A. de Broca, P.-M. Bérard, M.-L. Bourquin, P. Canouï, L. Daoust,
N. Francotte, N. Humbert, P. Hubert, S. Leruth, G. Leverger, E. Pichard-Léandry,
D. Sommelet, A. Suc, B.Tourniaire, J.-M. Zucker
et tout le réseau de Broca
Unité de neurologie pédiatrique – CHU Nord – 80054 Amiens cedex1
[email protected]

Les progrès croissant de la médecine ont fait régresser, depuis une cinquantaine d’années, la mortalité infantile de façon considérable dans le monde occidental. Cependant, on dénombre une mortalité de 3384 nourrissons de moins d’un an et de 1824 enfants de 1-14 ans en France (chiffres 1997. source : www.fnors.org). Avant un an, les décès sont liés principalement à des anomalies congénitales et affections périnatales alors que pour les enfants âgés de 1-14 ans, plus de la moitié sont liés et se produisent dans un contexte très brutal d’accidents et environ 40 % après une maladie. Tous ces décès nécessitent donc que des équipes pédiatriques accompagnent ces familles que ce soit lors des décès brutaux ou lors de longues maladies.

Le concept de soins palliatifs est un concept aussi vieux que l’humanité puisqu’il consiste à aider chaque personne à vivre pleinement sa fin de vie quand la médecine est incapable d’assurer la guérison de la maladie et que celle-ci amène l’individu à une mort assurée. Force est cependant de constater que la mort d’un enfant, qui était autrefois fréquente et vécue comme une fatalité acceptée n’est aujourd’hui perçue que comme un échec médical par les soignants et une injustice inacceptable par les familles. La mort de l’enfant, qui était « une affaire de famille » vécue au domicile, est progressivement devenue une affaire de professionnels de santé.

De nombreuses équipes pédiatriques essayent depuis quelques années de retrouver les moyens d’accompagner au mieux ces familles en grande détresse. Cette pratique difficile et douloureuse nous amène à souligner plusieurs réflexions que nous rapportons ci-dessous.

1. QUE SONT DONC LES SOINS PALLIATIFS ?
Parler de soins palliatifs, c’est avant tout se placer dans une autre mentalité que celle prônée dans la médecine « exclusivement curative ». C’est accepter que la médecine n’est pas toute-puissante face à une personne souffrante. C’est utiliser tous les moyens pour donner de la qualité à la vie plutôt que des jours à celle-ci.

2. QUI SONT LES ENFANTS EN SOINS PALLIATIFS ?
Nous pouvons distinguer plusieurs circonstances ou contextes.
Les circonstances du décès – Le décès peut survenir dans le cadre d’une maladie brutale ou après une longue maladie avec ou sans rechute, avec ou sans espoirs de greffe par exemple.

La fin de vie est donc vécue de façon très différente tant par le malade, que par les familles et les équipes soignantes. La façon dont vont se dérouler la prise en charge, l’aide et l’annonce de la vérité face à cette fin de vie inéluctable doivent donc s’adapter à chaque situation mais doivent pouvoir se faire sans mensonge ni refus de cette douloureuse réalité.

Lieux de prise en charge – Les enfants peuvent être accompagnés dans différentes unités pédiatriques tout au long de leur maladie. Cette diversité de lieux peut aider à la prise en charge mais peut tout aussi bien gêner l’accompagnement du fait d’une trop grande hétérogénéité des intervenants.

Age des enfants – L’aide des familles doit aussi s’adapter aux âges des enfants et donc à la place qu’a pu prendre l’enfant dans sa famille. Les enfants susceptibles d’être en soins palliatifs le sont depuis leur naissance, parfois en tant que prématuré, parfois même après discussion anténatale, et jusqu’à l’adolescence. C’est dire si les parents sont dans des dispositions mentales différentes. Les soins palliatifs sont un moment privilégié pour faire comprendre la place de chaque enfant dans la famille. Cela permet aussi de redonner leur place aux fratries vivantes au moment de la maladie et ensuite à la fratrie puînée pour qu’elle puisse mieux comprendre l’histoire familiale.

Pathologies variées – Toutes les spécialités pédiatriques ont malheureusement des enfants susceptibles de décéder. Certes l’onco-hématologie semble avoir une place prépondérante mais ceci n’est plus tout à fait vrai. Des enfants sont en fin de vie en secteurs neurologique (épilepsie réfractaire, myopathie, encéphalopathie progressive, encéphalites aiguës) et maladies génétiques ou anomalies congénitales (moitié moins chacun qu’en oncologie), en cardiologie (cardiopathie non chirurgicale, myocardite, myocardiopathie), en pneumologie (mucoviscidose) et endocrinologie (5 fois moins chacun qu’en oncologie), en pathologie digestive (malabsorption sévère) sans compter les maladies infectieuses aiguës et les morts accidentelles mais aussi les suicides (adolescents).

