Fourmillements, picotements, douleur au simple effleurement, élancements aigus …
Et si c’était une douleur neuropathique ?

Les douleurs neuropathiques (anciennement appelées aussi « neurogènes » ou de « déafférentation »), sont liées à une lésion des voies nerveuses, périphériques ou centrales, conduisant les sensations de douleur et du toucher. Elles sont ressenties dans le territoire innervé (systématisation), même si dans certains cas, il n’y a aucune lésion visible dans ce territoire. Elles sont caractérisées par des sensations inhabituelles et difficiles à décrire pour les enfants.

Les causes : toute lésion neurologique ! Savoir y penser !

  • Traumatique : traumatisme nerveux (tronculaire, radiculaire, plexique) par arrachement, étirement. Section totale ou partielle de nerf après chirurgie, névrome de cicatrice. Amputation avec constitution d’un syndrome de membre fantôme.
  • Compression : hernie discale, syringomyélie, tumeur.
  • Envahissement tumoral : dans le cancer, coexistence fréquente de douleur nociceptive et de douleur neuropathique.
  • Toxique : chimiothérapie (vincristine), antituberculeux.
  • Infectieuse : zona, maladie de Lyme, VIH, autres neuropathies infectieuses d’origines virales.
  • Métabolique : neuropathies carentielles, diabète (neuropathie exceptionnelle chez l’enfant).
  • Atteintes cérébrales fixées ou évolutives : cérébro-lésé (après anoxie, noyade…), maladies dégénératives (lysosomales, leucodystrophies…)
  • Atteintes du système nerveux sympathique : syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) : il n’y pas de lésion déterminée, il s’agit plutôt d’un dysfonctionnement du système sympathique, mais la douleur a les caractéristiques des douleurs neuropathiques.

Signes cliniques

L’aspect paradoxal des signes cliniques contribue à entretenir la « perplexité » du clinicien, d’autant que cette sémiologie est encore souvent méconnue, et que l’examen clinique est difficile.

Un questionnaire de 10 questions, le DN4, permet de faciliter le repérage et le diagnostic de ces douleurs : Le DN4 en PDF

Une version pédiatrique illustrée du DN4 est disponible et téléchargeable ici.

  • Troubles de la sensibilité

Dysesthésies, paresthésies (picotements, fourmillements) sont difficiles à décrire pour les enfants avant 6 à 8 ans. L’allodynie  est caractéristique : c’est une douleur ressentie lors d’une stimulation non nociceptive, comme le simple toucher ou l’effleurement. L’hypoesthésie ou l’anesthésie liées à l’atteinte nerveuse sont souvent masquées par cette allodynie. L’hyperpathie est une douleur explosive et durable après une stimulation nociceptive brève ou non nociceptive.

  • Douleur permanente – Brûlure, broiement, torsion, arrachement…
  • Paroxysmes – Fulgurances, éclairs, décharges électriques brèves, massives.

  • Facteurs émotionnels

L’anxiété, l’inquiétude liée au caractère étrange des perceptions, la dépression dues à l’absence de diagnostic et de soulagement vont vite renforcer et pérenniser le tableau douloureux. Le risque de « psychiatrisation » abusive est alors majeur.

Traitement 

Le traitement des douleurs neuropathiques est souvent difficile. La disparition totale de la douleur est rare, l’objectif est une diminution franche des symptômes avec reprise d’une mobilité, et une amélioration de la qualité de vie (retour aux activités scolaires et de loisirs).
Le traitement médicamenteux ne peut se concevoir sans une évaluation « bio-psycho-sociale », et la mise en œuvre de méthodes thérapeutiques incluant les aspects psychologiques. Une prise en charge globale est nécessaire, prenant en compte les aspects psychologiques, émotionnels, selon le contexte, donc en associant méthodes pharmacologiques et non pharmacologiques. Les recommandations de la SFETD (Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur ») datant de 2015 seront actualisées courant 2019-20.

  • Traitement médicamenteux par voie générale

Peu d’études sont disponibles en pédiatrie, les recommandations reposent sur la littérature adulte ; aucun médicament spécifique n’a d’AMM pour la douleur neuropathique de l’enfant.
On utilise, (hors AMM), une monothérapie en 1re intention : amitryptilline, ou gabapentine. Commencer à posologie très faible et augmenter progressivement en quelques semaines, jusqu’à l’efficacité.
La morphine, contrairement à une idée longtemps reçue, est en partie efficace sur la douleur neuropathique ; elle est recommandée pour les douleurs mixtes, nociceptives et neuropathiques, en particulier en oncologie.
En cas d’échec, remplacer ou associer les molécules.

Médicaments les plus utilisés pour les douleurs neuropathiques en pédiatrie
Nom
Présentation
Indications officielles
de l’AMM
Voie d’administration
Posologie
Remarques
Amitryptiline
Laroxyl®
– Solution buvable
1 gtte = 1 mg
– Comprimés 25 mg– Ampoules IV
6 ans pour d’autres indications

Douleur neuropathique
périphérique chez l’adulte

Per os : 1 prise/jour le soir (car sédatif)
Commencer à 0,mg/kg
et augmenter progressivement en quelques semaines jusqu’à la dose efficace : en général 0,5 à  1 mg/kg/j, voire plus, selon tolérance et efficacitéIV (après ECG, sous scope) :
débuter à 0,3-0,5 mg/kg en IV de quelques heures,
ou en IVC/24 h
Utilisée depuis longtemps (hors AMM) pour les douleurs neuropathiques chez des enfants de tous âges.

