Jérémie Rosanvallon, Magali Héritier
Kinésithérapeutes, Hôpital Armand Trousseau, AP-HP, Paris

28es Journées Pédiadol la douleur de l’enfant, Journée plénière 7 décembre 2021

Dans les salles de plâtre des hôpitaux pédiatriques, hors urgence, les enfants reçoivent de multiples soins. Il peut s’agir d’ablations, de modifications, de confections d’immobilisations diverses et variées, tant par leur localisation (coude, genou, cheville, hanche, poignet…) que par les matériaux utilisés (plâtre, résine, attelles…)… Ces soins sont parfois très mal vécus par les enfants, qui les perçoivent comme douloureux. La littérature orthopédique a principalement analysé cette douleur sous son angle technique. Si les soins en salle de plâtre sont douloureux, ce serait ainsi surtout au moment de l’ablation, parce que les plâtres sont mal faits, que le matériel utilisé est usé, de mauvaise qualité, ou que la personne qui l’utilise y est mal formée[1–6]. En effet, la scie à plâtre est un outil qui peut générer abrasion ou brulure thermique[2,5,6]. De ce fait, la douleur en salle de plâtre est généralement analysée comme un élément exogène à la relation de soins, qui ne prend sa source que dans les éléments techniques et matériels intrinsèques au soin. Pourtant, une grande partie de la littérature sur la douleur[7–9], notamment chez l’enfant, souligne le rôle de l’anxiété lors des soins et du vécu douloureux, dans la douleur ressentie par les patients.

A l’hôpital Armand Trousseau (AP-HP), les plâtres sur fracture sont posés aux urgences ou au bloc opératoire (par les urgentistes et/ou les chirurgiens orthopédistes). Ils sont ensuite retirés en salle de plâtre. Ce sont les kinésithérapeutes, parfois aidés des médecins de MPR et les chirurgiens orthopédistes, qui y réalisent les soins. Devant les nombreuses manifestations aiguës des enfants au moment du retrait des plâtres (cris, pleurs, ….) qui pouvaient refléter à la fois de l’anxiété et de la douleur, nous nous sommes posé la question de l’évaluation de leur part respective dans ces réactions. Nous avons cherché à analyser les différents éléments qui participaient à rendre ces soins mal vécus par les enfants. Il s’agissait de comprendre s’il fallait améliorer la réalisation des soins eux-mêmes ou plutôt les éléments de contexte du soin. Faut-il ainsi mieux protéger la peau des patients, renouveler plus fréquemment le matériel d’ablation, en changer tout simplement, mieux former les équipes ? Ou faut-il plutôt améliorer le parcours de soin, limiter les temps d’attente, mieux informer les patients et leurs parents sur les soins à venir, harmoniser le parcours de différents intervenants (médecins, infirmières, kinésithérapeutes…). Plus encore, nous nous sommes demandé dans quelle mesure le déroulement des soins précédents permettait d’expliquer les douleurs survenues en salle de plâtre.

Afin de répondre à ces questions, nous avons mis en place une étude observationnelle avec un recueil de données formalisé de l’ensemble des prises en charge survenues en salle de plâtre pendant un période de quinze jours. Pour chacune d’entre elles, nous avons enregistré, au moment du soin, les éléments relatifs au soin (soin réalisé / type d’immobilisation / localisation de l’immobilisation), les éléments de contexte du soin (présence des parents / nombre de soignants / temps d’attente / durée du soin / contention réalisée par les soignants) et les éléments de parcours du patients (déroulé des soins précédents / anxiété de l’enfant). Parallèlement le niveau de douleur a été enregistré en utilisant une échelle adaptée à chaque âge : FLACC, échelle des visages, échelle numérique ou analogique. Les données ont été rassemblées et traitées statistiquement avec le logiciel R.