3. SOINS PALLIATIFS
QUAND DIRE CES MOTS AUX PARENTS ?
… INTRICATION CURATIFS ET PALLIATIFS ?

Il est toujours très difficile de parler de soins palliatifs tant l’espoir des parents est toujours grand. Cependant, il est nécessaire pour l’enfant, pour la famille et pour l’équipe de ne pas être dans un mensonge. Le mensonge existe quand l’équipe ne peut, ne sait pas ou ne veut pas avertir la famille et l’enfant d’une impossibilité de guérison et donc d’une fin de vie irrémédiable. Dans ces conditions, tous les gestes techniques ou examens réalisés sont considérés ou pensés par les parents comme des gestes curatifs alors qu’ils ne peuvent pas l’être ou utilisés à des fins aiguës en vue de passer un cap spécifique. L’ambiguïté entretenue dans ce contexte ne permet pas à la famille et à l’enfant d’envisager les moments difficiles à venir, de pouvoir anticiper sur les questions graves que sont les derniers moments de vie. Une de celles-ci est notamment celle de savoir si oui ou non il est justifié, juste et bon de mettre l’enfant en réanimation dans les dernières heures de sa vie ?. En absence de ces réflexions qui ne peuvent se faire que sur de longues journées, il n’est pas rare que des attitudes thérapeutiques agressives soient faites en urgence comme dans un passage à l’acte car rien n’a été « prévu » ou transmis entre les équipes.

Lorsque la gravité de la maladie et une fin de vie sont parlées, il est même possible d’envisager un retour à domicile ou en tout cas des allers retours domicile-hôpital laissant toute liberté aux parents et à la famille de décider le lieu de décès de l’enfant. Celui-ci prend alors tout son sens.

Dans certaines maladies chroniques comme en neurologie pédiatrique, alors que seuls les soins palliatifs sont de mise dès l’annonce de la maladie, la durée de survie est telle qu’il est difficile de parler de soins palliatifs aux parents si les soins palliatifs sont exclusivement compris comme des soins des derniers moments de vie. Il est donc important de resituer les soins palliatifs comme une prise en charge globale d’un enfant présentant une maladie incurable en l’état et de réserver les mots « soins en phase terminale » aux derniers jours de vie et l’agonie à ces dernières heures.

DURÉE DES SOINS PALLIATIFS ?
Les soins palliatifs peuvent avoir une durée très variable et parfois importante (pendant quelques années parfois). Cela implique une grande humilité pour ne pas figer le temps par des remarques inadaptées et ainsi savoir faire preuve d’une très grande adaptation. Cela explique aussi les grandes variations entre phases d’espoir, d’espérance et phases dépressives.

Tout projet de soin doit alors être particulièrement personnalisé et centré sur l’enfant dans sa systémique familiale.

4. COMMENT…
FAIRE DES SOINS PALLIATIFS OU ÊTRE EN SOINS PALLIATIFS ?

Donner du sens aux gestes (cathéters, sondes) et à la thérapeutique proposée – Les soins palliatifs obligent à penser le sens de la pratique de tous les soins en questionnement permanent avec l’enfant, sa famille et toute l’équipe (et ce, bien avant la promulgation de la loi du 4 mars 2002). En absence de cette réflexion quasi permanente l’équipe a trop vite fait de suivre le protocole pour le protocole.

Par contre, tous les soins appropriés pour que l’enfant ne souffre plus physiquement doivent être envisagés. Cela peut amener à faire poser un cathéter veineux central enfoui si celui-ci permet de diminuer quasi totalement les douleurs liées aux perfusions ou prises de sang etc.

L’équipe est donc dans un cheminement éthique permanent – Sa formation en la matière doit être constante, à travers une révision de cas cliniques et avec une approche théorique sur les grands fondements éthiques (principes d’humanité, de dignité, de justice, d’hospitalité – aspects déontologiques – principes procéduraux tels que la non-malfaisance, de bienfaisance, d’autonomie, de proportionnalité et de futilité). Savoir discuter de sa pratique sous le regard croisé de tous ceux qui peuvent avoir une place dans la décision permet de donner du sens à la pratique envisagée jour après jour pour chaque enfant malade.
Cela participe à repenser à la finalité même du geste dans le respect de l’humain malade.