Effets indésirables : sédation, somnolence, bouche sèche, constipation, prise de poids.

Voie IV si urgence au soulagement ou si voie orale impossible (vomissements, jeûne)

Gabapentine
Neurontin®
– Gélules 100, 300 mg
ou plus,              – Sirop
Épilepsie > 6 ans

Douleur neuropathique
chez l’adulte
Per os : 3 prises/jour
Commencer à 5 mg/kg/jour voire moins
Augmenter progressivement en quelques semaines jusqu’à l’efficacité
10 à 30 mg/kg/jour, parfois plus selon tolérance et efficacité
Une des molécules de 1re intention pour la douleur neuropathique

Effets indésirables : sédation, somnolence, pseudo-vertiges, troubles du caractère, troubles de l’humeur

 

Autres médicaments :

Le clonazépam (Rivotril®) a été beaucoup utilisé pour gérer les fulgurances mais n’est plus recommandé en l’absence d’études disponibles et suite aux mésusages décrits (avec difficultés de sevrage).

La prégabaline (Lyrica®), peut être utilisée à la place de la gabapentine : sa supériorité par rapport à la gabapentine n’est pas établie, ni en terme d’efficacité, ni en terme d’effets indésirables, et elle n’a pas d’AMM chez l’enfant.

Traitement médicamenteux par voie locale

  • Le traitement local, EMLA® ou Versatis®, est utile pour anesthésier la zone d’allodynie.
Utilisation du Versatis® en pédiatrie ?
Le patch Versatis® (emplâtre contenant 700 mg de lidocaïne) a une AMM pour la douleur
post-zostérienne de l’adulte ; il est utilisé largement dans d’autres douleurs neuropathiques
et nociceptives de l’adulte, également en rhumatologie. Les études chez l’adulte montrent un faible passage plasmatique ; les contre-indications sont celles des anesthésiques de type amide et l’application sur une peau lésée.
Le patch est appliqué 12 h/24, la nuit ou le jour, et peut être coupé aux dimensions voulues pour s’adapter à la zone d’allodynie.
Son efficacité a conduit de nombreuses équipes pédiatriques à l’utiliser, quand l’allodynie
prédomine : cicatrice douloureuse postopératoire ou cicatrice de brûlure, algodystrophie, crises drépanocytaires  avec zone d’allodynie (nombreuses études chez l’adulte, voir l’étude de Sigalla J. et coll à Robert Debré, Children (Basel). 2021 Jan 26;8(2):84).
Cependant l’allodynie peut rendre difficile l’application ou le retrait !
Il n’y a pas d’AMM pédiatrique, l’utilisation du patch doit aussi être adaptée à l’âge et au poids de l’enfant en raison du passage plasmatique même faible de la lidocaïne. Aucune recommandation spécifique à l’utilisation pédiatrique ne peut être préconisée, en l’absence d’étude disponible (études en cours en 2022 dans des centres de douleur pédiatrique).
  • Le traitement local par application de patch de capsaïcine (Qutenza®), est largement employé chez l’adulte : cet extrait de piment traverse la barrière cutanée et va léser les terminaisons nerveuses qui deviennent insensibles pour quelques semaines. L’application se fait en hôpital de jour, elle peut être très douloureuse, elle est très réglementée et protocolisée. Ce patch est employé par quelques équipes pédiatriques, en particulier sur des douleurs chroniques séquellaires en oncologie (un programme de recherche PHRC a commencé en 2022).

Traitement non médicamenteux, physique

Selon le diagnostic, des méthodes physiothérapeutiques ou de rééducation sensorielle sont utiles : kinésithérapie, électrostimulation transcutanée (TENS), rééducation sensitive, rééducation avec miroir.

Traitement non médicamenteux, psychothérapeutique et psychocorporel

  • Méthodes psychocorporelles : relaxation, hypnose.
  • Thérapies de parole : entretiens de soutien, psychothérapie.

La prise en charge globale permet de gérer les émotions, de réduire la douleur et de limiter l’envahissement par ces sensations désagréables et angoissantes de la douleur neuropathique.

Références :

– Prise en charge des douleurs neuropathiques chez l’enfant : recommandations de bonne pratique clinique, Fournier-Charrière E. et al., Archives de Pédiatrie, 2011

– Neuropathic pain in children, Howard et al., Arch Dis Child, 2014

– Recommandations SFETD 2020
– Pharmacological and non-pharmacological treatments for neuropathic pain: Systematic review and French recommendations. Moisset X, Bouhassira D, Avez Couturier J, Alchaar H, Conradi S, Delmotte MH, Lanteri-Minet M, Lefaucheur JP, Mick G, Piano V, Pickering G, Piquet E, Regis C, Salvat E, Attal N. Rev Neurol (Paris). 2020 May;176(5):325-352
MAJ décembre 2022