Les résultats montrent que les soins sont majoritairement non douloureux. Seuls 13 % d’entre eux dépassent un niveau de 4/10. De plus, le niveau de douleur ressentie par les enfants est fortement corrélé à l’utilisation de la scie à plâtre (les scores de douleurs sont plus élevés lorsque la scie a été utilisée), mais aussi au niveau de contention appliqué pendant les soins (plus la contention a été forte plus les enfants étaient douloureux, sans que l’on puisse déterminer ici le sens de la causalité), à l’anxiété de l’enfant avant le soin (plus les enfants étaient anxieux et plus ils ont eu mal), au mauvais déroulement des soins précédents (plus les soins précédents se sont mal déroulés et plus les enfants ont eu mal), à l’âge des enfants (plus les enfants étaient jeunes et plus ils ont eu mal). Une analyse plus précise indique cependant que les éléments les plus significatifs statistiquement sont ceux qui ont trait au vécu douloureux du patient (soins douloureux antérieurs…) et à son appréhension au moment de son arrivée en salle de plâtre. Ainsi, l’utilisation de la scie à plâtre est statistiquement mieux corrélée à l’anxiété de l’enfant qu’à la douleur mesurée pendant le soin. La douleur de l’enfant apparaît comme un phénomène multifactoriel mettant en jeu les perceptions de l’enfant, le parcours et l’environnement de soin, en plus des dimensions purement techniques des prises en charge.

La douleur de l’enfant échappe donc en partie au soignant puisque, lorsque les précédents soins se sont très mal passés, il est très difficile de parvenir à faire en sorte que les soins présents se passent mieux, sans douleur. Afin de surmonter cette difficulté, il serait possible de mettre en place une consultation dédiée pour tous les enfants dont les premiers soins se sont mal passés. Celle-ci fournirait un cadre et des moyens plus à même de rompre avec le vécu douloureux de l’enfant. De plus, pour être mieux prise en charge, la douleur de l’enfant en salle de plâtre doit aussi en partie passer par une meilleure préparation aux soins. Dans cette optique, nous avons réalisé une vidéo mettant en scène deux jeunes patients. Celle-ci permet d’incarner et d’expliquer avec des mots d’enfants les soins qui vont être réalisés. Le but est de désamorcer la peur de ces patients et de leur permettre de comprendre et anticiper les événements qui vont se produire. La vidéo pourra être disponible sur des plateformes de streaming et visionnées avant la venue de l’enfant à l’hôpital.

Bilbiographie
1. Ansari MZ, Swarup S, Ghani R, Tovey P. Oscillating saw injuries during removal of plaster. Eur J Emerg Med Off J Eur Soc Emerg Med. mars 1998;5(1):37‑9.
2. Henderson JJ, Wallace WA, Bowker P. Burns from a blunt plaster saw blade. J R Coll Surg Edinb. oct 1986;31(5):305‑7.
3. Shuler FD, Grisafi FN. Cast-saw burns: evaluation of skin, cast, and blade temperatures generated during cast removal. J Bone Joint Surg Am. déc 2008;90(12):2626‑30.
4. Killian JT, White S, Lenning L. Cast-saw burns: comparison of technique versus material versus saws. J Pediatr Orthop. oct 1999;19(5):683‑7.
5. Halanski MA. How to Avoid Cast Saw Complications. J Pediatr Orthop. juin 2016;36 Suppl 1:S1-5.
6. Read JA, Ferguson N, Ricketts DM. Plaster cast burns: the reality. Emerg Med J EMJ. déc 2008;25(12):827‑8.
7. Noel M, Chambers CT, McGrath PJ, Klein RM, Stewart SH. The influence of children’s pain memories on subsequent pain experience. Pain. août 2012;153(8):1563‑72.
8. Schreiber KM, Cunningham SJ, Kunkov S, Crain EF. The association of preprocedural anxiety and the success of procedural sedation in children. Am J Emerg Med. juill 2006;24(4):397‑401.
9. Noel M, Chambers CT, McGrath PJ, Klein RM, Stewart SH. The role of state anxiety in children’s memories for pain. J Pediatr Psychol. juin 2012;37(5):567‑79.

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