence le besoin en formation du personnel soignant à la prise en charge de la douleur. La sous-utilisation d’échelles standardisées d’évaluation de la douleur était le reflet d’un manque de connaissances sur ces échelles.

A la suite de ce travail, l’équipe soignante a fait la demande d’un chariot de distraction. Ceci fera l’objet d’un projet de service.

Télécharger l’article en PDF

MàJ Mars 2023