Les soins palliatifs soulignent que l’enfant est un être global

Comme dans toute maladie, l’équipe de soins palliatifs s’attache à soulager toutes les anomalies, perturbations ou défaillances somatiques. Mais elle est aussi très attentive aux dimensions psychiques de l’enfant (dans son environnement et avec son environnement). L’enfant peut alors ressentir qu’il est pleinement reconnu en tant qu’être humain, c’est à dire dans toute sa dimension spirituelle : pouvoir se dire humain parmi les humains, digne et aimé quelles que soient ses défaillances.

Les soins palliatifs soulignent que tout malade doit être envisagé dans sa systémique familiale et environnementale

Le travail avec la famille est primordial. Les parents et la fratrie vont donc être présents en permanence dans le service imposant une communication quotidienne adaptée à chacun. Cette diversité d’acteurs demande une vigilance accrue aux informations dites et oblige particulièrement que toute information puisse être donnée à plusieurs (un médecin et une infirmière au minimum).

5. SPÉCIFICITÉS DES SOINS PALLIATIFS EN PÉDIATRIE
L’enfant est un être en développement.

L’enfant en développement va pouvoir appréhender le monde à travers le filtre de ses connaissances et de ses compétences mnésiques et cognitives. Il est donc nécessaire de rappeler à toute l’équipe les niveaux de compétences de l’enfant malade qui seront différentes d’un âge à l’autre, comme notamment en ce qui concerne les repères spatio-temporels. Cela retentit sur la manière de donner les informations, sur le besoin de les répéter et de les reformuler.

Toute annonce de maladie grave modifie les repères temporels des malades et de leur famille.

La perception du temps est très variable selon les individus car elle dépend de l’histoire de chacun, de ses peurs, de sa personnalité.

Lorsque la maladie est annoncée aux parents, il y a fracture dans leur propre temporalité. Le présent n’est plus qu’objet de tristesse et est donc le plus souvent évacué. Le futur est tellement noir qu’il fait très peur même si celui-ci concentre toute l’attention par l’espoir de périodes de rémission et sur les améliorations potentielles même relatives. Le passé est l’objet de refoulement car il rend triste puisque les souvenirs même gais ne semblent plus pouvoir être réactualisés.

L’enfant, pour sa part, ne vivra pas ce moment de la même manière car il a en général un passé certes très précis sur des éléments spécifiques mais sa mémoire n’est pas encore bien structurée. Il ne peut donc pas s’y réfugier et cela ne l’intéresse pas. Le présent est par contre très important car il est le lieu de l’action mais la maladie le cloue dans un lit, lui fait mal et l’empêche de pouvoir vivre comme il le voudrait. Le futur qui en temps normal lui paraît bien loin et rarement maîtrisable mais enviable lui apparaît comme objet de souffrances à venir et totalement ingérable.

L’attention à cette difficulté de vivre ensemble dans ces différentes temporalités est fondamentale pour que les uns et les autres puissent partager au mieux ces derniers moments.

Les soins palliatifs c’est vouloir rendre acteur et autonome l’enfant et sa famille

Cette dimension est possible quand l’équipe soignante sort de sa toute puissante curative. Alors, les choix et les décisions communs sont moins difficiles à prendre.

Mais l’autonomie donnée à l’enfant ou à ses parents ne peut s’envisager que s’ils se sentent assurés que l’équipe est toujours présente, 24h/24h, sans discontinuer, dans un langage clair et cohérent.

6. PAR QUI ET OÙ POUVONS NOUS « ÊTRE » EN SOINS PALLIATIFS ?

Faut-il une équipe spécifique ou pouvons nous demander à toutes les unités pédiatriques de prendre en charge des fins de vie ? Comment se former ? S’entraider ?

Il paraît légitime de demander aux équipes pédiatriques de pouvoir accompagner les enfants et leur famille jusqu’au bout. Cela impose de leur part une formation et une possibilité d’engagement en temps qu’il ne leur est pas toujours accordé. Malheureusement, certains membres pédiatres et/ou soignants sont en trop grande difficulté face à la mort ou d’autres cas, les conditions matérielles (chambres exiguës, absence de lieu de repos pour les familles, impossibilité de faire entrer les familles ou fratrie dans certains services) rendent cette disposition parfois très difficile. C’est pourquoi il ne semble pas y avoir de réponse toute faite ni idéale et explique que ce n’est pas toujours facile.

Aider une famille dans de telles situations, implique que toute l’équipe se forme sur les problématiques de nursing et de douleurs en fin de vie, sur le deuil et les questionnements éthiques et bien sûr aide les parents à réinvestir leur parentalité. C’est ensuite organiser avec l’administration de l’hôpital des chambres adaptées avec un lieu de repos pour la famille dans chaque unité ou pour quelques unités. C’est aussi permettre aux soignants de prendre le temps suffisant pour « être » avec l’enfant au-delà des gestes techniques, pour partager ensemble, en équipe et avec une supervision, toutes les difficultés mais aussi les succès de l’accompagnement. Cela permet de parler autant de la violence active, parfois forte, ressentie que de la violence passive trop souvent refoulée.

C’est enfin apprendre à travailler dans un même secteur avec différentes temporalités de malades : la maladie aiguë simple (sans risque vital immédiat), la maladie chronique à forte connotation psychique et crise de raptus aigu potentiel, la maladie chronique médicale sans pronostic vital immédiat, les soins continus où le risque vital est potentiellement mis en jeu : méningite, état de mal convulsif, trouble digestif aigu, respiratoire et éventuellement les soins palliatifs avec ses 3 périodes (chronique.. très longue et avec aller-retour au domicile ; soins terminaux ; agonie).

Dans certains cas, il paraît impossible de travailler avec la seule équipe pédiatrique du fait de toutes ces contraintes. Il est donc important de savoir se faire aider (et sans substitution) par une équipe mobile. Actuellement il existe peu d’équipe mobile de soins palliatifs pédiatriques mais de nombreuses équipes d’adultes. Leur talent d’écoute, d’aide et leurs compétences sur la façon de soulager au mieux les différentes souffrances doit permettre de mieux accompagner tous ensemble ces familles.

Enfin, certains hôpitaux, du fait de leur taille et des spécificités médicales, peuvent avoir à proposer quelques lits spécifiquement dédiés à cette tâche. Dans d’autres situations, il paraît nécessaire de créer des lits pour des malades avec des maladies chroniques à pronostic fatal que certains appellent « lits de répit ». Il n’y pas de réponses toutes faites actuellement, mais réfléchir à ces questions aidera aussi à mieux travailler au quotidien dans les autres services.

UN RÉSEAU DE SOINS PALLIATIFS PÉDIATRIQUES ?
C’est aussi travailler en réseau entre les différentes unités ou équipes qui vivent les soins palliatifs. C’est pourquoi un certain nombre de praticiens et de soignants se sont mis en réseau (Internet oblige) en vue de partager les difficultés et les expériences positives que chacun d’entre eux a pu vivre. Le réseau se donne pour mission de faire transiter ces expériences entre les différents membres et de proposer des thèmes de recherches et de formations.

Un premier travail de réseau consiste à partager nos expériences. Une réunion annuelle est désormais proposée. La première réunion a eu lieu à Montréal en 2001, une journée est réservée avant le congrès de la SFAP à Nice (5/6/03) et une autre réunion aura lieu de nouveau à Montréal en octobre 2003.

Il est aussi proposé depuis 2 ans quelques formations et actions autour des difficultés d’accompagnement des enfants en fin de vie. Ces formations s’adressent aux équipes pédiatriques directement impliquées mais tout autant aux équipes de soins palliatifs adultes. Une journée pédiatrique est déjà proposée dans un Diplôme d’université de soins palliatifs sur Paris et une formation plus spécifique est envisagée dans les années à venir.

Pour toutes informations autour du DU ou des formations
1 -Réseau de soins palliatifs pédiatriques : secrétariat : [email protected]
Pour informations 2002-2003

Président :
Vice-président :
Vice-président :
Secrétaire :
Trésorier :
Membres :
Dr Nago Humbert, (Montréal)
Dr Nadine Francotte, (Liège)
Pr Jean-Michel Zucker, (Paris)
Dr Barbara Tourniaire (Paris)
Dr Pierre Canouï, (Paris)
Madame Sophie Leruth (Liège)
Madame Lysanne Daoust (Montréal)
Madame Marie-Luce Bourquin (Neuchâtel, Suisse)
Pr Philippe Hubert (Paris)
Dr Agnès Suc (Toulouse)
Dr Perrine Marec Bérard (Lyon)
Dr Alain de Broca (Amiens)
Dr Evelyne Pichard-Léandry (Paris)

2 – Espace Ethique – Paris AP-HP : [email protected]
Dr P. Canouï. Email : [email protected]
3 – SFAP : Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs : [email protected] SFAP -106, avenue Emile Zola 75015 PARIS